Le président Abdel-Fattah Al-Sissi a effectué une visite les 6 et 7 décembre en France à l’invitation du président français, Emmanuel Macron, qui s’était rendu en janvier 2019 en Egypte. Outre le Sommet Sissi-Macron tenu lundi à l’Elysée, l’agenda de la visite comprenait une rencontre dimanche soir au Quai d’Orsay avec le chef de la diplomatie, Jean-Yves Le Drian, une rencontre avec le président de l’Assemblée nationale, la ministre de la Défense et le président du Sénat (voir sous-encadré).
C’est en grande pompe que le président Sissi a été reçu en France par les responsables français, mais aussi par les Egyptiens résidant en France. Son cortège a été escorté lundi par 141 chevaux de la Garde républicaine jusqu’au Palais de l’Elysée pour rencontrer le président Macron, qu’il a rencontré dans la soirée pour un dîner officiel.
Une visite qui revêt une importance particulière au niveau des relations bilatérales, mais aussi au niveau des dossiers régionaux qui intéressent les deux pays. Les points de convergence entre Paris et Le Caire sont nombreux. Les deux pays jouent dans le même camp en Libye et en Méditerranée orientale. La lutte contre le terrorisme est une priorité absolue pour la France comme pour l’Egypte, les deux pays se partagent aussi la même vision sur le conflit israélo-palestinien, alors que le renforcement de la coopération bilatérale économique, commerciale, militaire et culturelle est une volonté mutuelle qui s’est concrétisée par maints accords et partenariats (voir entretien).
Convergence sur les dossiers régionaux
Le Sommet Sissi-Macron, tenu lundi à l’Elysée, a été suivi d’une conférence de presse conjointe. « Mes entretiens élargis avec mon ami le président Macron ont été marqués par la franchise et la transparence, et ont reflété la convergence de nos points de vue sur de nombreuses questions bilatérales et régionales », a déclaré le président Sissi, expliquant que la situation en Méditerranée orientale, au Moyen-Orient et dans la région du Sahel a constitué des dossiers prioritaires sur leur table de négociations, en raison des « énormes défis et des menaces croissantes qui pèsent sur la sécurité de nos deux pays et de nos intérêts mutuels ». De son côté, le président Macron a estimé que « cette visite témoigne de la relation exceptionnelle et amicale qui prévaut entre les deux pays », soulignant l’importance du partenariat entre son pays avec l’Egypte. « Alors qu’une crise sanitaire, économique et sociale sans précédent s’est abattue sur le monde et que certaines puissances tentent de déstabiliser les équilibres régionaux, je crois pouvoir dire que notre partenariat stratégique avec nos amis égyptiens est plus que jamais essentiel », a déclaré Macron. Il a de même souligné l’importance de la coordination avec l’Egypte sur les dossiers régionaux d’intérêt commun, avec en tête la situation en Libye, où un cessez-le-feu fragile est observé depuis le 23 octobre, et en Méditerranée orientale où la Turquie poursuit ses provocations. « Nous travaillons avec l’Egypte pour stabiliser la Méditerranée et pour faire avancer le dialogue libyen », a affirmé Macron dont le pays a des relations tendues actuellement avec la Turquie.
Concernant la poursuite des provocations turques en Méditerranée orientale et l’ingérence de la Turquie en Libye, le président Sissi a souligné le « rôle important de la communauté internationale pour s’opposer aux politiques provocatrices de certaines puissances régionales qui ne respectent pas les principes du droit international et de bon voisinage, et qui soutiennent les organisations terroristes et alimentent les conflits dans la région ». Les deux présidents ont été aussi d’accord sur la nécessité de « poursuivre les efforts pour régler pacifiquement les différends régionaux conformément aux résolutions de légitimité internationale et d’oeuvrer à créer une atmosphère propice pour la reprise des négociations de paix entre Palestiniens et Israéliens sur la base de la solution des deux Etats, avec comme objectif l’établissement d’un Etat palestinien sur les frontières de 1967 ayant Jérusalem-Est comme capitale », a indiqué le président Sissi.
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La crise libyenne a été l’un des principaux sujets de la rencontre entre les deux présidents. Le président Sissi a souligné qu’« une solution politique globale reste le seul moyen de parvenir à la stabilité dans ce pays et de préserver son intégrité territoriale ». Il a réaffirmé la nécessité du démantèment des milices armées et de la sortie de toutes les forces étrangères hors de Libye conformément à ce qui a été convenu lors des réunions de la commission militaire « 5+5 ». De son côté, Macron a salué le rôle fondamental de l’Egypte dans la crise libyenne, appelant au respect du cessez-le-feu, au lancement d’un forum de dialogue politique et à la reprise pleine et entière de la production pétrolière. « Nous constatons des évolutions qui vont dans le bon sens, mais celles-ci sont menacées par des puissances régionales qui ont décidé de faire de la Libye le théâtre de leur influence », a fustigé Macron. L’Iran a été l’un des sujets évoqués par les deux présidents, de même que le Sahel et le Liban, ainsi que les relations économiques entre l’Egypte et la France, mais aussi la coopération face à la crise du COVID-19. « Les derniers développements des négociations sur le barrage de la Renaissance et les efforts égyptiens visant à parvenir à un accord juridique contraignant et équilibré sur le remplissage et l’exploitation du barrage, tenant compte des intérêts de l’Egypte, du Soudan et de l’Ethiopie, ont été également évoqués avec le président Macron », a déclaré le président Sissi.
Booster la coopération bilatérale
Les deux présidents ont convenu de renforcer les relations bilatérales dans divers domaines et de coordonner les efforts en matière de lutte contre le terrorisme. « Nos négociations ont porté sur les moyens de relever le niveau de la coopération bilatérale dans les domaines politique, militaire, économique et culturel. Une coopération qui a connu un grand essor ces dernières années », a indiqué le président Sissi, précisant qu’il a passé en revue avec le président Macron le développement de la coopération économique, commerciale et en matière d’investissement entre les deux pays (voir encadré). « Il est question d’accroître les investissements français en Egypte, notamment à la lumière des opportunités offertes par les méga-projets. Nous sommes aussi d’accord sur la nécessité de booster les échanges commerciaux entre nos deux pays de façon à réaliser un certain équilibre permettant à l’Egypte d’augmenter ses exportations vers la France. Nous avons également convenu de renforcer la coopération bilatérale dans les domaines de l’éducation, de l’enseignement supérieur, des télécommunications, de l’intelligence artificielle, de la transformation numérique, du transport, de la santé et des infrastructures », a affirmé le président Sissi, ajoutant qu’il s’est mis d’accord avec son homologue français sur l’augmentation du tourisme français vers Louqsor, Assouan, Hurghada et Charm Al-Cheikh, soulignant les mesures de prévention strictes prises par l’Egypte pour contrer le Covid-19.
Droits de l’homme, racisme et islamophobie
Les droits de l’homme et l’islamophobie, deux dossiers qui ont témoigné d’un échange entre les deux présidents. Répondant à une question sur l’impact du dossier des droits de l’homme en Egypte sur les relations entre les deux pays, Macron a indiqué qu’il avait évoqué cette question avec le président Sissi « comme on le fait entre amis et avec toute franchise ». Et d’ajouter : « Je reste l’avocat constant d’une ouverture démocratique, sociale et de la reconnaissance d’une société civile dynamique et active », a souligné Macron, saluant la libération jeudi de trois dirigeants de l’Initiative égyptienne pour les droits personnels (EIPR).
En revanche, le chef de l’Etat français a catégoriquement refusé de lier les droits de l’homme à sa coopération avec l’Egypte en matière de défense. « La France ne conditionnera pas aux droits de l’homme sa coopération en matière de défense avec l’Egypte, car une telle politique affaiblirait Le Caire dans la lutte contre le terrorisme », a déclaré Macron. « Vous nous parlez de cette question comme si nous étions des dictatures qui ne respectent pas les gens. L’Etat égyptien se bat pour construire l’avenir de son peuple dans des conditions extrêmement difficiles. Nous n’avons rien à craindre et rien ne nous embarrasse », a déclaré le président Sissi, notant qu’il existe en Egypte 55 000 ONG.Concernant les efforts de renforcement des droits de l’homme, il a affirmé la promulgation d’une nouvelle loi sur les ONG pour faciliter leur travail et renforcer leurs capacités financières. A cela s’ajoute l’élaboration, en coopération avec les organisations de la société civile, d’une stratégie nationale intégrale des droits de l’homme. Le président a déclaré qu’il avait eu un dialogue approfondi avec le président français sur les questions des droits de l’homme, du racisme et de l’islamophobie. « Il faut faire l’équilibre entre la sécurité et la stabilité internes et la préservation des valeurs des droits de l’homme dans leur sens global », s’est expliqué le président Sissi. Par ailleurs, il a souligné la nécessité de conjuguer les efforts de lutte contre l’extrémisme, le terrorisme et le racisme, et l’importance « de ne pas lier l’islam au terrorisme commis sous sa bannière ». « Nous avons abordé nos efforts continus pour créer un mécanisme collectif international de lutte contre les discours de haine et l’extrémisme, avec la participation d’institutions religieuses de tous bords dans le but de diffuser les valeurs de la paix humaine et d’établir les fondements de la tolérance et de la coexistence pacifique entre les peuples », a ajouté le président Sissi.
La question des caricatures
La crise des caricatures du prophète Mohamad en France a été aussi sujette à un échange entre les deux présidents. Macron a répété que les caricatures étaient l’expression d’une presse libre et non pas un message de la France aux musulmans. « Ne le prenez pas comme une provocation du président de la République ou du peuple français », a-t-il déclaré. Se dressant à nouveau contre l’insulte des prophètes, le président Sissi a, quant à lui, estimé qu’il fallait faire prévaloir les valeurs religieuses sur les valeurs humaines. « Les valeurs humaines sont faites par l’Homme et peuvent être changées, alors que les valeurs religieuses sont d’origine céleste et sont sacrées, elles ont la suprématie sur tout. Mettre à pied d’égalité les valeurs humaines et religieuses nécessite un débat calme et objectif », a répliqué le président Sissi, renouvelant son rejet à l’insulte des prophètes. « La valeur de l’homme est supérieure à tout », a répondu Macron. Un échange qui montre les divergences philosophiques entre la France et l’Egypte, alliées de longue date.
Au-delà des ces divergences, les deux présidents se sont dits favorables au renforcement de leurs relations sur tous les volets. « Je souhaite remercier le président d’un très grand pays arabe et musulman, l’Egypte, de nous avoir fait l’honneur de sa visite », a déclaré Macron à la fin de la conférence de presse, annonçant que d’importants accords de coopération bilatérale dans plusieurs domaines seront signés à l’occasion de cette visite.
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