Le compte à rebours a commencé avant la date prévue pour le deuxième remplissage du barrage de la Renaissance prévu mi-juin, alors que l’Egypte, le Soudan et l’Ethiopie peinent toujours à trouver un consensus sur la question du barrage. Bien au contraire, les provocations éthiopiennes se poursuivent sans prendre en considération les intérêts des pays en aval et ne font qu’aggraver la situation. Cette semaine encore, la tension était palpable entre les trois pays. Dans un communiqué publié le 21 mai, l’Egypte a réitéré son refus des provocations éthiopiennes. « Nous refusons toute mesure unilatérale que l’Ethiopie pourrait prendre dans le dossier du barrage de la Renaissance, y compris le remplissage unilatéral pendant la saison des inondations en juin prochain », a affirmé le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Ahmad Hafez, en réponse aux propos du ministre éthiopien des Affaires étrangères sur l’intention de l’Ethiopie de terminer le remplissage du barrage même si les trois pays n’arrivent pas à un accord sur son remplissage et son exploitation. « Aucune force ne peut empêcher le deuxième remplissage », a déclaré le ministre éthiopien.
Hafez a affirmé que « les déclarations éthiopiennes révèlent à nouveau les mauvaises intentions d’Addis-Abeba et ses tentatives de faire avorter les efforts menés actuellement par des médiateurs internationaux et africains pour résoudre cette crise, ainsi que sa volonté d’imposer un fait accompli aux deux pays en aval, ce que l’Egypte n’accepte pas et n’acceptera jamais ». Et d’ajouter que la poursuite du remplissage est un comportement irresponsable et une violation flagrante de la déclaration de principes conclue par les trois pays en mars 2015.
Les observateurs estiment que la crise du barrage de la Renaissance traverse une étape critique où il est devenu urgent pour les trois pays de chercher à s’entendre pour parvenir à un accord politique et technique qui met fin aux désaccords. « L’Egypte a dès le lancement de ce projet soutenu le développement de l’Ethiopie lorsque ce projet était destiné au développement, et non à d’autres objectifs », explique l’ancien ministre de l’Irrigation Mohamad Nasr Allam. Et d’ajouter : « Malheureusement, aujourd’hui, l’Ethiopie manipule politiquement le projet du barrage pour gagner l’opinion publique et le ralliement de la rue en Ethiopie. Ce n’est pas tout, au niveau des négociations, les manoeuvres d’Addis-Abeba visent actuellement à gagner du temps jusqu’à la date du deuxième remplissage ». Sur la même longueur d’onde, Hani Raslan, conseiller au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, pense que le refus de l’Ethiopie de conclure un accord contraignant avec l’Egypte et le Soudan sur le remplissage et l’exploitation du barrage signifie que les négociations entre les trois parties de ces dix dernières années n’ont aucune valeur. Il poursuit : « L’Ethiopie tente d’imposer aux pays en aval un accord partiel uniquement sur le second remplissage. C’est un accord très dangereux que les pays en aval ont toutes les raisons de refuser », explique-t-il. « Avec le deuxième remplissage, le réservoir du barrage contiendra 18,5 milliards de m3 d’eau. A ce moment, ni l’Egypte ni le Soudan n’auront d’autres alternatives que de négocier avec l’Ethiopie, qui persistera dans son intransigeance encore plus qu’elle ne le fait actuellement ».
Dans son communiqué, le ministère des Affaires étrangères affirme : « L’Egypte s’est armée de patience, et a agi avec sagesse et responsabilité. Elle a négocié pendant une décennie avec sérieux et bonne foi pour parvenir à un accord juste et juridiquement contraignant sur le barrage de la Renaissance, de manière à réaliser les intérêts des trois pays et à garantir les droits hydriques de l’Egypte, alors que la partie éthiopienne a poursuivi une politique fondée sur la procrastination, ce qui a conduit à l’échec de toutes les négociations menées ces dernières années ».
