Lors d’un entretien la semaine dernière avec une délégation du Congrès américain, le président par intérim, Adly Mansour, a souligné qu’il ne comprenait pas l’insistance américaine à vouloir agir unilatéralement sans l’aval du Conseil de sécurité de l’Onu et sans respect de la légalité internationale. « De telles frappes vont produire des effets négatifs sur la région, la situation risque de s’embraser », a-t-il mis en garde.
Le président Mansour réitérait une position officielle déjà exprimée fin août par le ministre des Affaires étrangères. Tout en dénonçant l’utilisation d’armes chimiques « que ce soit par le régime syrien ou par les rebelles », le ministre des Affaires étrangères, Nabil Fahmi, avait alors affirmé l’opposition de l’Egypte à toute frappe militaire contre la Syrie. Et tout en condamnant les pratiques du régime syrien contre son peuple, le chef de la diplomatie égyptienne a appelé toutes les parties au conflit en Syrie, ainsi que la communauté internationale à « trouver une solution politique à la crise syrienne ».
La position sur le conflit syrien du nouveau pouvoir égyptien marque un revirement par rapport au soutien inconditionnel apporté aux rebelles syriens par le président déchu Mohamad Morsi.
Moins de trois semaines avant sa destitution, celui-ci avait annoncé le 15 juin la rupture des relations diplomatiques avec le régime de Bachar Al-Assad, et a exhorté la communauté internationale à instaurer une zone d’exclusion aérienne en Syrie, afin de favoriser les rebelles contre les forces gouvernementales.
« La position du Caire est en harmonie avec les principes qui gèrent sa politique étrangère. L’Egypte s’oppose au recours à la force en dehors du droit international lequel ne justifie l’emploi de la force qu’en cas de légitime défense ou de menace à la paix et à la sécurité internationales comme l’indique le chapitre VII de la Charte de l’Onu. Sur la base de ces principes, l’Egypte a participé à la libération du Koweït en 1991, lorsque le Conseil de sécurité s’est prononcé en faveur d’une action militaire, et s’est fermement opposée à l’invasion de l’Iraq en 2003 sans l’aval du Conseil de sécurité », explique le ministre adjoint des Affaires étrangères pour les affaires arabes, Nasser Kamel.
« Nous ne défendons pas le régime de Bachar Al-Assad. Au contraire, nous le condamnons et le tenons responsable de la crise en Syrie. Nous soutenons aussi les aspirations du peuple syrien à la liberté, à la dignité et à la démocratie. Mais nous sommes convaincus que la solution politique est le seul moyen pour mettre un terme à cette tragédie », ajoute Kamel.
« Le renversement du régime d’Assad augmentera les risques de voir le scénario iraqien se reproduire en Syrie, ce qui pourrait servir de base arrière aux terroristes pour semer le chaos dans la région, y compris l’Egypte. Le Caire a intérêt qu’un régime fort d’une légitimité populaire arrive au pouvoir en Syrie afin qu’il puisse affronter les groupes terroristes », explique de son côté Hussein Haridi, ancien ministre adjoint des Affaires étrangères.
Reste à savoir à quel point l’Egypte sera en mesure de garder une position indépendante qui contraste avec celle des Etats-Unis, mais aussi avec l’ensemble des pays du Golfe, notamment l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et le Koweït qui lui ont accordé des aides financières considérables après la déposition de Mohamad Morsi et qui cherchent à tout prix à faire tomber le régime de Bachar Al-Assad.
Concernant les divergences liées à la crise syrienne entre l’Egypte et les pays du Golfe, Haridi estime que les relations entre l’Egypte et ces pays sont « plus fortes que ces différends passagers. L’Egypte a expliqué sa position et les pays arabes l’ont comprise », rassure-t-il.
Pour Walid Kazziha, professeur de sciences politiques à l’Université américaine du Caire, il est normal que la position égyptienne change avec la propulsion de l’armée au devant de la scène et le renforcement des tendances nassériennes. « L’Egypte n’a pas à soutenir Bachar Al-Assad qui incarne un régime despotique mais ne peut pas non plus soutenir des entités comme le front Al-Nosra et l’Armée syrienne libre qui ne représentent aucunement le peuple syrien mais qui représentent plutôt le terrorisme islamiste », dit-il. Quant à l’impact de cette position sur les relations avec les pays arabes, le professeur Kazziha estime que l’Egypte ne doit pas « s’empresser de jouer un rôle d’avant-garde dans le monde arabe tant qu’elle n’y est pas prête. D’ici là, elle se doit d’équilibrer ses prises de position ».
Lien court: