La Fédération générale des syndicats ouvriers a rejeté le projet présenté par le ministère de la Main-d’oeuvre régularisant le statut et le fonctionnement des syndicats ouvriers. Il a été également refusé par beaucoup d’hommes d’affaires.
« En autorisant la duplication des formations syndicales pour une même industrie, ce projet de loi risque d’entraîner l’effritement du mouvement ouvrier. D’après les expériences d’autres pays, cet état ne manquera pas d’influencer négativement la production et l’économie nationale », critique Abdel-Moneim Al-Gamal, vice-président de la Fédération générale. « Nous voulons rassembler, non diviser », dit-il.
De son côté, le président de la Fédération générale des chambres de commerce, Ahmad Al-Wakil, a défendu le refus de la clause insistant sur l’importance de n’avoir qu’une seule formation syndicale pour chaque métier, afin de « faciliter le contact et les négociations entre les ouvriers et le patron ».
Cela dit, le projet de loi a garanti aux ouvriers de nombreux droits longtemps revendiqués. Il leur accorde ainsi le droit de s’organiser conformément aux traités internationaux auxquels l’Egypte a adhéré. Tout ouvrier a le droit et la liberté de s’adhérer à une formation syndicale et de s’en retirer, sans avoir à subir des pressions. Les articles 26 et 27 interdisent aux patrons ou à ceux qui les remplacent de prendre des mesures susceptibles de contrecarrer les activités ouvrières ou de pratiquer une discrimination contre des ouvriers pour leur activisme syndical. Toujours en vertu du projet de loi, les syndicats sont le seul représentant des ouvriers devant la justice et dans les négociations avec les chefs d’entreprise. Ils peuvent créer des fonds de cotisation suivant leurs règlements internes, et ne sauraient être dissous qu’en vertu d’une décision de la justice.
Le ministre de la Main-d’oeuvre, Kamal Abou-Eita, militant ouvrier, se dit « surpris » de la réaction des responsables de la Fédération générale des syndicats qui « disent aux médias le contraire de ce qu’ils racontent aux ouvriers ». Selon le ministre, ils auraient accepté et exprimé leur satisfaction quant au projet de loi dans sa dernière mouture.
Rachad Kamel, membre du bureau exécutif de la Fédération syndicale indépendante (formation parallèle à la fédération reconnue par le gouvernement), confirme les accusations du ministre. « Les représentants de la Fédération générale ont accepté le projet de loi avant de le critiquer quelques heures plus tard. Cette union, qui a travaillé pour le compte des gouvernements successifs durant les 50 dernières années et au service des intérêts des hommes d’affaires durant les deux dernières décennies, ne veut pas d’une loi qui tire le tapis sous ses pieds », accuse Kamel. Il explique que la loi proposée donnera le droit aux ouvriers de retirer à titre rétroactif leurs cotisations de la Fédération pour les placer dans leur syndicat de choix. Le nouveau texte donne également aux ouvriers syndiqués de retirer la confiance au conseil de leur syndicat et d’élire un autre. « D’où la position de la Fédération, qui a peur de perdre son emprise financière et celle des hommes d’affaires qui, eux, redoutent la force des syndicats autonomes en leur qualité de défenseurs des droits ouvriers », estime Kamel.
Pour illustrer les doléances des ouvriers qui mènent leur lutte sans protection syndicale, Saoud Omar, un cadre ouvrier à Suez, prend l’exemple d’un dernier acte de révolte dans une usine d’acier de sa ville.
« Les ouvriers avaient entamé une grève le 22 juillet dernier pour revendiquer une hausse de salaire promise depuis 2007 par la direction de l’usine. 15 ouvriers parmi les dirigeants du mouvement de protestation ont été obligés de remettre leur démission alors que 12 autres sont toujours interdits d’accès à l’usine », raconte Omar.
« Ce n’est qu’un épisode dans le feuilleton d’humiliation des ouvriers que la Fédération est supposée défendre. Celle-ci s’est montrée favorable à la consolidation du secteur public dans les années 1960, lorsque l’Etat optait pour le socialisme, et a fait la promotion des privatisations lorsque l’Etat a choisi le libéralisme 30 ans après. Mais cette Fédération n’a jamais envisagé le dédommagement des ouvriers lésés par les privatisations. Elle n’a jamais exprimé sa solidarité avec des ouvriers en grève ou en sit-in. Elle a toujours pris le parti des entrepreneurs », accuse-t-il.
Il reconnaît que le ministre actuel de la Main-d’oeuvre est fidèle à la cause des ouvriers qu’il a toujours défendue. « Abou-Eita mène une course contre la montre pour faire passer cette loi. Il sait que les prochaines élections législatives amèneront des députés appartenant au régime de Moubarak au Parlement. Ceux-ci ne voteront pas de loi favorable aux ouvriers », estime Omar.
Cela dit, il en veut au ministre de céder au chantage de la Fédération générale : « Pourquoi devons-nous rester sous le joug de cette Fédération alors que l’Egypte est signataire de traités garantissant les libertés syndicales ? Le ministre n’a qu’à ignorer cette Fédération comme elle a toujours ignoré les revendications des ouvriers » .
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