Ces images satellites montrent la remontée des eaux dans le barrage.
Poursuivantsa médiation, l’Union Africaine (UA) a tenu, mardi 21 juillet, un mini-sommet à l’initiative du président en exercice de l’UA, Cyril Ramaphosa, pour tenter de trouver un accord entre les trois pays sur les questions techniques et juridiques controversées. Le président sud-africain doit faire une proposition pour tenter de résoudre le différend entre l’Ethiopie, le Soudan et l’Egypte (ndlr : résultats non communiqués au moment de l’impression du journal).
Mais avant le sommet, la tension était extrême. Le ministre de l’Irrigation et des Ressources en eau, Mohamad Abdel-Ati, a déclaré, dimanche 19 juillet, que l’Egypte ne restera pas les bras croisés si le problème du barrage n’est pas résolu. « Ce n’est pas une affaire facile, et il reste beaucoup de défis à relever, mais nous ne resterons pas inactifs et nous ne nous cantonnerons jamais à un rôle de spectateurs. L’Egypte dispose de toutes sortes d’outils internes pour résoudre les problèmes qui pourraient être causés par le barrage », a-t-il dit lors de sa participation à une réunion d’une commission parlementaire. De même, le président Abdel-Fattah Al-Sissi a souligné, dimanche 19 juillet, lors de sa présidence du Conseil de la défense nationale, la nécessité « d’un accord global et équitable entre l’Egypte, le Soudan et l’Ethiopie sur les règles de remplissage et d’exploitation du barrage de la Renaissance de manière à préserver la sécurité et la stabilité régionales », a reporté Bassam Radi, porte-parole de la présidence, dans un communiqué. En revanche, le président Sissi a souligné le refus de l’Egypte de toute procédure unilatérale de nature à porter préjudice à ses droits hydrauliques. « Il s’agit d’une question existentielle et l’Egypte ne tolérera pas un acte unilatéral qui nuit à ses droits hydriques », a affirmé le président lors d’un appel téléphonique, le 17 juillet, avec le président sud-africain, Cyril Ramaphosa, président en exercice de l’UA.
Incertitudes
En effet, le sommet de mardi est intervenu alors que les déclarations contradictoires du premier ministre éthiopien sur le début de remplissage du Barrage inquiètent fortement l’Egypte, et ce, alors que les négociations tripartites, entamées le 3 juillet sous l’égide de l’UA, n’ont abouti jusqu’à présent à aucun accord sur les questions techniques et juridiques controversées. Après avoir annoncé le 15 juillet le début du remplissage du barrage, la télévision d’Etat éthiopienne s’est rétractée juste après et s’est excusée, invoquant une « mésinterprétation ». L’Egypte a immédiatement demandé des explications à Addis-Abeba, alors que le Soudan a déclaré avoir constaté une baisse quotidienne de son débit provenant du Nil bleu, estimée de 90 millions de m3. Khartoum accuse l’Ethiopie d’avoir fermé, sans accord, deux vannes d’écoulement du barrage.
Or, les images satellites ont bel et bien révélé que le niveau des eaux dans le barrage augmentait. « Cette augmentation peut être due au remplissage du barrage ou bien à l’accumulation des eaux des pluies derrière l’édifice, indique Abbas Chéraqi, expert hydrique au Centre des recherches africaines de l’Université du Caire. L’Ethiopie est en pleine saison des pluies et le débit actuel du fleuve en amont s’accumule derrière le barrage. C’est au début du mois d’octobre (fin de la saison des pluies en Ethiopie) qu’on pourra vérifier s’il s’agit d’une accumulation d’eau ou d’un début de remplissage. Cette année, les précipitations saisonnières excèdent la capacité des vannes. La hauteur du barrage est passée de 40 à 70 m et deux vannes sur les quatre du barrage ont été fermées. S’il s’agit d’un remplissage, les quantités d’eaux qui devraient affluer vers les pays en aval seraient retenues pendant un certain temps et, par conséquent, l’arrivée de l’eau vers l’Egypte et le Soudan sera retardée et la quantité diminuée », explique l’expert.
Pourtant, le Soudan a annoncé le 19 juillet la mise hors service d’un certain nombre de stations d’eau dans la capitale soudanaise, Khartoum, en raison d’une régression subite des eaux du Nil bleu et blanc. Le chef de l’Autorité des eaux de Khartoum, Anwar Al-Sadate Mohamad Al-Hajj, a expliqué que pour faire fonctionner ces stations, les portes du barrage de Rosières ont dû être ouvertes pour pomper l’eau. Des déclarations qui sèment le doute.
L’incertitude est donc de mise sur le remplissage, et le double langage d’Addis-Abeba se poursuit sur cette question, comme cela a été le cas sur l’ensemble du dossier depuis le début de la crise. Ayman Chabana, professeur de sciences politiques, souligne ainsi les messages contradictoires d’Addis-Abeba dans la question du barrage. « Pourquoi les médias officiels éthiopiens ont annoncé le remplissage du barrage pour se rétracter ensuite et s’excuser ? », s’interroge-t-il. « Ces messages contradictoires laissent planer des doutes sur les vraies intentions de l’Ethiopie. Il est clair que les informations sur le remplissage étaient un ballon d’essai et en même temps un message destiné à la scène interne. Mais face au tollé qu’elles ont soulevé, les Ethiopiens ont fait marche arrière. Ils ne voulaient surtout pas mettre l’UA dans l’embarras », estime Chabana. Il rappelle que l’Ethiopie adopte un double discours, d’une part accepter les négociations et, d’autre part, considérer le Nil comme une propriété privée plutôt qu’un fleuve international. Face à cela, estime l’analyste, l’Egypte doit agir avec méfiance. « Remplir le barrage sans accord entre les trois pays risque d’avoir de graves répercussions ».
De son côté, l’ancien ministre de l’Irrigation, Mohamad Nasr Allam, trouve en ces déclarations une « manière pour l’Ethiopie de mettre une forte pression sur l’Egypte dans une tentative d’imposer ses conditions ». Et de conclure : « Si le début du remplissage est confirmé, l’UA doit forcer Addis-Abeba à faire marche arrière ».
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