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Barrage de la Renaissance : Vers une médiation internationale ?

Chaïmaa Abdel-Hamid, Mardi, 02 mars 2021

Alors que Le Caire et Khartoum soutiennent la formation d’un quartet international pour jouer le rôle de médiateur, la République Démocratique du Congo (RDC), présidente en exercice de l’Union africaine, tente de relancer les négociations sur le barrage de la Renaissance. Explications.

Barrage de la Renaissance : Vers une médiation internationale ?
Le ministre des Affaires étrangères, Sameh Choukri, a reçu, le 24 février, le coordinateur de l’unité congolaise chargée des affaires de l’Union africaine accompagné de sa délégation.

Le coordinateur congolais chargé des affaires de l’Union Africaine (UA), le Pr Alphonse Ntumba Luaba, était en visite en Egypte, le 24 février, pour discuter de la question du barrage de la Renaissance avec le ministre des Affaires étrangères, Sameh Choukri, et une délégation égyptienne. Une première intervention de la République Démocratique du Congo (RDC), en tant que présidente de l’UA (depuis le 6 février). Selon le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Ahmad Hafez, Choukri a affirmé, lors de la réunion, qu’il attendait avec intérêt le rôle important que la RDC peut jouer pour parvenir à un accord juridique contraignant sur les règles de remplissage et de fonctionnement du barrage, prenant en compte les intérêts des trois pays. Hafez a également annoncé que le ministre avait discuté avec la délégation congolaise de la proposition soumise par le Soudan et soutenue par l’Egypte de développer le mécanisme de négociation à travers la formation d’un quartet international qui comprend, outre l’UA, les Etats-Unis, l’Union Européenne (UE) et les Nations-Unies. Ce quartet devrait parrainer les négociations sous les auspices et la supervision du président congolais, Félix Tshisekedi, pour faire avancer les négociations et faciliter la conclusion d’un accord le plus tôt possible. A cet effet, le vice-ministre des Affaires étrangères pour les affaires africaines, Hamdi Loza, s’est réuni, le 25 février, avec les ambassadeurs des pays arabes et européens au Caire pour les informer des derniers développements du dossier du barrage et de la vision de l’Egypte.

Addis-Abeba toujours aussi intransigeante

Des démarches qui interviennent alors que les négociations sont bloquées depuis janvier et que l’Ethiopie opte toujours pour l’escalade. Le ministre éthiopien de l’Eau et de l’Irrigation, Seleshi Bekele, a déclaré cette semaine que l’Ethiopie procédera au second remplissage au mois de juillet prochain. « Le barrage sera opérationnel d’ici 2023 comme prévu et le taux de son achèvement passera de 78,3 % à 82 % à la fin de cette saison », a-t-il dit. Une procédure unilatérale catégoriquement rejetée par l’Egypte et le Soudan, qui affirment qu’elle affectera gravement leur sécurité hydrique et qu’elle se contredit avec l’itinéraire des négociations, ainsi qu’avec la déclaration de principes de 2015 exigeant de parvenir à un consensus entre les trois pays sur les règlements de remplissage et d’exploitation du barrage éthiopien, de façon de préserver les intérêts des trois pays. Le ministre de l’Irrigation, Mohamad Abdel-Ati, a averti que la sécheresse prolongée à laquelle le plateau éthiopien pourrait être exposé affecterait l’Egypte et le réserve du Haut-Barrage. Selon les estimations, l’Egypte devrait enregistrer entre 14 et 22 % d’eau en moins, et 30 % des terres agricoles égyptiennes pourraient devenir arides, en fonction de la rapidité de remplissage du barrage éthiopien.

D’énormes dégâts que les deux pays en aval tentent d’éviter surtout que l’efficacité du barrage éthiopien est toujours en question. Cette semaine, le ministre de l’Irrigation, Mohamad Abdel-Ati, a déclaré : « L’efficacité du barrage de la Renaissance ne dépassera pas les 30 % des taux de production annoncés ». « Déjà 4 des 16 turbines du barrage sont sorties de service en raison de leur incapacité de produire de l’électricité », a expliqué Abdel-Ati. Quant au Soudan, il estime que ce remplissage unilatéral « menacera la vie de la moitié de la population du centre du Soudan », a prévenu Yasser Abbass, ministre soudanais de l’Eau.

D’où l’importance d’internationaliser le dossier en ce moment critique comme l’estime Mohamad Nasr Allam, ancien ministre de l’Irrigation, indiquant que l’Egypte et le Soudan sont d’accord sur les bases de reprise des négociations. « La proposition de médiation de ce quartet international garantira la neutralité des médiateurs puisqu’il renferme différentes organisations internationales, qu’aucun des trois pays ne pourra accuser de partialité. Or, sa formation se révèle difficile sans le consentement de l’Ethiopie qui opte toujours pour l’intransigeance », explique Allam. De son côté, Ayman Abdel-Wahab, expert des affaires africaines au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, trouve que le recours à la médiation de ce quartet revient à l’échec de l’UA à parvenir à un consensus entre les trois pays. « S’il est formé, ce quartet disposera de tous les moyens de relancer les négociations, à condition qu’il joue un rôle de médiateur et non pas simplement d’observateur. Les Etats-Unis, l’UE et l’Onu ont une grande expérience que l’UA en termes de résolution des conflits régionaux. D’autant plus que l’Onu a des réserves contre Addis-Abeba, suite à la guerre menée dans la région du Tigré et peut, par conséquent, faire pression sur l’Ethiopie pour arrêter son intransigeance et ses provocations », estime l’expert.

Pour le moment, le dossier reste entre les mains de l’UA et un éventuel quartet restera sous la supervision de celle-ci. C’est pour cela que l’Egypte et le Soudan misent toujours sur l’UA et sur un rôle plus actif sous la nouvelle présidence de la RDC. Dans des déclarations faites le 7 février dernier, le président Abdel-Fattah Al-Sissi s’est dit confiant que « l’UA, sous la direction du président de la RDC, Félix Tshisekedi, contribuera à faire avancer les efforts pour parvenir à l’accord souhaité d’une manière qui tienne compte des intérêts des parties concernées et préserve les droits de l’Egypte sur l’eau du Nil ». Depuis sa présidence de l’UA en février, la RDC a dépêché plusieurs délégations en Egypte, au Soudan et en Ethiopie afin de donner un coup de pouce aux négociations bloquées. Selon l’ambassadeur Mohamad Hégazi, ancien vice-président pour les affaires africaines, le soutien de l’UA à la proposition de la formation d’un quartet international est un indice positif que la RDC entend réaliser un succès dans ce dossier. Il souligne que l’Egypte est toujours engagée en faveur de la médiation de l’UA et s’attend à une avancée palpable au dossier du barrage sous la présidence de la RDC, surtout que les efforts de l'Afrique du Sud n’ont pas abouti. « La RDC est parfaitement consciente de l’ampleur du problème et des dangers qui peuvent résulter d’un remplissage sans accord. Donc on peut estimer que la présidence congolaise va déployer tous les efforts, et surtout en toute neutralité, pour rapprocher les points de vue entre les trois pays, même si cela se fait à travers la participation au quartet proposé », explique Mohamad Hégazi. Et de conclure : « L’Egypte possède toujours une dernière carte en main, celle de recourir au Conseil de sécurité. Mais elle préfère, jusqu’à présent, faire toutes les tentatives de parvenir à un accord sous l’égide de la médiation africaine ».

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