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Planning familial : Nouvelle stratégie, gros espoirs

Amira Doss, Dimanche, 11 avril 2021

Un engagement direct de l’exécutif et une gamme de mesures diverses et ciblées, tous les facteurs sont réunis pour que le nouveau projet de développement de la famille soit une réussite. Objectif: mettre fin une fois pour toutes au fléau de l'explosion démographique.

Planning familial  : Nouvelle stratégie, gros espoirs

Une approche nouvelle pour un fléau ancien. C’est ainsi qu’on peut qualifier la nouvelle politique de l’Etat à l’égard du problème angoissant de l’explosion démographique. De nouveau, la question est à l’avant. Cette fois-ci, il ne s’agit pas seulement d’une prise de conscience du danger d’une démographie galopante et de ses conséquences, mais surtout d’une façon différente d’aborder le sujet. Eviter les erreurs du passé, élaborer une stratégie globale et radicale, changer les lois qui entravent l’autonomisation de la femme, lancer des mesures d’incitation et de motivation économiques, opter pour un message médiatique plus intelligent… Une gamme de procédures sont au rendez-vous. Le tout dans un contexte d’une politique démographique qui repose sur la qualité de vie.

Un nouveau cri d’alarme est officiellement lancé. Le président de la République est déterminé à éradiquer le problème. Le premier ministre préside les réunions des comités qui examinent le dossier et qui oeuvrent actuellement à élaborer les touches finales du projet. La croissance inédite de la population fait naître de fortes inquiétudes. Les scénarios liés au risque de surpopulation et au partage des ressources circulent. L’Egypte a franchi, en février 2020, la barre des 100 millions d’habitants. C’est le troisième pays le plus peuplé d’Afrique après le Nigeria et l’Ethiopie. Le pays devrait atteindre les 160 millions en 2050. Le discours est de plus en plus alarmiste. Et la peur de cette explosion démographique est à son paroxysme.

Tirer les leçons du passé

Face à cet état des lieux, le constat est le suivant: les programmes classiques de limitation des naissances n’ont pas vraiment fait preuve d’efficacité. Et pourtant, l’Egypte a commencé depuis les années 1960 l’institutionnalisation du contrôle de naissances, la fondation du Conseil national du planning familial date de 1965. Malgré cela, la natalité continue de dessiner une courbe très erratique. « Il fallait d’abord se poser la question : qu’est-ce qui n’allait pas dans ces anciennes stratégies avant de réfléchir à d’autres substituts? Et ce, pour ne pas tomber dans le même piège », relate Dr Amira Tawadros, présidente du Centre des études démographiques dépendant du ministère de la Planification. Elle travaille actuellement avec des représentants de différents ministères, afin de proposer une stratégie compréhensive pour mettre fin à ce fléau. « Nous avons étudié les politiques adoptées par les pays qui partagent le même problème et qui ont des conditions socioéconomiques semblables aux nôtres. Les cas les plus réussis sont ceux qui ont adopté un ensemble de lois et de mesures ayant orienté les comportements démographiques de leurs populations et qui ont des effets directs sur la qualité de la vie des citoyens », explique Dr Tawadros. D’où le nom accordé au projet qui ne cite pas le planning familial, mais surtout « le développement de la famille ». Et même s’il s’agit d’encourager la contraception et d’inciter au contrôle des naissances, l’astuce est différente. Relever l’âge minimum du mariage, renforcer les sanctions en cas de mariage précoce des filles, ainsi qu’en cas du travail des enfants, améliorer les services de santé, promouvoir l’éducation et le travail de la femme, tels sont les leviers du projet.

« Nous allons proposer au parlement des amendements de certaines lois. Par exemple, nous suggérons qu’en cas de mariage précoce de la fille, non seulement c’est le notaire qui sera condamné comme c’est le cas actuellement, mais aussi le père, le tuteur et les témoins du contrat de mariage. Les femmes qui se marieront plus tard souhaiteront des familles moins nombreuses. Toute mesure allant dans le sens de la promotion du statut de la femme aura un impact sur la baisse du nombre d’enfants qu’elle souhaitera avoir », explique Dr Tarek Tawfik, vice-ministre de la Santé et responsable du dossier de la population. Ce qui explique pourquoi l’axe le plus important de ce projet national portera sur le statut de la femme, sur sa participation à la force de travail et l’élévation de son niveau d’éducation.

Le défi: la question du nombre d’enfants est une affaire strictement privée et les individus sont censés être libres en ce qui concerne le choix de leur descendance. La plupart des sociétés rurales, qui constituent plus de la moitié de la population, reste fidèle à la tradition des familles nombreuses. Les enfants sont une assurance pour les vieux jours, une source de main-d’oeuvre ou de richesse quand on a bien marié ses filles. Comment donc convaincre ce chef de famille qu’une famille réduite est préférable à une famille nombreuse ?

Un souci d’équilibre délicat entre les sensibilités religieuses, les traditions familiales, les obligations économiques et une vision moderniste du monde. D’après Dr Tawadros, il va falloir opter pour des solutions adaptées au contexte culturel. « Nous ne pourrons pas changer les mentalités du jour au lendemain. Mais nous pourrons par contre offrir une série de privilèges au père de famille qui ne dépassera pas 2 ou 3 enfants. Les programmes de contrôle de naissance mis en place depuis des dizaines d’années ont été peu performants, car ils n’ont pas donné d’alternatives aux familles modestes qui voient dans leur progéniture un investissement économique », explique-t-elle.

