Ahmed Eleiba*
Mai 2021, la médiation égyptienne réussit à parvenir à un accord de cessez-le-feu entre les factions palestiniennes et Israël. Octobre 2020, Le Caire joue un rôle pivot dans deux affaires-clés : la conclusion d’un cessez-le-feu en Libye et celle d’un accord historique entre le gouvernement soudanais et des groupes rebelles à Juba, au Soudan du Sud. Parallèlement, l’Egypte ne lésine pas dans ses efforts destinés à trouver une sortie de crise au Liban et continue de jouer un rôle fondamental en Méditerranée orientale, tant sur le plan économique que sécuritaire. Autant d’exemples qui prouvent la force et l’importance du rôle égyptien qui s’étend, avec l’objectif d’assurer la paix et la sécurité régionales. Des efforts qui se poursuivent à plusieurs niveaux : politique, diplomatique et sécuritaire, sans oublier les aides au développement.
Des efforts qui ne sont surtout pas nouveaux. L’Egypte a tout temps joué un rôle pivot dans la région. Il suffit de revenir sur les précédentes interventions du Caire pour arrêter les trois guerres dans la bande de Gaza, en 2009, 2012 et 2014. Ou encore sur son rôle dans la conclusion de l’accord de Skhirat en 2016 sur la Libye, dans le processus de séparation du Soudan et de la création du Soudan du Sud, et dans les discussions de paix au Soudan du Sud en 2013 qui ont mis fin à la guerre civile sud-soudanaise. Sans oublier les relations étroites avec la Grèce et Chypre.
Une histoire certainement riche et un rôle de plus en plus activé ces derniers temps. Or, la question primordiale qui s’impose avec les conjonctures actuelles est : pourquoi, maintenant, le rôle régional de l’Egypte a-t-il revêtu ce dynamisme et en quoi diffère-t-il de ses efforts précédents ? En fait, ce dynamisme égyptien s’est reflété simultanément dans plusieurs aspects, notamment à Gaza, mais aussi en Libye, un dossier dans lequel l’Egypte a joué un rôle central, coordonnant les efforts régionaux et internationaux.
Implication sur le long terme
Ce qui est fondamental et ce qui est commun à tous ces exemples est l’implication égyptienne dans les phases de l’après-règlement et ses tentatives non seulement de préserver ses acquis, mais d’aller au-delà. A Gaza, par exemple, il n’était pas uniquement question de parvenir à une cessation des hostilités, mais l’objectif ultime était de remettre sur les rails le processus de paix en état de gel depuis des années. En Libye, Le Caire porte un oeil attentif sur l’application des calendriers de la feuille de route mise en place lors de la Conférence de Berlin et la concrétisation des résultats de la rencontre de Genève en février 2021, afin de mener à bien la période transitoire. Que ce soit dans l’un comme dans l’autre de ces deux dossiers, et parallèlement aux volets politique et sécuritaire, Le Caire contribue aux efforts de reconstruction et de développement économique, et ce, afin de créer un climat favorable à la stabilité politique. Par exemple, l’Egypte a promis de consacrer 500 millions de dollars d’aide à la reconstruction à Gaza, « avec des entreprises égyptiennes pour mener les travaux ». Le Caire a également envoyé des aides médicales et alimentaires dans la bande de Gaza via le point de passage frontalier de Rafah. L’ouverture exceptionnelle de cette frontière pendant le conflit a également permis d’acheminer des blessés palestiniens vers des hôpitaux égyptiens.
De nombreux accords et protocoles ont été signés en Libye par les premiers ministres égyptien et libyen en avril 2021. Une autre expérience égyptienne prometteuse est celle du partenariat avec le Soudan du Sud. Et ce n’est pas tout. Il y avait des expériences similaires en Iraq suite à la première guerre du Golfe et au Liban après la guerre civile, lorsque l’Egypte y a établi le premier réseau d’électricité d’après-guerre.
Un poids régional aux multiples facettes
La realpolitik impose les cadres de la politique étrangère de l’Etat selon une équation qui pèse le coût et l’apport de chaque intervention. Et en se penchant sur les évolutions du dynamisme égyptien, on remarque que le rôle du pays dans les volets de la politique étrangère et des activités militaires est lié aux fondements de la sécurité nationale et s’inscrit dans le cadre de la sécurisation des intérêts vitaux du pays. Car il ne fait aucun doute que le déclenchement de conflits dans la région a des répercussions sur l’Egypte. Qu’il s’agisse de Gaza ou de la Libye, avant que l’Egypte ne contrôle ses frontières, tous les deux représentaient une menace sécuritaire à l’Egypte. Il en est de même avec les tendances stratégiques des Etats voisins en Afrique qui avaient également leur impact. Notamment comme il a été le cas au Tchad après l’assassinat du président Idriss Déby, ou encore en Ouganda, au Kenya et au Burundi. Et il est probable qu’il existe une priorité au niveau de la coopération sécuritaire et militaire dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et la sécurisation des frontières.
