Arrestation du guide suprême des Frères musulmans, Mohamad Badie.
Soumis aux critiques de la rue qui leur fait endosser la responsabilité du sang qui coule et faisant face à une campagne d’arrestation sans relâche, les Frères musulmans peuvent-ils survivre ? Les avis divergent sur les scénarios qui attendent ce groupe resté clandestin pendant plus de 80 ans et qui, après une seule année au pouvoir, se retrouve lâché par le peuple. Certains estiment que la confrérie ne pourra pas survivre après avoir « révélé son vrai visage » et appellent à l’inclure sur la liste des organisations terroristes. Alors que d’autres sont d’accord sur l’ampleur de la crise qu’affronte la confrérie mais ne voient pas sa disparition.
Depuis la destitution et l’arrestation du président déchu Mohamad Morsi le 3 juillet, la confrérie des Frères musulmans fait l’objet d’une vaste campagne d’arrestation. La justice a lancé des centaines de mandats d’arrêt contre des membres ou des personnes proches de la confrérie, et les forces de l’ordre ont arrêté des centaines de ses membres. Récemment, un coup fatal lui a été porté : le guide suprême de la confrérie, Mohamad Badie, a été arrêté et devra être jugé pour incitation au meurtre et à la violence. Les forces de sécurité ont aussi mis la main sur d’importantes figures de la confrérie avant leur fuite à l’étranger. Il s’agit de Mourad Ali, porte-parole du Parti Liberté et justice, bras politique des Frères, qui a été arrêté à l’aéroport, Ahmad Abou-Baraka, conseiller juridique du Parti Liberté et justice, Ahmad Aref, porte-parole de la confrérie, Hassan Al-Brince, ex-vice gouverneur d’Alexandrie, et Safouat Hégazi, un influent prédicateur islamiste, représentant un fervent soutien à Mohamad Morsi et qui a été capturé près des frontières libyennes. Suite à l’arrestation de Badie, les Frères ont nommé Mahmoud Ezzat, comme guide par intérim. Ce faucon de la confrérie était à une certaine époque chargé des opérations de liquidation. Une nomination à travers laquelle les Frères visent à prouver qu’ils sont toujours capables de s’organiser et de poursuivre leur lutte mais qui reflète aussi une tendance vers la radicalisation. Dans un communiqué, la confrérie a dénoncé les arrestations en cours les qualifiant de règlement de comptes et s’est engagée à poursuivre la lutte contre le « coup d’Etat militaire contre la légitimité ».
Selon le chercheur Kamal Habib, les récentes campagnes d’arrestation contre la confrérie constituent un coup dur qui affectera sans doute ses capacités d’organisation. « Ce mouvement qui a toujours été organisé de façon pyramidale fait face à un grave problème. L’encadrement de l’organisation a été brisé par la capture de la majorité de ses cadres. L’arrestation des cadres des premiers et deuxièmes rangs a démantelé la hiérarchie de la confrérie. Il est clair que les Frères ne parviendront pas à mobiliser dans la rue leurs partisans par milliers comme auparavant », analyse Habib. Selon lui, la détention des leaders de la confrérie a affecté la dynamique des Frères musulmans mais n’arrêtera pas la violence : « La violence des Frères est stratégiquement liée à leur alliance avec les groupes djihadistes qui, en coopération avec ce qui reste des Frères musulmans, poursuivront les opérations terroristes. Une hypothèse qu’appuie le choix, à la tête de la confrérie, de Mahmoud Ezzat ». Et d’ajouter qu’à cet état de mort clinique, la confrérie risque aussi de perdre le contrôle des jeunes Frères qui constituent le coeur battant du groupe. Ces jeunes actuellement déçus par les dirigeants de la confrérie pourraient être attirés par d’autres mouvements salafistes ou djihadistes.
Alternatives limitées
En un an de pouvoir, les Frères musulmans ont perdu beaucoup de terrain. Ils ont tout fait pour consolider leur pouvoir, et n’ont offert à la population, dont 40 % vit en dessous du seuil de pauvreté, qu’un discours politico-religieux, là où celle-ci attendait du travail, des hôpitaux décents, des écoles qui fonctionnent, et plus de justice sociale. Un an de pouvoir a été donc suffisant pour les décrédibiliser aux yeux de la majorité des Egyptiens. C’est pourquoi le chercheur Kamal Habib estime que leurs alternatives sont limitées. Il pense que la confrérie dans sa forme actuelle ne pourra pas survivre et devra se radicaliser. Il explique que les dirigeants de la confrérie l’ont condamnée à mort par leur rigidité et leur vision bornée. Même après la chute de Morsi, ils avaient une dernière chance de se rallier au processus politique auquel ils ont été invités à participer. « Mais dominée par des dirigeants radicaux adoptant la pensée rigide de Sayed Qotb, la confrérie a opté pour la violence dans une tentative de regagner le pouvoir, qu’ils ont obtenu auparavant par les urnes. Une faute stratégique qui leur a fait perdre ce qui restait du soutien populaire. Dans un tel contexte, les Frères musulmans ne pourront, du moins à court terme, exercer la politique. Aujourd’hui menacés d’exclusion, ils n’ont pas beaucoup d’options hormis la clandestinité », affirme Habib.
D’autres estiment que les Frères musulmans demeurent le mouvement le plus organisé et que la crise qu’ils traversent affectera l’organisation mais m’entraînera pas sa disparition. C’est ce que pense Ibrahim Al-Hodeibi, expert des mouvements islamistes. Il pense qu’après leur premier échec au pouvoir, les Frères seront amenés à revenir avec un nouveau projet politique : « Il s’agit d’un mouvement bien implanté dans la société et qui reste le plus organisé sur la scène politique. Sous les régimes successifs, ils ont résisté à des coups durs et s’en sont sortis ». Toutefois, il trouve inévitable pour les Frères musulmans de renoncer immédiatement à la violence — qui ne leur fera que perdre plus de terrain — et de revoir leur organisation et ses tactiques clandestines. « La première remise en question devrait toucher à la culture du secret, née de décennies de répression, et à l’avidité politique qui a empêché la confrérie de se transformer en un parti ouvert à la société, capable d’engager un dialogue et des négociations aboutissant à des compromis et des partenariats avec d’autres forces politiques », juge Al-Hodeibi.
Les Frères sont aujourd’hui dans l’impasse, rejetés par une bonne partie de la rue qui refuse leur violence. Une réalité dont témoignent chaque jour les accrochages entre les manifestants des Frères et les citoyens anti-islamistes.
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