Les récentes déclarations des responsables turcs reflètent leur volonté d’aller de l’avant dans le dossier de la normalisation avec l’Egypte. Les relations égypto-turques sont rompues depuis environ 9 ans, précisément depuis la Révolution du 30 Juin 2013 qui a mis fin au pouvoir des Frères musulmans en Egypte. Ankara avait adopté des politiques pro-confrérie et allant à l’encontre des intérêts de l’Egypte et de la révolution. Les Egyptiens étaient sortis en masse pour renverser le pouvoir des Frères qui voulaient changer l’identité de l’Etat au profit de leur projet politico-religieux.
Les déclarations turques reflètent une volonté de donner une impulsion à la normalisation des relations avec l’Egypte. Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, avait déclaré en décembre dernier que son pays allait proposer une initiative de rapprochement avec Israël et l’Egypte, semblable à celle conclue avec les Emirats arabes unis. De plus, le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Çavusoglu, a annoncé le 21 avril, lors d’une réunion avec le parti de la Justice et du Développement turc, qu’il allait rencontrer son homologue égyptien, Sameh Choukri, à Istanbul autour d’un iftar organisé en son honneur. Une visite qui n’a toujours pas été confirmée par l’Egypte. Quelques jours plus tôt, Çavusoglu avait révélé à la télévision turque que son pays était sur le point de nommer un ambassadeur en Egypte. Certains médias affirment que ce poste reviendra à Salih Mutlu Sen, ex-représentant de la Turquie auprès de l’Organisation de la conférence islamique.
L’Egypte et la Turquie avaient récemment pris des mesures afin de normaliser leurs relations et régler les questions en suspens. Deux rounds de dialogue ont eu lieu au Caire et à Ankara en mai et septembre 2021 pour sonder les points de vue sur certaines questions. Bien que rien de sérieux n’ait été décidé jusqu’à présent, ces rencontres ont apaisé l’atmosphère tendue des relations et ont mis fin à l’escalade entre les deux pays. Ainsi, les campagnes médiatiques contre l’Egypte ont été arrêtées et certains programmes télévisés diffusés d’Istanbul par les Frères musulmans ont été suspendus par les autorités turques. Des décisions prises en prélude à une reprise officielle des relations diplomatiques, qui se fait toujours attendre.
Les tentatives de rapprochement avec l’Egypte interviennent dans le cadre de la politique de « zéro problèmes » menée par la Turquie au Moyen-Orient après une période de confrontations continues avec des pays comme l’Egypte, l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et enfin Israël. Ces chocs continuels ont isolé Ankara, dont les relations étaient déjà tendues avec les Européens et les Américains en raison des agissements turcs en Méditerranée orientale. Les politiques turques ont eu des répercussions négatives sur le front interne turc avec le recul considérable de la performance économique de la Turquie, et la présence réduite des produits turcs sur les marchés arabes, ce qui a mené à un recul de la monnaie turque à des niveaux record. De plus, les espoirs turcs de rejoindre l’Union européenne ont commencé à se dissiper.
Raison pour laquelle la Turquie s’est empressée de normaliser ses relations avec les Emirats arabes unis. Ankara a aussi normalisé ses relations avec Tel-Aviv et est sur le point de le faire avec l’Arabie saoudite. Cette normalisation reflète le pragmatisme politique turc.
Une normalisation conditionnée
Contrairement à la normalisation avec les Emirats arabes et Israël, qui s’est déroulée sur un court laps de temps, la normalisation avec l’Egypte avance au ralenti. Ceci revient à la nature épineuse des dossiers en suspens entre les deux pays, notamment les Frères musulmans auxquels la Turquie a donné refuge, la Libye ou encore le gaz en Méditerranée.
L’Egypte exige la fin du soutien turc aux Frères musulmans qu’elle considère comme une organisation terroriste. Le Caire exige aussi l’arrêt de toute interférence dans les affaires internes de l’Egypte. Elle demande également le départ des forces étrangères et des mercenaires engagés par Ankara en Libye.
Plusieurs considérations incitent les deux pays à normaliser leurs relations. Premièrement, l’Egypte et la Turquie sont deux grands Etats dans la région et ont un poids politique, économique et militaire important. Une future coopération politique et sécuritaire pourrait donc consolider la sécurité et la stabilité régionales.
Deuxièmement, la coopération économique est un atout, surtout avec les énormes défis auxquels sont confrontées les économies turque et égyptienne. Les deux pays peuvent coopérer pour contrer les répercussions de la pandémie de Covid-19 et celles de la guerre russo-ukrainienne. Notons qu’en dépit de la rupture des relations entre les deux pays ces dernières années, les échanges économiques et commerciaux n’ont jamais cessé et ont même augmenté.
Troisièmement : la coopération entre les deux pays en ce qui a trait aux dossiers régionaux donnera une impulsion à la feuille de route libyenne, au soutien de la cause palestinienne et à la stabilité de la Méditerranée orientale.
Le changement d’attitude turque est plutôt bien accueilli par l’Egypte, qui a tendu la main à la Turquie en attendant des mesures plus concrètes sur la voie de la normalisatio.
*Chercheur au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram
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