Un tournant dans le dossier du barrage éthiopien de la Renaissance? Peut-être. Le Soudan a rejeté une demande éthiopienne de signer un accord mutuel sur le remplissage du barrage de la Renaissance. « Il y a des problèmes techniques et juridiques qui doivent au préalable être réglés », a déclaré le premier ministre soudanais, Abdallah Hamdok. Le Soudan a toujours adopté une position ambigüe sur la question du barrage. Il était le seul pays, en mars dernier, à ne pas émettre de réserves sur un projet de résolution du Conseil des ministres arabes des Affaires étrangères, dans lequel ils affirmaient leur soutien aux pays en aval dans le dossier du barrage.
La nouvelle position soudanaise, conforme à celle de l’Egypte, intervient au moment où l’Ethiopie menace de procéder unilatéralement au remplissage du barrage début juillet prochain. L’Egypte avait transmis, la semaine dernière, au Conseil de sécurité une lettre expliquant les répercussions d’une telle mesure sur « la sécurité et la paix dans la région » et insistant sur la nécessité d’un accord préalable avec l’Ethiopie. « La décision unilatérale de remplir le barrage menace la sécurité hydrique de plus de 100 millions d’Egyptiens qui dépendent entièrement de ce fleuve pour leur approvisionnement en eau », affirmait l’Egypte dans sa lettre.
Selon Amani Al-Taweel, cheffe du département des études africaines au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, plusieurs facteurs de dimensions locale, régionale et internationale expliquent ce changement de position du Soudan. « Sur le plan local, le Soudan répond par ce changement de position aux demandes de la rue qui exige une nouvelle politique plus indépendante à même de garantir au Soudan un poids régional. Par ailleurs, le soutien continuel de l’Egypte au Soudan, malgré les différends, a fait que ce dernier a réalisé l’importance des relations avec l’Egypte. Le Caire a récemment fourni à Khartoum du matériel médical pour l’aider à faire face à la pandémie de coronavirus. L’Ethiopie, quant à elle, a fourni des aides médicales au Soudan et lui a fait payer le prix du transport sur les lignes éthiopiennes », affirme Al-Taweel. Et d’ajouter que sur le plan régional, le Soudan, qui cherche à élargir sa coopération économique avec les pays du Golfe, a intérêt à maintenir de bons rapports avec l’Egypte dont la position sur la question du barrage est soutenue par les pays arabes, explique Al-Taweel. Sur le plan international, elle pense que l’adhésion du Soudan à la position égyptienne s’explique par la valorisation des intérêts du Soudan avec Washington. « Le Soudan a été rayé de la liste des pays soutenant le terrorisme et Khartoum ne peut plus se permettre de négliger les recommandations américaines qui soutiennent l’idée d’un accord », pense l’experte.
Trois axes
Ce changement dans la position du Soudan servira l’Egypte dans ses futures démarches sur le dossier du barrage, comme l’affirme Ayman Abdel-Wahab, du CEPS. « Il est nécessaire que les deux pays en aval, menacés par les mêmes dangers, suivent la même voie et rejettent les décisions unilatérales », affirme Abdel-Wahab. Et d’ajouter que l’Egypte doit désormais travailler sur trois axes en parallèle. « Outre le volet juridique, l’Egypte doit travailler sur le volet diplomatique en s’adressant aux pays africains, arabes, européens et aux Américains en leur présentant à nouveau tous les détails des négociations, afin de garantir leur soutien. L’Egypte doit inciter les pays qui investissent en Ethiopie, surtout dans les domaines de l’agriculture et de la sécurité hydrique, à geler leurs investissements jusqu’à ce que la sécurité de la région soit garantie », explique Abdel-Wahab.
Il rappelle qu’au cours des dernières négociations parrainées par les Etats-Unis et la Banque mondiale, et boycottées par Addis-Abeba, l’Ethiopie n’a accordé aucune considération aux intérêts de ses voisins. « Face au blocage des négociations et l’intransigeance éthiopienne, il était donc indispensable que l’Egypte internationalise le litige autour du barrage pour impliquer la communauté internationale. Le Conseil de sécurité est dorénavant appelé à intervenir pour résoudre ce litige et à protéger les intérêts hydriques des pays en aval », affirme Abdel-Wahab.
Sur le volet juridique, Mossaad Abdel-Ati, expert en droit international, affirme que l’Egypte dispose de plusieurs cartes qui renforcent sa position au cas où elle décide de présenter une plainte officielle au Conseil de sécurité ou de recourir à l’arbitrage international. Il note que la menace de l’Ethiopie de procéder unilatéralement au remplissage du barrage sans accord préalable est une violation de l’article 5 de la déclaration de principe signée en 2015 par l’Egypte, le Soudan et l’Ethiopie et qui exige un accord préalable avant le remplissage du barrage. Il ajoute qu’en vertu de l’article 37 de la charte des Nations-Unies, tout Etat peut alerter le Conseil de sécurité en cas de « menaces à la paix et à la sécurité » et lui demander d’intervenir pour régler les différends, et ce, sans présenter de plainte officielle. « Le Conseil de sécurité est censé à présent demander la réponse de l’Ethiopie sur tous les points qui ont été soulevés par l’Egypte dans sa lettre. Selon la charte des Nations-Unies, l’Ethiopie doit obligatoirement donner des réponses sur ces points », explique Abdel-Ati. Le Conseil de sécurité peut demander à l’Ethiopie de reporter la date du remplissage jusqu’à ce qu’un accord soit signé, de revenir aux négociations ou de signer le brouillon de l’accord qui a été conclu à Washington. En cas de refus, l’affaire peut être soumise à l’arbitrage international, explique l’expert, soulignant que la période à venir sera décisive pour le dossier du barrage l
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