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Provocations éthiopiennes

May Al-Maghrabi, Mercredi, 29 juillet 2020

Tandis que les négociations entre l'Egypte, le Soudan et l'Ethiopie sur le barrage de la Renaissance se poursuivent sous l’égide de l’Union Africaine (UA), Addis-Abeba multiplie les déclarations provocatrices sur les eaux du Nil. Le Caire se retient de toute réaction pour donner la chance au processus politique.

Provocations éthiopiennes
4,9 milliards de m3 d’eau (sur les 74 milliards) seront stockés dans le barrage de la Renaissance au cours de la première année.

Les responsables éthiopiens multiplient les déclarations déconcertantes sur le bar­rage éthiopien de la Renaissance. « L’Ethiopie veut conclure un accord non contraignant sur le barrage de la Renaissance avec l’Egypte et le Soudan, qui peut être révisé à n’importe quel moment », a déclaré, vendredi 24 juillet, le porte-parole du ministère éthiopien des Affaires étrangères, Dina Mufti, lors d’une conférence de presse à Addis-Abeba. Ceci au moment où se tient un mini-sommet africain, sous l’égide de l’Union Africaine (UA), pour tenter de trou­ver un compromis entre l’Egypte, l’Ethiopie et le Soudan sur les règles de remplissage et de fonctionnement du barrage. Le président sud-africain, Cyril Ramaphosa, président en exer­cice de l’UA, avait exhorté les trois pays à finaliser d’urgence un accord. Mais les tergiversations éthiopiennes jettent le doute sur la possibilité d’une quelconque entente.

Le caractère contraignant de l’ac­cord est à présent le principal point de discorde dans les négociations. Samedi 25 juillet, le président Abdel-Fattah Al-Sissi a réaffirmé lors d’un appel téléphonique avec son homolo­gue sud-africain « l’insistance de l’Egypte à conclure un accord juri­dique global et à rejeter tout acte unilatéral susceptible de porter atteinte aux droits de l’Egypte dans les eaux du Nil ». Mohamad Hégazi, ancien assistant du ministre des Affaires étrangères pour les affaires africaines, regrette les « revire­ments » de l’Ethiopie. « Les résultats positifs obtenus jusque-là lors de ce mini-sommet africain auraient pu constituer une base solide pour un accord définitif », affirme Hégazi. Et d’expliquer qu’un accord juridique contraignant est « la meilleure option en vue d’une exploitation équitable du barrage ».

Mossaed Abdel-Aty, professeur de droit international, explique pourquoi il est important que l’accord soit contraignant. « C’est le seul moyen d’éviter une exploitation unilatérale des ressources hydriques », affirme-t-il. Et d’ajouter que les clauses d’un tel accord doivent être « claires et précises » et comporter un calendrier indiquant les quantités et la durée de stockage de l’eau durant les saisons de sécheresse et de sécheresse pro­longée. « Mais plus important encore, l’accord doit inclure un mécanisme pour le règlement des conflits, et indiquer les moyens d’in­demniser les pays en aval en cas de potentiels préjudices qu’ils pour­raient subir. Enfin, l’accord doit défi­nir un cadre aux futurs projets hydriques sur le Nil qui ne doivent pas être établis sans accord préa­lable, surtout que l’Ethiopie ne cache pas son intention de construire d’autres barrages sur le Nil Bleu », explique Abdel-Aty. Selon lui, le refus par l’Ethiopie d’un accord contraignant révèle ses convoitises dans les eaux du Nil.

Provocations

A l’issue des pourparlers qui ont eu lieu du 3 au 13 juillet, l’Egypte, le Soudan et l’Ethiopie ont remis chacun un rapport à l’UA expli­quant son point de vue sur le dérou­lement des négociations. Celles-ci doivent à présent reprendre, mais aucune date n’a été définie jusqu’à présent. En attendant, l’Ethiopie poursuit ses déclarations provoca­trices. Le premier ministre éthio­pien, Abiy Ahmed, a annoncé que le remplissage de la première étape du barrage a été achevé le 21 juillet. « C’est un moment historique qui témoigne de l’engagement des Ethiopiens en faveur de la renais­sance de notre pays », s’est-il vanté dans un communiqué lu à la télévi­sion d’Etat. Le barrage est censé retenir 4,9 milliards de mètres cubes d’eau (sur les 74 milliards du réservoir). « Le Nil est à nous et ses eaux ne couleront plus hors de l’Ethiopie », a déclaré, mercredi, le chef de la diplomatie éthiopienne, félicitant les Ethiopiens pour l’achèvement de la première étape du remplissage alors que le vice-premier ministre éthiopien, Demeke Mekonnen, a qualifié cet événement de « fin du partage iné­quitable des eaux du Nil ».

