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Mossad Abdel-Atty : L’Egypte ne veut qu’appliquer le droit international

Chaïmaa Abdel-Hamid, Mardi, 23 mars 2021

Expert en droit international et spécialiste des affaires africaines, Mossad Abdel-Atty fait le point sur le sort du dossier du barrage éthiopien de la Renaissance et sur les éventuels scénarios à venir. Entretien.

Mossad Abdel-Atty

Al-Ahram Hebdo : Dix ans après le lancement du projet du barrage de la Renaissance, l’Ethiopie opte toujours à l’escalade. Comment concevez-vous les derniers développements de ce dossier litigieux ?

Mossad Abdel-Atty : Au cours de ces 10 années de négociations, l’Ethiopie est restée intransigeante et a poursuivi la violation des règles du droit international et des traités internationaux. Ce qui a mené aujourd’hui à une situation menaçant la sécurité en eau de l’Egypte et du Soudan, surtout que l’Ethiopie tente d’imposer le fait accompli en annonçant qu’elle entend procéder au second remplissage sans accord préalable. Et c’est ce qu’a fustigé cette semaine le communiqué du ministère des Affaires étrangères, qui a étayé, par des arguments juridiques, la légitimité des droits hydriques de l’Egypte. Le communiqué étaye les principes du droit international régissant les fleuves internationaux qui représentent une propriété commune des états riverains.

— Quel sera l’impact d’un tel acte unilatéral ?

— Il compliquera la situation de plus et constituera une violation flagrante de la déclaration de principes de 2015 et de la Charte des Nations-Unies sur la paix et la sécurité régionale. Dans ce cas, l’Egypte et le Soudan auront le droit de déposer une plainte auprès du Conseil de sécurité, réclamant l’application du chapitre 7 de la Charte des Nations-Unies. Il s’agira d’exiger à l’Ethiopie l’arrêt de tout travail de construction ou de remplissage jusqu’à parvenir à un accord. Il s’agit aussi de mettre le Conseil de sécurité devant ses responsabilités juridiques et politiques de préserver la paix et la sécurité internationales.

— Mais le Conseil de sécurité est-il en mesure d’obliger l’Ethiopie à se conformer à ses décisions ?

— Le Conseil de sécurité dispose de nombreuses options. Il peut publier une résolution contre l’Ethiopie ou émettre une simple recommandation. Le chapitre 6 de la charte concerne le règlement des différends par des moyens politiques pacifiques, telles les négociations et la médiation, par le recours à des moyens judiciaires, tel l’arbitrage, ou à la Cour internationale de justice. Quant au chapitre 7, il donne au Conseil de sécurité le droit d’imposer des sanctions, dont l’embargo naval et aérien, l’imposition de sanctions économiques et même le recours à la force armée et la prise de décisions directes concernant l’obligation de l’Ethiopie à la suspension du remplissage et la poursuite des négociations.

— L’Egypte a réussi à obtenir le soutien de 155 Etats membres de l’Onu sur une déclaration appelant à une vision internationale au sujet des questions de l’eau. Quelle est l’importance de cette déclaration ?

— Approuver une telle déclaration pourrait être considéré comme une étape internationale sans précédent sur la voie de la défense des intérêts hydriques stratégiques de l’Egypte. De plus, en ce moment critique où les négociations sont bloquées, l’Egypte a voulu, à travers cette mobilisation, mettre l’accent sur les principes du droit international relatifs aux fleuves internationaux qui soutiennent sa position de l’Egypte vis-à-vis de ce dossier.

— Pensez-vous que des modifications s’imposent aujourd’hui sur les lois régissant les fleuves internationaux ?

— Au contraire, il y a des constats et des principes dans le droit international des fleuves internationaux en matière de son utilisation, l’affirmant comme propriété conjointe et qu’aucun pays ne peut, comme le prétend l’Ethiopie, avoir le droit de souveraineté territoriale sur eux. La Convention des Nations-Unies de l’année 1997 sur les cours d’eau, qui est entrée en vigueur en 2014, inclut ces principes, dont le plus important est le principe de la notification préalable avant tout projet, la coopération entre les Etats riverains, sans nuire à leurs intérêts, l’engagement aux études de l’impact environnemental et la sécurité des constructions. Cette réunion confirme ces principes auxquels l’Egypte veut faire appel. L’Egypte ne veut qu’appliquer le droit international.

— Quelle lecture faites-vous sur la demande officielle du Soudan réclamant la médiation des Nations-Unies et des Etats-Unis via un quartet international ?

— Malheureusement, en droit international, la médiation doit être acceptée par toutes les parties en conflit. L’Ethiopie, qui est bien consciente de cette condition, tente de réduire le rôle des médiateurs évoqués dans l’article 10 de la Déclaration de principes à une simple observation. Vu l’intransigeance éthiopienne, on ne peut pas beaucoup miser sur cette médiation proposée.

— Les acteurs internationaux sont-ils aptes de faire pression sur l’Ethiopie ?

— S’il existe une volonté sincère de la part de ces parties d’intervenir pour résoudre ce différend, ou au moins de pousser l’Ethiopie à accepter la médiation ou reporter le remplissage et l’achèvement des négociations, ils peuvent le faire. Il existe de nombreuses entreprises européennes et allemandes qui fournissent les turbines de barrage à l’Ethiopie, il y a aussi un grand soutien financier européen pour les projets éthiopiens. Ses aides peuvent représenter une carte de pression très efficace sur l’Ethiopie. Quant à la position de Washington, elle se révèle ambiguë, surtout qu’ils viennent de lever les sanctions financières imposées sur Addis-Abeba.

— Existe-t-il des cas similaires de conflits qui ont fini par être été résolus ?

— Après une longue guerre entre l’Inde et le Pakistan au sujet du fleuve Indus, la Banque mondiale a réussi à les persuader de signer un traité réglementant l’utilisation de l’Indus et d’y établir des projets hydriques de profit commun. La Cour internationale de justice a examiné un différend en 1997 entre la Hongrie et la Slovaquie, concernant la construction de barrages sur le Danube et a certifié que les pays riverains devraient respecter les accords fluviaux internationaux et s’engageraient à mener des études d’impact sur l’environnement. Ces exemples confirment l’intégrité et la légitimité de la position juridique égyptienne.

— Quand l’Egypte peut-elle recourir à la Cour internationale de justice ?

— Il existe deux voies à suivre : la première, que les trois pays acceptent de recourir au tribunal pour régler le différend en cours ; la deuxième, que le Conseil de sécurité émet une recommandation aux trois pays de recourir à la Cour pour régler leurs différends. Cette recommandation n’est pas contraignante, mais en cas de refus, l’Ethiopie sera considérée comme un pays menaçant la paix et la sécurité internationale et peut subir des sanctions. Or, l’Egypte préfère toujours la voie des négociations.

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