Ahmed Eleiba
Les égyptiens, notamment les nouvelles générations, ont le droit de savoir ce qui se passe actuellement au Sinaï et ce qu’effectue l’armée égyptienne depuis quelques années. Pour répondre à cette question, il suffit de comparer entre la situation au Sinaï il y a plusieurs décennies et ce qu’est devenue la péninsule aujourd’hui, pour comprendre ce qu’a fait l’Etat égyptien. Nos forces armées ont réussi, en coopération avec la police, à purifier le Sinaï de la majorité des groupes terroristes dans le cadre de l’opération globale « Sinaï 2018 ». Une opération qui a constitué un tournant décisif dans la guerre contre le terrorisme et qui a réussi à faire régresser quantitativement et qualitativement les opérations terroristes.
Convaincu plus que jamais que la sécurité doit aller de pair avec un plan de développement durable de la péninsule, l’Etat a lancé l’opération globale de développement au Sinaï, le 25 février 2018, et lui a consacré un budget historique de 600 milliards de L.E. Une somme dédiée à l’exécution de 994 projets dans les domaines d’infrastructures, de développement économique et d’amélioration des services de santé et d’enseignement. Des projets qui prennent en considération les dimensions sociales et la composante sinawie, dans le but de rendre le Sinaï un terrain accueillant pour tous les Egyptiens et non pas comme auparavant une zone isolée.
Pour faire une lecture objective des évolutions au Sinaï, il faut revenir un quart de siècle en arrière, pour connaître les changements sécuritaires et politiques survenus au niveau local et régional et qui ont rendu le lancement de ces deux opérations globales une nécessité, mais aussi une fierté pour l’armée égyptienne.
En fait, depuis les années 1980 et jusqu’à la dernière décennie, la ligne frontalière égypto-palestinienne très étroite, d’environ 14 km, a vu des menaces sécuritaires persistantes sous différentes formes. Un dilemme sécuritaire menaçant directement la sécurité nationale, d’où l’intérêt porté par l’Etat, notamment depuis la Révolution du 30 Juin 2013, et ce, pour trois principales raisons.
Tout d’abord, la décision d’agir avec cette menace revient à l’existence d’un projet stratégique en Egypte après le 30 juin, celui de rétablir le prestige de l’Etat fortement secoué par les troubles connus par le pays depuis 2011. De plus, l’Etat a jugé primordial de reconsidérer la menace sécuritaire, notamment après la montée de Daech. A cela s’ajoute que les frontières occidentales avec la Libye sont devenues une source de menace pour la sécurité nationale égyptienne à cause de l’effondrement de la situation sécuritaire en Libye et la propagation des opérations de trafic d’armes et des éléments terroristes, sachant que les organisations terroristes Daech et Al-Mourabitoun en Libye procuraient des armes et des aides logistiques aux organisations terroristes implantées au Sinaï.
L’époque des menaces
La nouvelle ville de Rafah, symbole du développement du Sinaï.
Dans les années 1980, le retour total du Sinaï à l’Egypte lui a imposé des arrangements communs avec Israël, dont le déploiement limité des garde-frontières. Et ceci, alors que les tunnels reliant la bande de Gaza au Sinaï représentaient un dilemme sécuritaire surtout pour Israël. C’est depuis mi-2007, date de prise par le Hamas du pouvoir à Gaza, qu’Israël a commencé à transférer les crises frontalières à l’Egypte. Jusqu’à cette époque, il semble qu’il n’existait de vision globale ni sur l’ampleur de la menace que représentaient ces tunnels pour la sécurité nationale égyptienne, ni sur la façon d’agir avec ce problème, sans nuire aux relations avec les Palestiniens. L’incident qui a eu lieu en 2008 était une sorte de sonnette d’alarme, lorsque des dizaines de milliers de Palestiniens ont envahi les frontières égyptiennes dans la direction du Sinaï. A l’époque, la décision était de ne pas les empêcher. Mais l’Egypte avait alors commencé à reconsidérer la stratégie du contrôle des frontières. Une mesure qui n’a commencé à se concrétiser que depuis août 2009, avec le déclenchement d’affrontements entre le Hamas et des organisations qui lui sont hostiles. Il est probable que le Hamas ait envisagé de faire entrer des éléments des organisations du salafisme djihadiste de l’autre côté de Rafah dans les profondeurs égyptiennes. Et c’est justement depuis cet événement que les autorités égyptiennes ont commencé à mettre en place des mesures aptes à contrôler les frontières, dont la construction d’un mur en acier doté d’appareils de surveillance pour fermer les frontières. Mais le Hamas a eu recours aux tunnels. Une crise qui s’est aggravée avec le chaos sécuritaire au Sinaï depuis la Révolution de 2011 et l’émergence des organisations des « salafistes djihadistes » qui avaient des contacts avec leurs branches similaires en Palestine.
