
Les accusations mutuelles laissent peu de place à la réflexion sur la signification de cet attentat.
Un groupe djihadiste basé dans le Sinaï a revendiqué dimanche l’attentat à la bombe, dirigé contre Mohamad Ibrahim, ministre de l’Intérieur, jeudi dernier au Caire, et auquel celui-ci a échappé. Dans un communiqué publié sur le Web, celui-ci a affirmé : « Dieu a permis à nos frères d’Ansar Beit Al-Maqdes de détruire le dispositif de sécurité du meurtrier Mohamad Ibrahim à travers une opération martyre ». Une voiture piégée a explosé au passage du convoi du ministre à proximité de son domicile au Caire, tuant une personne et blessant vingt autres, dont une moitié de civils. Le ministre, qui circulait dans une voiture blindée, est sorti indemne de l’attentat.
Dans le communiqué, Ansar Beit Al-Maqdes, un groupe qui dit s’inspirer d’Al-Qaëda et a revendiqué auparavant des attaques contre Israël, a regretté de « ne pas avoir tué le tyran », menaçant d’une nouvelle attaque contre lui et le chef de l’armée, le général Abdel-Fattah Al-Sissi, à qui le groupe djihadiste reproche d’être responsable de la mort de centaines de partisans du président islamiste Mohamad Morsi lors de manifestations ayant suivi sa destitution par l’armée le 3 juillet.
Deux suspects ont d’ores et déjà été arrêtés. De source sécuritaire, il s’agirait d’éléments intégristes en provenance du Sinaï et qui auraient loué un appartement dans le quartier où réside le ministre, Madinet Nasr. Alors que les enquêtes préliminaires tendent à exclure la piste d’un attentat suicide, privilégiant celle d’un engin téléguidé. Des « terroristes arabes et étrangers » seraient également impliqués dans cet attentat, selon les mêmes sources.
Les Frères nient toute implication
Deux heures après l’attentat, Mohamad Ibrahim est apparu à la télévision pour dénoncer une « tentative lâche ». Faisant allusion à la dispersion sanglante des rassemblements pro-Morsi le 14 août, il a ajouté : « J’avais prévenu qu’il y aurait une vague de terrorisme. C’était prévisible ». Des propos qui ont été interprétés comme une accusation à peine voilée contre la confrérie des Frères musulmans, dont plus de 2 000 membres ont été récemment emprisonnés.
Le gouvernement a réagi en promettant de « frapper d’une main de fer » quiconque menacerait la sécurité nationale. L’armée a condamné l’attaque à son tour, accusant des « terroristes » et réaffirmant son engagement aux côtés de la police pour rétablir la « stabilité » et arrêter les « hors-la-loi ». De son côté, la présidence a dénoncé l’attaque, affirmant qu’elle ne permettrait pas un retour du « terrorisme des années 1980 et 1990, que les Egyptiens ont défait ».
Face à ces accusations officielles, les Frères musulmans ont répliqué en dénonçant un « faux attentat ». Sur le site web Rassd.com, proche des Frères, Mohamad Arafa écrit ainsi : « Aujourd’hui, ceux qui pratiquent la violence en Egypte se limitent à une poignée de groupuscules djihadistes, principalement implantés dans le Sinaï, et à des groupes de délinquants bien connus de la police. Toutes les autres organisations, comme le Djihad et la Gamaa islamiya, ont renoncé à la violence suite à une évolution idéologique ». Pour lui, l’explosion de jeudi soulève bien des questions. « Qui a donc commis cet attentat ?, s’interroge-t-il. De nouveaux groupes isolés qui ont opté pour la violence en réaction à la violence du coup d’Etat ? Ou est-ce plutôt un attentat orchestré par le palais pour mobiliser davantage la rue contre les islamistes ? Cherchez à qui profite le crime ».
Reste que les accusations mutuelles laissent peu de place à la réflexion sur la signification de cet événement. « La violence sévit la plupart du temps lorsque les canaux politiques se ferment, amenant la mort de la politique. Dans une telle situation, ceux qui aspirent au changement n’ont plus d’espoir de parvenir à leurs fins par des moyens pacifiques et légitimes », note de son côté l’écrivain islamiste Fahmi Howeidi. « Depuis deux mois, le discours tourne autour de la violence, du terrorisme et de l’oppression de l’autre, sans un mot sur le dialogue, la réconciliation ou le pardon. Ce n’est pas étrange de récolter ce qu’on a semé », poursuit l’écrivain, qui souhaite que ses propos ne soient pas interprétés comme une justification ou un cautionnement de l’attentat.
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