Trois scénarios
L’Egypte a commencé effectivement à se préparer aux répercussions de la construction de ce barrage. Dans une récente déclaration, le ministre de l’Irrigation, Mohamad Abdel-Ati, a signalé que l’Egypte s’attend à trois futurs scénarios en fonction de l’ampleur de la crue annuelle du Nil. Le premier scénario, c’est une crue importante qui se traduira par une grande quantité d’eau dans le lac du Haut-Barrage. Dans ce cas, l’Egypte pourra faire face au deuxième remplissage en toute sécurité. Le deuxième scénario, selon le ministre, est celui d’une crue moyenne, et dans ce cas, l’Egypte recevra une quantité d’eau inférieure à la normale en raison du stockage des eaux par l’Ethiopie dans le barrage de la Renaissance. Le troisième scénario, qui est le pire, est celui d’une sécheresse qui surviendrait en même temps que le deuxième remplissage.
Le ministre a également fait savoir que l’Egypte a besoin de 7,5 milliards de m3 d’eau supplémentaires d’ici 2050 pour répondre à la croissance de sa population, sachant qu’au cours des 10 dernières années la population a augmenté d’environ 25 millions de personnes. « L’Egypte dispose actuellement de 60 millions de m3 d’eau par an, dont 55,5 milliards provenant du Nil, tandis que nous avons besoin annuellement de 80 milliards de m3 », assure-t-il. « C’est pour cette raison que le deuxième remplissage équivaut à une sécheresse à laquelle l’Egypte sera confrontée », a affirmé le ministre, soulignant la nécessité de trouver un accord qui tienne compte des intérêts de toutes les parties.
L’Egypte a déjà commencé à mettre en place un plan B. C’est ce qu’explique l’expert hydrique Abbas Chéraqi, affirmant que cela ne signifie pas accepter le fait accompli. « L’Egypte ne peut pas attendre pour tenter d’alléger les répercussions négatives du remplissage. Par exemple, l’Egypte s’est retrouvée obligée de prendre certaines mesures notamment la réduction des cultures de riz et de cannes à sucre, ce qui causera une perte de presque 3 milliards de L.E. L’Egypte a également dépensé au cours des deux dernières années 100 milliards de L.E. pour le revêtement des canaux d’eau, afin d’éviter le gaspillage. En plus de dizaines d’autres projets de dessalement de l’eau de mer. Tous ces projets sont coûteux et ne permettront pas de compenser les quantités d’eau détournées par l’Ethiopie », explique Chéraqi.
Le fardeau financier et agricole n’est pas le seul prix payé par l’Egypte, Alaa Al-Zawahri, membre du Comité de négociation avec l’Ethiopie, affirme : « Nous sommes face à une situation choc. Qu’il s’agisse du premier ou du second remplissage, les deux ont un impact sur l’Egypte et le Soudan, et cela incitera l’Egypte à utiliser l’eau stockée dans le réservoir du Haut-Barrage, pour éviter que les citoyens ne soient affectés par la pénurie d’eau tout en s’engageant à poursuivre les négociations ». « L’eau stockée dans le réservoir du Haut-Barrage est destinée à faire face aux années de sécheresse naturelle. Cela dit, nous serons face à un risque grave, si une sécheresse naturelle se produit ».
Indispensables négociations
Pour Ahmad Amal, président du département des études africaines au Centre égyptien de la pensée et des recherches, malgré l’absence d’un réel médiateur international, l’affaire du barrage est au centre des réunions et des conférences internationales, comme cela a été le cas lors du dernier Sommet de financement des économies africaines à Paris. « Cette internationalisation verse dans l’intérêt des pays en aval, qui ont besoin de soutien. Mais cela ne minimise pas l’importance du retour aux négociations, qui restent le seul moyen de parvenir à un accord », assure-t-il. Dans ce contexte, l’Egypte et le Soudan doivent simultanément inciter l’Union africaine, qui parraine les négociations, à inviter toutes les parties à la reprise immédiate des négociations pour tenter de parvenir à un accord, conclut Amal.
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