L’Egypte a annoncé, le 19 juin, avoir demandé l’intervention du Conseil de sécurité de l’Onu pour résoudre le conflit qui l’oppose à l’Ethiopie sur le barrage de la Renaissance. Une demande qui fait suite à l’échec des dernières négociations tenues du 9 au 16 juin à l’initiative du Soudan. Au Caire, le ministère de l’Irrigation a annoncé dans un communiqué que les négociations « n’ont abouti à aucun accord sur le volet technique et juridique ». « L’Ethiopie a refusé de conclure un accord contraignant conformément au droit international », ajoute le communiqué. L’Ethiopie menace à présent de remplir le barrage sans accord préalable avec les pays en aval, bien que la Déclaration de principes, signée en 2015 à Khartoum, interdise à Addis-Abeba le remplissage du barrage sans concertation avec l’Egypte et le Soudan. Le ministre éthiopien des Affaires étrangères, Gedu Andargachew, a déclaré qu'« il n’est pas obligatoire de parvenir à un accord pour remplir le barrage. Nous allons commencer le remplissage au cours de la saison des pluies, quelles que soient les conséquences ». Dans sa lettre présentée au Conseil de sécurité, l’Egypte impute à l’Ethiopie le blocage des négociations lui reprochant son attitude « négative ».
Samedi, le président Abdel-Fattah Al-Sissi a déclaré que le recours par l’Egypte au Conseil de sécurité visait à « poursuivre la voie des négociations ». « Nous respectons votre droit au développement, respectez notre droit à la vie. Nous avons besoin d’agir avec force, pour parvenir à un accord basé sur la sagesse et la coopération », a déclaré le chef de l’Etat, exhortant l’Ethiopie à « revenir sur ses positions ». Le Caire a appelé l’Onu à assumer sa responsabilité pour « éviter la tension et maintenir la paix et la sécurité internationales menacées par le remplissage du barrage sans accord technique et juridique avec les pays en aval », a indiqué le communiqué du ministère des Affaires étrangères, soulignant que l’Egypte « tient toujours à un accord préservant les intérêts des trois pays ».
Mossaed Abdel-Atty, professeur de droit international, affirme que la plainte de l’Egypte au Conseil de sécurité est conforme au Chapitre VI de la Charte de l’Onu sur le règlement pacifique des conflits et est fondée sur l’article 35 de cette charte, qui habilite les Etats membres et non membres de l’organisation à « porter à l’attention du conseil tout différend ou toute situation susceptible de menacer la paix et la sécurité internationales ». Pour Abdel-Atty, le recours au Conseil de sécurité est une étape très importante pour plusieurs raisons. « Avec son intransigeance, l’Ethiopie a bloqué toute possibilité de parvenir à un règlement sur le fonctionnement et le remplissage du barrage. Le recours au conseil renforce la position de l’Egypte et constitue une carte de pression contre l’Ethiopie, dont la position est celle d’un pays qui ne respecte pas le droit international », affirme-t-il. Et d’ajouter qu’en vertu de la Charte des Nations-Unies, le Conseil de sécurité est le seul organe concerné par le maintien de la paix et de la sécurité internationales, et possède un rôle effectif et même contraignant sur ce dossier.
L’Egypte avait envoyé une lettre en mai dernier au Conseil de sécurité, contestant l’intransigeance de l’Ethiopie. « Il y a une grande différence entre cette lettre et la présente plainte. La première visait simplement à alerter le conseil sur le déroulement des négociations et des mesures unilatérales de l’Ethiopie qui peuvent mener à une tension régionale, sans appeler directement à une intervention. Mais la seconde lettre est une plainte claire contre l’Ethiopie appelant l’Onu à intervenir, d’où l’importance de cette démarche », affirme Abdel-Atty.
Quels scénarios ?
