Dans sa lettre, l’Egypte appelle le Conseil de sécurité de l’Onu à assumer ses responsabilités.
Le ministre des Affaires étrangères, Sameh Choukri, a adressé, le 29 juillet, une lettre au président du Conseil de sécurité des Nations-Unies soulignant l’objection de l’Egypte et son rejet total de la poursuite par l’Ethiopie du remplissage unilatéral du barrage de la Renaissance sans accord préalable avec l’Egypte et le Soudan sur le remplissage et l’exploitation de ce barrage. « Il s’agit d’une violation flagrante de l’accord de Déclaration de principes de 2015 et des règles du droit international, qui obligent l’Ethiopie, en tant que pays en amont, à ne pas porter atteinte aux droits des pays en aval », a souligné Choukri dans sa lettre. Selon le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, l’Egypte a reçu le 26 juillet un message de l’Ethiopie faisant savoir qu’elle continuera à remplir le réservoir du barrage, une mesure que rejette l’Egypte en tant que violation du droit international en ce qui concerne la gestion des fleuves transfrontaliers.
Ainsi, dans sa lettre, l’Egypte a rappelé que tout au long des précédentes négociations, elle a toujours tenu à parvenir à un accord juste et équitable sur le barrage, mais l’Ethiopie a contrecarré tous les efforts qui ont été déployés pour résoudre cette crise. « Si l’Egypte adhère à la nécessité de parvenir à un accord sur le barrage de la Renaissance qui réalise les intérêts communs des trois pays, l’Etat égyptien ne tolérera aucune atteinte à ses droits ou la sécurité de l’eau ou toute menace pour le peuple égyptien, qui considère le Nil comme sa seule source de vie », a affirmé Choukri dans son message. Il a également souligné que l’Egypte conserve son « droit légitime de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer et protéger sa sécurité nationale, y compris contre tout risque que les actions unilatérales de l’Ethiopie pourraient entraîner à l’avenir ».
Il a appelé le Conseil de sécurité à assumer ses responsabilités, notamment en intervenant pour assurer la mise en oeuvre de la déclaration présidentielle émise par le conseil, qui oblige les trois pays à parvenir à un accord sur le barrage dans les meilleurs délais. Cette déclaration avait appelé les parties à retourner à la table des négociations aussitôt que possible sous l’égide de l’Union africaine. Mais elle est restée sans la moindre réaction de la part de l’Ethiopie et de la communauté internationale.
Mobilisation internationale
La lettre adressée au Conseil de sécurité intervient quelques jours après la visite de l’envoyé spécial des Etats-Unis pour la Corne de l’Afrique, Mike Hammer, qui est arrivé en Egypte le 25 juillet dans le cadre d’une tournée qui l’a amené aux Emirats arabes unis et en Ethiopie. Lors de sa visite, Hammer a souligné que les Etats-Unis « sont activement engagés » à soutenir une voie diplomatique sous les auspices de l’Union africaine pour parvenir à un accord qui répond aux besoins à long terme de chaque citoyen le long du Nil.
Quelques jours plus tôt, lors de leur récente réunion à Djeddah, le président Joe Biden a réitéré au président Abdel-Fattah Al-Sissi le soutien des Etats-Unis à la sécurité de l’eau en Egypte et à l’élaboration d’une résolution diplomatique qui servirait les intérêts de toutes les parties et contribuerait à une situation pacifique et prospère. Même position de la part du président somalien, Hassan Sheikh Mahmoud, qui a visité Le Caire le 25 juillet, et a convenu des dangers de poursuivre d’une action unilatérale lorsqu’il s’agit de fleuves transfrontaliers soulignant l’urgente nécessité de parvenir à un accord juridiquement contraignant sur le remplissage et le fonctionnement du barrage pour préserver la sécurité et la stabilité dans la région.
Soulignant l’importance de la lettre envoyée au Conseil de sécurité, l’ancien ambassadeur, Mohamed Hegazy, spécialiste des affaires africaines, explique que le message envoyé au Conseil de sécurité vient refléter la pleine volonté de l’Egypte de défendre ses droits hydriques. « Cette lettre est un communiqué clair et strict porteuse de plusieurs messages : Elle vise à la fois à insister sur les droits historiques de l’Egypte, à placer le Conseil de sécurité devant ses responsabilités et plus important encore, à informer de l’intention de l’Egypte de défendre ses intérêts hydriques de la manière qu’elle juge adéquate », explique-t-il. Il ajoute que toutes les puissances internationales sont aujourd’hui conscientes que l’instabilité et l’intransigeance éthiopienne auront des conséquences négatives sur la sécurité, la stabilité et les intérêts stratégiques régionaux et internationaux. « La situation devient de plus en plus dangereuse, car elle touche non seulement à la sécurité hydrique de l’Egypte et du Soudan, mais également à l’une des zones stratégiques les plus importantes qui contrôle la navigation dans le détroit de Bab Al-Mandab, le Canal de Suez et le mouvement des flottes militaires et commerciales liées à la sécurité du Golfe », prévient-il.
L’expert au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, Ayman Abdel-Wahab, souligne qu’il s’agit de la troisième lettre envoyée par l’Egypte à l’Onu. Mais qu’il y a de grandes chances que cette lettre ait un écho plus important que les précédentes. « Nous pouvons parler d’une mobilisation internationale et africaine appelant à parvenir à une solution sur cette affaire afin d’éviter toutes nouvelles perturbations dans la région ». Et d’ajouter que « les Etats-Unis expriment, pour la première fois depuis l’arrivée de Biden au pouvoir, une réelle volonté de jouer un rôle actif dans ce dossier. Un rôle de médiation sous l’égide de l’Union africaine serait donc bien probable en coopération avec les Emirats, qui représentent tous les deux une carte de pression importante sur l’Ethiopie ».
De son côté, l’expert hydrique Abbas Sharaky propose, pour que cette lettre ait un écho au sein du Conseil de sécurité, d’ajouter une seconde lettre qui exposera le problème du barrage non pas sur le volet technique, mais plutôt sécuritaire. « Outre la violation des accords et normes internationaux, l’Ethiopie a changé les spécifications du barrage présentées à l’origine du projet en multipliant par sept la dimension du barrage qui passe de 11,1 milliards de m3 de stockage d’eau à 74 milliards de m3. Et ce, dans des conditions géologiques instables, ce qui est considéré comme une bombe à eau, menaçant la vie de 20 millions de Soudanais vivant sur les rives du Nil bleu. Un danger énorme qui pourrait s’étendre à l’Egypte », prévient-il.
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