Le dilemme de Rafah
Depuis 2011 et jusqu’à mi-2013, avec l’effondrement de la situation sécuritaire en Libye, les plus grands dépôts d’armes au monde ont été ouverts et les réseaux de trafic se prolongeaient des frontières libyennes jusqu’au Sinaï. Or, à l’encontre de ce qui s’est passé au niveau régional, aucune organisation terroriste n’a pu étendre son pouvoir sur n’importe quelle partie du Sinaï, à aucune phase. Sur fond de cette menace, l’Egypte a commencé à exercer des pressions sur le Hamas pour arrêter le trafic d’armes via les frontières, et ce, en parallèle avec le lancement de l’opération militaire antiterroriste au Sinaï « Le droit du martyr ». En revanche, Le Caire avait commencé à ouvrir les frontières avec la bande de Gaza, lançant le message que l’Egypte n’admettra pas le passage illégal via les tunnels qu’elle a décidé de fermer définitivement.
Les études ont démontré la nécessité d’évacuer la ligne frontalière occupée par des constructions aléatoires, dont certaines donnaient sur Rafah du côté palestinien. Ce qui a été véhiculé par certains en tant qu’accord égypto-israélo-américain sur la modification de la ligne frontalière égyptienne de façon à octroyer une partie du Sinaï à la bande de Gaza, dans le cadre du règlement du conflit palestino-israélien. Or, ceci est complètement faux.
La vérité c’est que les circonstances et les menaces existantes exigeaient le réaménagement de l’ancienne ville de Rafah qui a été évacuée dans le cadre d’un plan comprenant un nombre de règlements nets et clairs. De même, les procédures règlementant cette évacuation, ainsi que le rôle des municipalités au recensement des bâtiments et des habitants qui seraient évacués ont été fixés avec précision pour barrer la route aux groupes hostiles à l’Etat de véhiculer l’idée qu’il s’agit de « déplacement forcé ». Un terme qui ne convient pas à la réalité des faits à Rafah conformément à la loi internationale, aux accords de Genève de 1949 et leurs protocoles annexés en 1977.
Voici pourquoi, tout d’abord, au début du projet de réaménagement de la nouvelle ville de Rafah, il a été annoncé que 1 milliard de L.E. d’indemnités allaient être versées. Des réglementations ont été également fixées pour indemniser les habitants déplacés en leur donnant le choix entre le retour à la nouvelle ville ou l’installation dans d’autres régions. Les habitants de Rafah n’étaient pas tous propriétaires des maisons où ils habitaient. Nombreux étaient des locataires et il leur a été permis d’obtenir de nouveaux appartements selon le système à loyer modéré. Ce sont les municipalités et les représentants de la société civile au Sinaï qui ont vérifié et déterminé ceux qui méritent l’obtention de ces logements. D’ailleurs, les indemnisations ont englobé les fermes qui ont été évacuées, dans le cadre de l’installation de la zone de sécurité sur la bande frontalière. Selon le rapport du Conseil national des droits de l’homme publié en janvier 2021, le total des indemnités a atteint 3,5 milliards de L.E. Il s’agissait donc d’un réaménagement et non pas de déplacement forcé, sachant aussi que la nouvelle ville de Rafah a été construite à quelques kilomètres de l’ancienne ville.
Dans un entretien avec le gouverneur du Nord-Sinaï, ce dernier a déclaré que 626 immeubles comprenant 10 000 appartements étaient en cours de construction dans la nouvelle ville de Rafah, en plus de 409 maisons bédouines. De plus, des parcelles de terre seront octroyées aux jeunes, comme c’est le cas dans le reste des gouvernorats égyptiens dans le cadre du plan de l’expansion urbaine. Par ailleurs, alors que les habitants de Rafah souffraient de pénurie d’eau, l’Etat a installé deux stations d’eau potable produisant un total de 11 000 m3 au lieu des 50 000 m3 d’eau potable transportés quotidiennement via des moyens primitifs, dans le cadre du développement de Rafah. Une visite sur terrain dans la nouvelle ville de Rafah a permis de constater que la première phase de construction a été achevée et que les entrepreneurs ont entamé la seconde phase. L’Etat égyptien, après le 30 juin, a ainsi réussi à changer la donne.
*Expert au programme de la sécurité et de la défense au Centre égyptien de la pensée et des études stratégiques
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