En vertu de ses prérogatives, le Conseil de sécurité détient les outils nécessaires pour mettre fin au conflit, soutient l’expert. Le conseil peut émettre, en vertu du Chapitre VI de la Charte de l’Onu, une recommandation de portée morale, appelant à l’arrêt du remplissage du barrage et invitant les parties en conflit à régler leurs différends par les moyens diplomatiques. Le conseil peut également mener une enquête ou charger un comité d’examiner le dossier pour voir si le conflit menace la paix et la sécurité régionale. « Si cette menace est prouvée, le conseil peut prendre la décision contraignante d’arrêter le remplissage du barrage jusqu’à ce qu’un accord soit trouvé. En cas d’abstention de l’Ethiopie, le conseil peut, en vertu du Chapitre VII de la Charte de l’Onu, appliquer des sanctions de nature économique ou politique, ou même recourir à la force contre le pays qui menace la sécurité internationale », détaille Abdel-Atty. Et d’ajouter que si le conflit est de nature juridique, le conseil peut également déférer le dossier devant la Cour Pénale Internationale (CPI). « Dans ce cas, le conseil peut demander au tribunal un avis consultatif non contraignant », avoue l’expert.
Dans sa plainte, l’Egypte s’est basée sur la longueur des négociations, les études techniques qui n’ont jamais été achevées et surtout les accords internationaux et ceux sur le partage des eaux entre les pays du bassin du Nil (voir sous-encadré). « Beaucoup de conflits semblables ont été résolus par la CPI, comme le différend dans les années 1990 entre la Hongrie et la Slovaquie, ou encore celui en 2010 entre l’Argentine et l’Uruguay », affirme Abdel-Atty.
Avis partagé par Amani Al-Taweel, cheffe du département des études africaines au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. Elle note deux considérations positives dans la position de l’Egypte, à savoir l’appel de la Banque mondiale à l’Ethiopie de faire preuve de flexibilité et de ne pas agir unilatéralement. « Le président du Groupe de la Banque mondiale, David Malpas, lors d’un entretien téléphonique avec le premier ministre éthiopien, a jugé nécessaire, pour financer le barrage, d’unifier le taux de change en Ethiopie et de maintenir un dialogue constructif avec les pays voisins sur le partage des eaux. De telles déclarations montrent que la position internationale est en faveur de l’Egypte, même si nous savons que l’Ethiopie ne cédera pas facilement », pense Al-Taweel. Elle explique que l’Ethiopie peut être déclarée un pays qui menace la paix et la sécurité régionales. « C’est une carte de pression importante en faveur de l’Egypte. Mais Le Caire doit s’attendre à une bataille difficile pour contrer les intentions de l’Ethiopie d’imposer sa domination absolue sur le Nil en construisant plusieurs barrages ».
Ayman Chabana, professeur à l’Institut des études africaines à l’Université du Caire, pense que si la plainte présentée à l’Onu est une carte en faveur de l’Egypte, l’action diplomatique ne manque pas d’importance. « En attendant la décision de l’Onu, l’Egypte doit s’adresser aux grandes puissances, comme la Russie, et à certains pays de la région comme l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis, qui sont des alliés importants et qui possèdent d’énormes investissements en Ethiopie », affirme Chabana. Il rappelle que l’intervention de l’Arabie saoudite et des Emirats a permis de résoudre un différend qui a duré 20 ans entre l’Erythrée et l’Ethiopie. Riyad et Abu-Dhabi sont devenus les deux plus grands importateurs de viande et de café de l’Ethiopie. « Ces deux pays peuvent exercer des pressions économiques sur l’Ethiopie et proposer une initiative politique qui serait acceptée par toutes les parties. La Russie, un membre important du Conseil de sécurité, est aussi un allié de l’Egypte. 40 % des investissements russes en Afrique se trouvent en Egypte. N’oublions pas que Le Caire est l’un des plus grands importateurs d’armes russes dans la région. Des cartes que l’Egypte doit utiliser pour défendre ses droits hydriques face aux ambitions et aux convoitises de l’Ethiopie qui veut imposer son contrôle sur le Nil bleu », conclut-il .
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