Les inondations ont obligé l’Ethiopie à se contenter de 3 milliards de m3 d’eau au second remplissage.
L’Ethiopie a retiré tous ses équipements installés sur le barrage de la Renaissance, annonçant la fin du second remplissage du réservoir, accompli sans accord avec l’Egypte et le Soudan. Addis-Abeba avait envisagé de stocker 13,5 milliards de m3 d’eau mais les experts indiquent qu’elle n’a pas pu emmagasiner plus de 3 milliards de m3 vu que les constructions nécessaires n’étaient pas achevées. Un échec que l’Ethiopie n’a pas reconnu. Addis-Abeba a célébré la fin du second remplissage sans annoncer de détails. Parallèlement, le premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, a adouci le ton envers les pays en aval en assurant que « l’Egypte et le Soudan ne seront pas affectés par le remplissage ». « L’Ethiopie a rempli le barrage pendant la saison des pluies avec prudence et de manière à ne léser aucun pays. Ce projet demeurera un symbole de croissance et de coopération conjointes », a-t-il déclaré. De son côté, Dina Mufti, porte-parole du ministère éthiopien des Affaires étrangères, a qualifié les déclarations du président Abdel-Fattah Al-Sissi sur le barrage, de « positives » affirmant que son pays soutient le développement conjoint.
Nouvelle manoeuvre éthiopienne ou véritable changement de position ? L’ancien ministre de l’Irrigation Mohamad Nasreddine Allam affirme que la position de l’Ethiopie dans le dossier du barrage ne changera jamais. « Les responsables éthiopiens essayent de cacher au monde l’échec du second remplissage. Ils sont conscients de leur faillite et de la corruption liées à cet énorme projet. Mais il serait impossible pour eux de reconnaître cet échec, surtout que le projet du barrage a été la carte gagnante du programme électoral d’Abiy Ahmed lors des dernières élections », explique Allam. De plus, il trouve que la position des grandes puissances sur ce dossier à l’issue de la séance du Conseil de sécurité de l’Onu a poussé l’Ethiopie à modérer son discours. « Cette séance a montré à la communauté internationale les réalités et la légitimité des revendications de l’Egypte et du Soudan », affirme Allam. A l’issue de pourparlers avec le président Sissi, le ministre chinois des Affaires étrangères et le premier ministre britannique, Boris Johnson, ont rejeté les actes unilatéraux de l’Ethiopie. Même chose pour l’Union européenne. De son côté, la Russie a trouvé qu’il était injustifié de lier sa coopération russe militaro-technique avec l’Ethiopie à sa position dans le dossier du barrage. Un communiqué du ministère des Affaires étrangères russe publié cette semaine appelle à ne pas politiser le dossier et à chercher un accord entre les trois pays surtout que le second remplissage est achevé.
Les raisons de l’échec
Selon l’expert Abbas Chéraqi, « l’Ethiopie n’a pas achevé son deuxième remplissage comme elle le prétend mais a été obligée de l’arrêter car les installations sur le barrage n’ont pas été achevées. Le couloir central du barrage qui devait être élevé, selon les dernières déclarations éthiopiennes, à 13 m de hauteur au lieu de 30 m précédemment prévus n’a pas finalement dépassé les 8 m. Une réalité que le gouvernement éthiopien n’a pas annoncée à la population ». Et d’ajouter qu’aucun travail de construction ne commencera sur le couloir central du barrage avant février 2022.
Pour sa part, l’expert hydrique Nader Noureddine trouve que l’insuffisance des études techniques sur le barrage est la principale raison des échecs successifs : « Le second remplissage n’est pas le premier échec éthiopien que les responsables essayent de masquer. Techniquement, le fonctionnement des deux premières turbines du barrage, pouvant fonctionner avec un stockage de 5 milliards de m3 d’eau, a également été retardé. Celles-ci pouvaient déjà générer environ 750 mégawatts d’électricité après le premier remplissage effectué l’année dernière. L’absence d’études techniques détaillées continue à causer de graves problèmes pas seulement au niveau du barrage lui-même, mais surtout au niveau des pays en aval qui pourraient subir des effets catastrophiques, à l’exemple du Soudan ». En effet, le Soudan est menacé de fortes inondations comme ce fut le cas l’année dernière lorsque des torrents ont causé la mort de 117 personnes, détruisant 100 000 maisons et déplaçant environ 600 000 personnes.
Des dangers qui, selon les spécialistes, peuvent être évités si l’Ethiopie s’engage avec bonne intention dans des négociations sérieuses avec l’Egypte et le Soudan. Cette semaine, Mufti a déclaré qu’Addis-Abeba était prête à reprendre les pourparlers sur le barrage une fois que l’Union Africaine (UA), qui parraine les négociations, le déciderait. Elle a pourtant affirmé qu’Addis-Abeba ne signerait aucun accord juridique contraignant permanent sur le barrage. « Des déclarations contradictoires qui témoignent de la persistance de la politique de tergiversation éthiopienne. C’est pourquoi l’Egypte et le Soudan doivent poursuivre les pressions pour reprendre les négociations et parvenir à un accord protégeant les intérêts des trois pays », conclut Allam.
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