Des déclarations pour le moins provocatrices pour l’Egypte et le Soudan qui ont toujours insisté sur la nécessité d’un accord global avant le début du remplissage. Autre provocation : une campagne baptisée « Le Nil est pour l’Ethio­pie » vient d’être lancée sur les réseaux sociaux pour affirmer le droit de l’Ethiopie d’exploiter « exclusivement » le Nil Bleu.

« La position provocatrice de l’Ethiopie est injustifiée », explique Alaa Al-Zawahiri, membre du groupe égyptien de négociation. « Je me demande si l’Ethiopie, en faisant de telles déclarations, n’es­saye pas de pousser l’Egypte à boycotter les négociations afin de discréditer sa position », explique Al-Zawahiri. Les 4,9 milliards de mètres cubes d’eau stockés jusqu’à présent dans le barrage n’affecte­ront pas la sécurité hydraulique de l’Egypte, car l’Egypte dispose d’importantes réserves d’eau dans le Haut-Barrage, explique pour sa part Mohamad Al-Sebaie, porte-parole du ministère de l’Irrigation et des Ressources hydrauliques, qui rejette les récentes déclarations éthiopiennes, en contradiction, selon lui, avec le droit internatio­nal. « Le différend avec l’Ethiopie ne porte plus sur les quotas d’eau, mais sur la forme que prendra la gestion conjointe du fleuve, ainsi que les graves dommages qui pour­raient être causés aux pays en aval », explique Al-Sebaie. Avis partagé par l’expert hydrologique Abbass Chéraki. Selon lui, le préju­dice causé à l’Egypte par le pre­mier remplissage est d’ordre poli­tique plutôt qu’hydrique. « Si un accord juridique contraignant est conclu entre les trois pays, le pre­mier remplissage du barrage, annoncé par l’Ethiopie, sera consi­déré comme légitime. Mais s’il n’y a pas d’accord jusqu’au 1er octobre (qui marque la fin de la saison des pluies et qui montrera si l’Ethiopie va retenir ou évacuer l’eau qu’elle a retenue dans le barrage), ce stoc­kage sera alors considéré comme illégal et contraire à l’accord de principe de 2015 », explique Chéraki. Il affirme que dans ce cas, l’Egypte devra revenir au Conseil de sécurité, car le remplissage du barrage sans accord préalable avec les pays en aval peut être considéré comme un acte qui menace la sécu­rité et la paix régionales conformé­ment au chapitre 7 de la Charte des Nations-Unies. « Celle-ci prévoit des sanctions de nature écono­mique ou politique contre les pays qui menacent la paix et la sécurité régionales », ajoute Chéraki.

Politique de longue haleine

L’ancien ministre de l’Irrigation, Mohamad Nasr Allam, trouve que la position éthiopienne ne favorise pas un climat favorable aux négo­ciations. Il rappelle que l’UA a appelé les pays engagés dans les négociations à s’abstenir de toute déclaration ou action qui pourrait compliquer ou mettre à mal le pro­cessus de négociation. Selon Allam, les données témoignent des mau­vaises intentions de l’Ethiopie. La grande capacité de stockage du barrage (74 milliards de mètres cubes) n’est pas justifiée et montre qu’Addis-Abeba veut stocker l’eau pour la vendre aux pays en aval. « Pour l’Egypte, l’eau est une question de vie ou de mort. Le Caire ne permettra à personne de porter atteinte à ses droits histo­riques légitimes. Dans ce litige, le droit international fluvial, les accords de 1902 et de 1959, l’ac­cord de principe de 2015 ainsi que le déroulement des négociations appuient la position de l’Egypte », affirme Allam, qui souhaite que l’UA exerce des pressions sur l’Ethiopie. Il insiste sur le rôle des acteurs internationaux et des orga­nisations internationales au cours de la prochaine période pour facili­ter la conclusion d’un accord défi­nitif qui met fin à 9 ans de négocia­tions infructueuses.

En dépit des atermoiements éthiopiens, l’Egypte est attachée à la voie des négociations. « Aujourd’hui, en dépit des provo­cations éthiopiennes, Le Caire agit avec lucidité par respect de la médiation de l’Union africaine et pour détenir des preuves sur l’in­transigeance de l’Ethiopie », explique Mohamad Hégazi, selon qui cette gestion lucide appuiera la position de l’Egypte si le dossier est transmis au Conseil de sécurité ou à la Cour pénale internationale. Dans cette bataille politique et technique de longue haleine, l’Egypte préfère suivre une poli­tique de retenue, mais cela ne signi­fie en aucun cas qu’elle est faible. Le porte-parole du ministère de l’Irrigation l’a dit : « La position de l’Egypte n’est pas faible et les ins­titutions de l’Etat sont à la hauteur de la situation », a-t-il affirmé. Les jours à venir dévoileront dans quelle direction s’acheminera ce dossier.

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