Le président intérimaire, Adly Mansour, a décidé, jeudi 12 septembre, de prolonger l’état d’urgence de 2 mois « à la lumière des événements et de la situation de la sécurité dans le pays ». L’état d’urgence avait été décrété le 14 août, le jour même où l’armée avait lancé avec la police l’assaut sur deux rassemblements, au Caire, des partisans du président destitué Mohamad Morsi, tuant des centaines de manifestants.
Dans la semaine qui a suivi, au moins un millier de personnes avaient été tuées, des pro-Morsi pour l’immense majorité, mais aussi quelques dizaines de membres des forces de l’ordre, dans les manifestations réclamant le retour de Mohamad Morsi ou dans des attaques visant l’armée et la police.
Il y a près de deux semaines, une voiture piégée a explosé au Caire au passage du convoi du ministre de l’Intérieur, Mohamad Ibrahim, qui s’en est sorti indemne. Mais un passant a été tué et 20 autres blessés. Un groupe djihadiste basé dans le Sinaï, Jound al-islam, a revendiqué le 12 septembre 2 attentats à la voiture piégée contre l’armée ayant fait 6 morts la veille dans une zone proche de Rafah, ville frontalière avec la bande de Gaza.
Une vague sans précédent d’arrestations a « décapité » la confrérie islamiste des Frères musulmans, à laquelle appartient Mohamad Morsi. Plus de 2 000 membres des Frères musulmans sont emprisonnés, et la quasi-totalité des dirigeants du mouvement sont sous le coup de procès pour meurtres ou incitation aux meurtres.
Jeudi 12, le gouvernement a, par ailleurs, voté une loi autorisant la détention pour des périodes renouvelables de 45 jours lorsqu’il s’agit de cas susceptibles de déboucher sur des condamnations à mort ou des peines de prison à vie, alors que la loi permettait jusqu’ici des périodes de détention de 15 jours renouvelables.
Une grande partie de l’Egypte, dont Le Caire, est, en outre, soumise à un couvre-feu nocturne depuis le 14 août, mais la présidence n’a pas annoncé s’il était prolongé ou pas.
La décision de prolonger l’état d’urgence n’était pas une surprise pour la majorité des forces politiques, à cause de la poursuite des actes de violences dans le pays.
Tout en tenant compte de la précarité de la situation sécuritaire, celles-ci ne voient pas de la même manière l’impact et l’enjeu de la reconduction de l’état d’urgence.
Une mesure « indispensable » ?
Pour l’expert militaire, Ahmad Abdel-Halim, le recours à l’état d’urgence est une mesure indispensable. « Le nouveau pouvoir n’a aucune intention, ni de restreindre les libertés, ni de reproduire l’Etat répressif comme le prétendent les islamistes. Mais l’Etat ne peut pas rester les bras croisés face à la poursuite des attentats contre l’armée et la police », déclare-t-il.
Il souligne que des terroristes d’Al-Qaëda et du Hamas, ainsi que d’autres en provenance de la Syrie et de la Libye se sont infiltrés en Egypte au cours des 2 dernières années profitant de l’instabilité politique et sécuritaire.
En fait, ce sont les exceptions que permet la loi d’urgence qui suscitent les appréhensions de certains activistes politiques. Instauré en 1981 après l’assassinat de l’ancien président Anouar Al-Sadate, l’état d’urgence avait été reconduit sans discontinuité pendant les 30 ans du règne de son successeur Hosni Moubarak.
En vertu de cette loi, le ministère de l’Intérieur est autorisé à procéder à des arrestations sans mandat, ainsi qu’à maintenir les suspects en détention pour une période non déterminée. La loi permet également de juger des civils devant les tribunaux militaires.
Ou une décision « hostile à la révolution » ?
Ainsi, l’avocat Gamal Eïd, président du Réseau arabe d’information sur les droits de l’homme (ANHRI), pense que le recours à l’état d’urgence est une mesure « hostile à la révolution ». « Tout d’abord, on ne peut pas reconstruire de pays sous l’état d’urgence. Le recours à la sécurité sans avoir de solutions politiques à la situation tendue est un faux remède qui ne fera qu’exacerber la violence », affirme-t-il.
Eïd va plus loin en estimant que l’état d’urgence vise en premier lieu à saper les acquis de la révolution de janvier. « Sous l’état d’urgence, les manifestations des islamistes se poursuivent et les forces de sécurité les tolèrent, alors qu’on voit des journalistes arrêtés, des grèves ouvrières réprimées et des activistes traduits en justice », s’insurge-t-il.
Ahmad Abou-Derae, journaliste au journal privé Al-Masry Al-Youm, a été arrêté il y a dix jours dans le Sinaï. Accusé de publication de fausses informations sur les opérations de l’armée dans la péninsule et d’avoir franchi une zone militaire sans autorisation, il devra comparaître devant un tribunal militaire. Le 12 août dernier, l’armée a évacué de force un sit-in des ouvriers de l’usine de fer et d’acier à Suez, des cadres ouvriers ont été arrêtés pour incitation à la grève.
« Malheureusement, les forces civiles se trouvent entre le marteau et l’enclume. On s’est toujours opposé aux lois d’exception, mais aujourd’hui, face à cette vague de violence qui frappe le pays, on est obligé de les accepter », regrette Hussein Abdel-Razeq, cadre du parti du Rassemblement (gauche).
Selon lui, aucun abus n’a été commis jusqu’à présent au nom de l’état d’urgence. « Le journaliste arrêté dans le Sinaï l’a été en vertu de la loi sur la justice militaire et non en vertu des lois d’urgence. De même, le dispersement des ouvriers en sit-in ou en grève, qui est certes une pratique répréhensible, est dû à l’absence d’une loi réglementant le droit à la grève », explique-t-il, tout en soulignant clairement que l’état d’urgence doit se limiter à la lutte contre le terrorisme et la violence.
« Toute atteinte aux libertés, aux droits de l’homme et aux acquis de la révolution de janvier au nom de la lutte contre le terrorisme est une ligne rouge à ne pas franchir. Pas de retour en arrière », met-il en garde.
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