Agir autrement

Pour la première fois, le discours officiel et les besoins du citoyen vont aller de pair. Parmi les mesures d’incitation figurent un encouragement économique et un système de récompenses financières destinés aux familles qui limiteront leur descendance à un certain nombre. « Nous ne sommes pas encore définitifs par rapport à la forme de ces récompenses et à la façon dont elles seront allouées. Des retraites, des sommes annuelles, des crédits, les propositions sont variées. Nous avons étudié le cas de l’Inde et de la Malaisie qui ont instauré un système d’épargne où les avantages ne sont perçus que si le nombre d’enfants maximal n’a pas été dépassé », explique Dr Tarek Tawfik.

D’autres pays comme la Chine ou Singapour ont opté pour des mesures très strictes qui consistent à pénaliser financièrement les familles dont le comportement procréateur diffère de celui imposé par l’Etat, comme la suppression du congé de maternité au-delà du 3e enfant, le retrait des priorités d’accès au logement bon marché et la suppression des allocations familiales.

Or, il faut être subtil lorsqu’il s’agit de cette frontière assez délicate entre liberté reproductive et intervention de l’Etat. D’où l’importance d’une campagne médiatique bien étudiée. Si le thème de « la petite famille vit mieux » n’a pas réussi à persuader les Egyptiens, il va falloir changer de message et de ton. Le développement, la dignité humaine et le bien-être seront mis en valeur. « Pourquoi faire tant d’enfants quand on ne peut pas les nourrir ? ».

Recourir aux stratégies de marketing et de communication persuasive sera nécessaire pour motiver les individus à changer d’opinions et de comportements, tout en véhiculant un message implicite. Et ce, pour éviter une réaction contraire et une résistance à l’idée. « Il va falloir d’abord éliminer l’hypothèse qui dit qu’une forte population est un potentiel et un investissement. Car une fois de plus, il s’agit de la qualité de cette population. Je ne peux pas empêcher un père de famille aisé à avoir un grand nombre d’enfants, puisqu’il va les inscrire tous dans des écoles privées, il va leur offrir les soins de santé nécessaires. D’ailleurs, lors de nos sondages, nous avons été surpris de constater que les familles qui habitent le quartier aisé du Nouveau Caire sont celles qui ont tendance à avoir le plus grand nombre d’enfants. Ce n’est pas ce genre de naissance qui nous inquiète, car il ne représente pas de fardeau pour les ressources de l’Etat », explique Tawadros.

Aujourd’hui, l’Etat est conscient qu’il faut agir autrement. Si tout le monde s’accorde sur le fait que le taux d’accroissement démographique actuel entrave tous les plans de développement, les politiques démographiques appropriées sont à revoir. Des mesures indirectes, mais particulièrement plus efficaces, la progression de l’urbanisation, l’expansion de la scolarisation, des facteurs qui influencent le rythme de croissance démographique. Le développement humain sera donc au centre des réflexions lors de l’élaboration de ce nouveau projet. « Dans un contexte de réduction de la croissance démographique, tout investissement dans les services de base, la réduction du chômage et la lutte contre la pauvreté devraient se traduire à long terme par une amélioration du niveau de vie du citoyen. C’est ainsi que la nouvelle politique démographique doit faire partie intégrante d’une politique plus générale de développement social et économique dont l’objectif primordial consiste à améliorer la qualité de vie des citoyens », indique Dr Tarek Tawfik.

Un ensemble de politiques

Dans de nombreux pays, les programmes de contrôle de naissance seuls n’ont souvent eu pour effet que de rendre plus facile l’accès aux moyens contraceptifs. Or, ce n’est pas là la question majeure. Les résultats ont été beaucoup plus positifs lorsque les facteurs socioéconomiques associés à la croissance démographique ont été pris en compte. « Si certains pays ont adopté des politiques autoritaires, d’autres ont choisi des méthodes plus incitatives. Mais ce sont les politiques les plus implicites qui ont été les plus efficaces et dont les objectifs ne visent pas de changement démographique, mais surtout ses effets, ainsi que les liens entre ces politiques démographiques avec l’ensemble des politiques sociales, sanitaires, scolaires, dans un processus de développement », explique Amr Hassan, ex-président du Conseil de la population.

En Occident, la baisse de fécondité en l’absence de programmes spécifiques ou de campagnes en faveur de la contraception en est la preuve. « C’est ce qu’on appelle la théorie de la transition démographique, qui attribue la baisse à la volonté des parents suite à des changements socioéconomiques générés par la modernisation, dont l’urbanisation, l’emploi et la baisse de mortalité. Cette modernisation, qui a transformé les structures économiques et sociales, a amené à des changements dans la structure familiale et en retour une baisse de la fécondité », ajoute Hassan.

Il est vrai qu’on est encore loin de ce modèle et que chaque enfant est perçu comme un don de Dieu, peu importe le nombre, mais l’idée reste la même. Tout programme de limitation des naissances sera voué à l’échec s’il n’arrive pas à motiver les personnes concernées. Le changement des idées, des opinions et des comportements est un long chemin. Mais enfin, les solutions proposées sont adaptées à la structure actuelle de la société et à ses obligations .

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