Al-Ahram Hebdo : Comment percevez-vous la décision du président Sissi de lever l’état d’urgence dans tout le pays ?
Essam Chiha : C’est une décision historique. Pour la première fois depuis les années 1950, l’état d’urgence est levé dans tout le pays, y compris dans les zones frontalières. Une démarche importante qui confirme la volonté de l’Etat d’améliorer la situation des droits de l’homme. De plus, cette décision prouve au monde entier que l’Egypte a rétabli la sécurité et la stabilité. Nous sommes donc au seuil d’une nouvelle République fondée sur les droits et les libertés.
— Sur le plan juridique, quelles seront les conséquences de cette décision ?
— La loi sur l’état d’urgence a été promulguée en 1958 et amendée en 2017. En vertu de la loi, les tribunaux de sûreté de l’Etat statuent dans les procès relatifs au terrorisme, entre autres. Désormais ce ne sera plus le cas, ce sont les tribunaux ordinaires qui se chargeront de ces procès selon le code de procédures pénales.
— Et au niveau des droits et des libertés ?
— Là, il y aura des effets importants. Les droits de rassemblement et de déplacement sont désormais garantis à tout moment et en tout lieu. La mise sous écoute et la surveillance d’Internet ne seront plus autorisées qu’avec l’accord du Parquet général. Il y a aussi la levée des restrictions sur les publications, les journaux et les sites Internet. On peut donc s’attendre à la libération des personnes détenues provisoirement et au retour de tous les sites interdits.
— Quelles sont, selon vous, les législations qui devraient être promulguées après la levée de l’état d’urgence ?
— Le parlement doit concrétiser les objectifs de la stratégie nationale des droits de l’homme à travers des réformes législatives. Je trouve nécessaire qu’un nouveau code pénal soit mis en place pour remplacer celui de 1937, en vigueur jusqu’à présent. Il faut réduire les peines liberticides au profit des amendes financières et des peines non liberticides comme les travaux de service public dans des maisons de retraite, des orphelinats, des hôpitaux et même dans le nettoyage des rues, ceci en cas de diffamation, de délits de publication et de manifestations sans autorisation. Il est important de promulguer la loi sur la libre circulation des informations pour aider les journalistes à accomplir leurs missions avec transparence et liberté. Ces amendements feront que le citoyen ressentira les résultats de l’abolition de l’état d’urgence.
— Comment le Conseil national des droits de l’homme avec sa nouvelle composition traduira-t-il cette nouvelle politique de manière à ce qu’elle soit ressentie par les citoyens ?
— Les organisations des droits de l’homme, avec en tête le Conseil national, jouent un rôle important pour renforcer la culture des droits de l’homme. La tâche principale du conseil est de préserver la dignité du citoyen égyptien, de s’opposer à toute violation de ses droits, de le représenter et de transmettre ses plaintes aux autorités. Plus important encore est le fait de sensibiliser les Egyptiens à leurs droits et à leurs devoirs et de travailler sur le développement institutionnel. Le conseil organise depuis des années des stages visant à sensibiliser les juges, les policiers, les avocats et les journalistes aux principes des droits de l’homme. Cette mission sera poursuivie et étendue.
— Les partis politiques et les ONG profiteront-ils de la levée de l’état d’urgence ?
— Lorsque le président a lancé la stratégie nationale des droits de l’homme, il a appelé les partis politiques et les organisations de la société civile à enrichir l’expérience politique et à former des cadres qualifiés en élargissant les cercles de participation et d’expression, ceci dans une atmosphère d’interaction et de dialogue objectif. C’est un message direct aux partis politiques qui exprime la nécessité de sortir et de se fusionner avec la rue égyptienne. L’Egypte compte plus de 100 partis politiques, dont certains n’apparaissent que pendant les élections législatives puis disparaissent à nouveau de la scène, à l’exception de quelques-uns. Ces partis se plaignaient de ne pas avoir l’opportunité suffisante pour s’imposer dans la rue. Aujourd’hui, à eux de faire leurs preuves via un réel travail communautaire. Il en est de même pour les syndicats, dont le rôle se limite depuis des années à répondre aux besoins de leurs membres. Les ONG, qui sont au nombre de 52 000, jouent par contre un rôle central dans les initiatives gouvernementales liées à l’amélioration des conditions des droits de l’homme, telles « Solidarité et dignité », « Vie décente » et autres. Il leur est pourtant recommandé un rôle encore plus actif, surtout que le président a considéré l’année 2022 comme l’année de la société civile.
— La politique étrangère de l’Egypte sera-t-elle influencée par la levée de l’état d’urgence ?
— La levée de l’état d’urgence transmet à l’étranger des messages positifs sur la sécurité en Egypte. Cette confiance aura surtout un impact sur les investissements et le tourisme. Deux secteurs-clés pour l’Egypte.
— Pensez-vous que toutes les craintes liées à l’état d’urgence puissent disparaître à jamais ?
— Nous sommes face à une étape importante et dangereuse. Avec l’abolition de l’état d’urgence, l’Egypte, avec toutes ses institutions, ses organisations et sa population, doit être extrêmement prudente afin que nous puissions préserver la stabilité et le développement. Les ennemis et les terroristes sont toujours là, et il ne faut pas leur permettre de profiter de la liberté pour semer le chaos. Il faut savoir que ce qui a été annulé c’est l’état d’urgence et non pas la loi sur l’état d’urgence qui existe partout dans le monde. En vertu de cette loi, le président de la République a le pouvoir de rétablir en cas de guerre, d’épidémie ou de catastrophes naturelles l’état d’urgence.
— L’inauguration d’un complexe pénitentiaire à Wadi Al-Natroune répondant aux critères des droits de l’homme reflète-t-elle les nouvelles orientations de l’Etat égyptien ?
— L’état des prisons en Egypte a constamment été sujet d’observations négatives de la part des Nations-Unies et des organisations internationales et égyptiennes des droits de l’homme, et ce, en ce qui a trait à la densité des cellules et à l’ancienneté des bâtiments. Ce nouveau complexe est conforme aux normes internationales des droits de l’homme. Il permet la punition et la réhabilitation des prisonniers et leur apprend des métiers. Il renferme également un complexe de tribunaux pour éviter les déplacements longs des prisonniers, un hôpital et de petits ateliers. Le concept est de faire des prisonniers de bons citoyens et de les traiter selon les principes des droits de l’homme.
Lien court: