Le 16 mars 2011, Hillary Clinton s'était rendue sur la place Tahrir, épicentre de la Révolution du 25 Janvier, après la chute du régime de Moubarak.
La décision du président américain, Donald Trump, de déclassifier les courriers électroniques de l’ancienne secrétaire d’Etat et candidate démocrate à la Maison Blanche, Hillary Clinton, a provoqué un séisme politique dont les effets se sont étendus à la région arabe et l’Egypte. Ces courriers révèlent beaucoup sur la politique arabe de l’Administration américaine à cette époque. Ils montrent les liens entre l’Administration de l’ancien président américain, Barack Obama, et son Parti démocrate avec le Qatar et les Frères musulmans dans le cadre de ce que l’on appelle le « chaos créatif ».
Il s’agit en tout de 35 500 courriels, soit 1 779 pages incluant des personnalités politiques américaines et arabes. Ils montrent clairement que Washington a soutenu les Frères musulmans et les partis extrémistes pour accéder au pouvoir en Egypte, en Tunisie et en Libye. « Beaucoup dans le monde arabe soupçonnaient l’Administration Obama d’avoir alimenté les révolutions du printemps arabe, et qu’elle a joué un rôle important dans le soutien des mouvements de l’islam politique, en particulier, les Frères musulmans, mais il manquait des preuves. Aujourd’hui, ces courriels ne laissent aucun doute que cette Administration a pavé le terrain aux révolutions du printemps arabe pour répandre le chaos dans la région », affirme Walid Phares, un ancien conseiller politique de Trump pour les questions du Moyen-Orient.
Liaisons dangereuses
La conspiration du Qatar, par son bras médiatique, la chaîne Al-Jazeera, et des dirigeants des Frères musulmans d’Egypte pour renverser le régime de l’ancien président défunt, Hosni Moubarak, durant la Révolution de Janvier 2011, est l’une des principales révélations des courriers de Clinton. Dans un courriel envoyé par Al-Jazeera à l’adjointe du secrétaire d’Etat, la chaîne exprime l’espoir de voir Obama « maintenir sa position favorable au soulèvement de la rue en Egypte ». Ce courriel est daté du 29 janvier 2011, le jour où le président américain a annoncé son soutien aux manifestants en Egypte contre Moubarak. Dans un autre courriel, Mme Clinton demande au Qatar de financer les soulèvements du printemps arabe par le biais de la « Fondation Clinton » pour les aider à renverser les régimes arabes, en particulier celui du président Moubarak. La Fondation Clinton a reçu 1 million de dollars du Qatar sans informer le département d’Etat de ce don. Wadah Khanfar, l’ancien directeur de la chaîne Al-Jazeera, était en contact étroit avec Clinton dans les jours qui ont précédé la chute du régime de Moubarak. Fin 2010, il a exhorté les responsables de l’Administration Obama à intervenir pour changer les régimes en Egypte, en Libye et en Syrie. Dans un autre message daté du 29 janvier 2011 à des responsables au Département d’Etat, Khanfar demande aux Etats-Unis d’intervenir après que le régime de Moubarak eut décidé de rompre les connexions Internet et de fermer le bureau d’Al-Jazeera au Caire. Le lendemain, Clinton a publié une déclaration publique demandant le rétablissement d’Internet. Clinton s’est aussi rendue à Doha et a rencontré une délégation de la chaîne Al-Jazeera et des dirigeants des Frères musulmans en Egypte, selon un courriel daté de septembre 2012. Lors de cette visite, elle a soutenu la demande de la confrérie que Qatar finance « une chaîne télévisée des Frères musulmans » pour être la voix de l’islam politique dans le monde arabe. Le Qatar était prêt à financer cette chaîne à hauteur de 100 millions de dollars. Clinton a également évoqué la possibilité que le Qatar finance un journal régi par les Frères musulmans en Egypte.
La trahison des Frères
Les contacts entre Mohamad Morsi et Clinton entre 2011 et 2013 montrent le plan des Frères de créer un « Etat parallèle ». En 2011, lorsque Morsi était membre du bureau de la guidance de la confrérie avant la fondation du parti des Frères, il était en contact avec Clinton par l’intermédiaire de l’ambassade américaine au Caire. Ce que l’on retient dans ces documents, c’est que Morsi, devenu président en 2012, informait régulièrement les Américains des détails de ses rencontres avec les dirigeants des institutions souveraines, dont l’armée. A titre d’exemple, il a informé l’ambassade américaine que « le général Abdel-Fattah Al-Sissi, ministre de la Défense à cette époque, a ordonné aux renseignements militaires de suivre les activités du parti salafiste d’Al-Nour, suite à des attaques perpétrées dans le Sinaï par des salafistes djihadistes ». Il s’est plaint à l’Administration Obama que des aides américaines soient allouées à l’armée et non pas au président de la République. C’est ce qui explique aujourd’hui pourquoi après la chute des Frères, les Etats-Unis ont gelé partiellement, en octobre 2013, les aides militaires annuelles à l’Egypte estimées à 1,3 milliard de dollars avant de les rétablir en mars 2015. Dans un courriel datant du 14 juillet 2012 sur une rencontre Clinton-Morsi, il fut question de « la dissolution et de la recomposition » du ministère égyptien de l’Intérieur et du système judiciaire, des pourparlers qualifiés de « secrets », selon le courriel. La tension était à son apogée en 2012 entre le régime des Frères, la police et la justice. Les partisans de Morsi ont assiégé le siège de la Haute Cour constitutionnelle pour contester sa décision de dissoudre l’Assemblée du peuple dominée par les islamistes. Morsi a aussi sollicité l’aide des Etats-Unis face à l’éclatement de la contestation contre son régime. « La réussite ou l’échec de mon régime dépend directement de la capacité d’instaurer un Etat islamiste modéré capable de travailler avec l’Occident et servir ses intérêts », a écrit Morsi dans une lettre adressée à l’Administration Obama. Le 13 septembre, il a informé l’ambassade américaine que « les manifestations hostiles à son régime prennent de l’ampleur ».
Selon le politologue Tarek Fahmy, ces courriels ne révèlent rien de nouveau mais confirment l’ampleur du plan de l’Administration américaine et des Frères musulmans visant à créer un nouveau Moyen-Orient, où il n’y a pas de place à la stabilité. « Ils montrent à quel point les Frères musulmans représentaient une menace pour la sécurité nationale de l’Egypte. Ils ont divulgué les secrets des institutions souveraines et ont négocié avec Washington des questions critiques qui portent atteinte à la souveraineté du pays et l’intégrité de ses territoires. Les messages sur la dissolution des institutions-clés de l’Etat pour les recomposer avec des groupes islamistes et des milices armées confirment que les Frères sont des traîtres à la patrie », fustige Fahmy. Il salue la Révolution du 30 juin 2013 qui a sauvé l’Egypte de ce sort macabre. Fahmy trouve en outre que les courriels montrent qu’à l’encontre de ce que prétendait l’Administration américaine, celle-ci s’est attelée à bâtir un régime religieux en Egypte qui a coûté cher au pays et a failli le faire basculer dans un bain de sang. « Le simple fait que les dirigeants d’un groupe fondamentaliste religieux, qui ne représentait pas le gouvernement, discutent avec les Américains de projets de développement du pays était un coup de poignard à l’Etat civil et à l’opposition laïque à l’époque », estime le politologue, commentant les messages entre Clinton, Anne Patterson, Bill Taylor et Al-Chater sur le projet d’Al-Nahda (Renaissance) de Morsi avant son élection.
Fahmy affirme qu’avec la publication de ces courriels, l’Egypte se méfiera certes de l’élection d’une nouvelle Administration américaine démocrate dont les plans au Moyen-Orient ont été révélés au grand jour. « Mais vu l’importance des relations entre les deux pays, l’Egypte ne doit pas adopter une position hostile vis-à-vis d’une éventuelle Administration démocrate », pense Fahmy. Et de conclure : « La realpolitik finira par s’imposer. Les deux pays sont des alliés stratégiques et ont des intérêts mutuels » .
Le faux pari de Washington
Pourquoi Washington voulait autonomiser les islamistes et les aider à accéder au pouvoir dans certains pays arabes ? Selon Ahmed Kamel Al-Béheiry, chercheur spécialiste de l’islam politique, au CEPS d’Al-Ahram, cette volonté revient à la conviction de Washington que c’est la répression de l’islam politique dans le monde arabe qui a fortifié les tendances radicales et a poussé des extrémistes comme Ossama Bin Laden à mener les attaques du 11 septembre aux Etats-Unis. « L’idée a commencé sous l’Administration du Républicain Georges W. Bush après les attentats du 11 septembre. La secrétaire d’Etat de Bush, Condoleezza Rice, a défendu cette théorie avant qu’elle ne soit adoptée en 2008 par l’Administration Obama et mise en oeuvre par Hillary Clinton », indique Al-Béheiry, estimant que cette théorie est erronée. « Cette théorie américaine a fortifié les groupes de l’islam politique mais aussi les groupes terroristes. Les Frères sont certes impliqués dans la violence qui fait partie intégrante de leur idéologie. Si l’Egypte a réussi à les chasser du pouvoir en 2013, la Libye reste en proie au chaos », affirme Al-Béheiry. Il rappelle le radicalisme de la confrérie, qui reste fidèle à l’idéologie radicale de Sayed Qotb, l’idéologue du mouvement. « Les calculs de Washington ne tiennent pas sur pied. Les Frères musulmans se sont inspirés de l’idéologie de Sayed Qotb basée sur le recours à la violence pour instaurer l’Etat islamique. Qotb a influencé par ses écrits la plupart des mouvements islamistes actuels, en particulier les mouvements radicaux et violents, comme Al-Takfir Wa Al-Higra, l’Organisation du Djihad, Al-Nagoune Mine Al-Nar et Al-Tawhid. L’Administration américaine n’a fait donc qu’alimenter le terrorisme », argumente le chercheur.
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