Toutes ces coopérations dénotent un nouveau stade de relations multilatérales égyptiennes et prennent en considération les intérêts des forces collaboratrices dans ces relations qui expriment les intérêts mutuels.
Parallèlement aux opérations de sécurisation et de protection des intérêts vitaux égyptiens de la sécurité nationale au niveau régional, une autre équation s’impose, celle de « l’équilibre stratégique régional », évoquée par le président Abdel-Fattah Al-Sissi, dans un discours prononcé en février 2021. Il faisait allusion au succès de l’Egypte à réaliser l’équilibre stratégique tout en tenant compte de ses intérêts régionaux à la lumière des mutations et conjonctures régionales profondes. Cette région qui est non seulement perturbée voilà plus d’une décennie, mais qui est aussi sujette à davantage de secousses. L’Egypte ne s’est jamais engagée dans l’arène des conflits régionaux en dehors des cadres et des règles considérant sa sécurité nationale. Il est digne de dire qu’en général, l’Egypte vise à réduire le degré de tensions sur les fronts enflammés, voire à coopérer avec les forces régionales et internationales dans le but de préserver l’équilibre. A cet effet, les manoeuvres militaires effectuées par l’Egypte dans la région sont une manifestation reflétant une bonne compréhension de ces équilibres. Au mois de mai, l’Egypte a mené 5 manoeuvres sur différents fronts : terrestre, maritime et aérien, qui viennent confirmer le poids de l’Egypte et le rôle de ses forces armées à préserver l’équilibre stratégique régional et international.
Puissance et efficacité
Le rôle régional de l’Egypte rappelle la célèbre loi de l’énergie selon laquelle « l’énergie ne peut être ni créée ni détruite ». Les facteurs qui aident à cela sont l’emplacement géopolitique du pays, ses ressources naturelles et humaines et son crédit civilisationnel et culturel. La force du rôle égyptien est liée à sa capacité d’instrumentaliser ses sources de forces globales avec efficacité. C’est ce que nous appelons « la base de la force ». Il est digne de mentionner que cette force est le fruit d’un effort sur lequel l’Egypte a travaillé assidûment au cours des 7 dernières années et l’action continue dans le domaine de la politique étrangère. D’autant que cette dernière est l'une des normes de la force absolue.
En d’autres termes, il est possible de dire que la force est la devise des relations internationales dynamiques et le miroir de la performance de l’Etat et sa capacité de gérer des acquis naturels comme l’emplacement géographique, les ressources économiques et humaines, outre la cohésion de son front interne et la capacité à réaliser la volonté nationale, à assouvir les besoins, à procurer la sécurité et à protéger les intérêts vitaux de l’Etat.
Dans un autre contexte, on pourrait assimiler le rôle de l’Egypte à « la capacité à contraindre ». Comment est-il possible de contraindre une partie ou neutraliser une autre dans un quelconque conflit et de le rediriger d’un volet de guerre à un tout autre consistant à instaurer la paix ? Dans ce contexte, il faut invoquer les outils de la force douce et la force tout court. Pour ce qui est des capacités militaires, on remarque que l’Egypte ne s’est pas engagée dans des conflits régionaux bien que, selon les normes mondiales, elle détienne le meilleur arsenal régional. Et ce, à l’heure où il existe des forces régionales qui ont, intentionnellement, militarisé la politique étrangère et ont transformé la région en une arène de conflits.
Ceci nous amène à parler des calculs de l’Egypte dans le cadre de ses capacités contraignantes et destinées à investir la force militaire comme un outil de répression stratégique. Comme cela a été le cas en Libye, par exemple, il est question de contenir le rôle militaire des forces entravant la paix. Quant à la guerre de Gaza, la force du rôle égyptien émane de tous ces facteurs précités. Cependant, le développement des outils du rôle égyptien a pratiquement permis de contraindre les deux parties belligérantes, palestinienne et israélienne, à accepter l’initiative égyptienne sans être forcées, sur la base de l’équilibre des relations égyptiennes avec les côtés palestinien et israélien.
Ajoutons également à cela le crédit international dont dispose Le Caire et sa capacité à donner des garanties et à devenir un pôle d’attraction pour les autres parties internationales. Cela a été remarqué au niveau de l’évolution des relations égypto-américaines aussi bien que dans la réponse des forces régionales à ce même schéma, qui se voit clairement dans le nouveau tournant qu’ont pris les relations égyptiennes avec le Qatar et la Turquie.
*Expert au Centre égyptien de la pensée et des études stratégiques
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