Pour le ministre Nabil Fahmi qui vient de prendre ses fonctions aux Affaires étrangères, sa mission sera en premier lieu de « restaurer le rôle de l’Egypte ». Dans un contexte régional et international, sa diplomatie donnera la priorité aux sujets « touchant à la sécurité nationale », a-t-il annoncé samedi.
Mais dans un contexte mouvant où des alliances se font et d’autres se défont au lendemain de la destitution du président islamiste Mohamad Morsi, sa tâche de faire de l’Egypte une « puissance régionale » s’avère complexe.
La chute du régime des Frères musulmans le 3 juillet a mécontenté plus d’un acteur régional, à commencer par la Turquie qui comptait étendre son influence et ses rapports commerciaux à travers la région en soutenant les régimes issus du Printemps arabe.
Le premier ministre turc, Tayyip Erdogan, a été parmi les plus critiques à l’égard du renversement de Mohamad Morsi. Il a accusé les puissances occidentales et les régimes arabes d’adopter une « politique de deux poids deux mesures » en s’abstenant de condamner ce qu’il a appelé « un coup d’Etat inacceptable ».
Le gouvernement intérimaire a mis en garde Ankara contre « l’ingérence dans les affaires internes de l’Egypte » et a convoqué l’ambassadeur égyptien en Turquie en geste de protestation.
Concernant les futures relations avec Ankara, un haut responsable au ministère des Affaires étrangères a affirmé, sous couvert de l’anonymat, que l’Egypte « tient à ses rapports avec la Turquie tant que celle-ci y tiendra ». « Nous essayons par l’intermédiaire de notre ambassadeur à Ankara de leur expliquer l’importance de placer les intérêts communs au-dessus de toute autre considération », affirme ce responsable.
Pour sa part, Kamal Abdel-Gawad, professeur de sciences politiques à l’Université américaine du Caire, estime que « si Ankara maintient ce ton hostile envers l’Egypte, Le Caire pourra songer à réduire la coopération économique avec la Turquie. Mais je pense que les intérêts communs finiront par l’emporter sur les divergences ».
Mais il n’y a pas que la Turquie. Le ministère des Affaires étrangères a également dénoncé les réactions émanant d’officiels iraniens. « Le ministère désapprouve les déclarations des responsables iraniens qui reflètent une mauvaise compréhension de la nature de l’évolution démocratique dont témoigne l’Egypte », a déclaré la semaine dernière un porte-parole du ministère.
Des responsables iraniens avaient qualifié la destitution du président Morsi comme étant « inacceptable », alors que d’autres encourageaient ses supporters de persévérer dans leurs demandes en vue de son retour au pouvoir.
Rompues depuis la signature des accords de paix égypto-israéliens en 1979, les relations entre les deux pays ont commencé à se réchauffer avec l’arrivée du président Morsi au pouvoir avec des échanges de visites présidentielles et des projets pour la relance des relations bilatérales. Signalant un nouveau coup de froid, les forces de sécurité égyptiennes ont envahi les locaux de la chaîne iranienne Al-Alam, arrêtant son directeur et confisquant du matériel.
Pays plus réservés
D’autres pays de la région, bien que regrettant le délogement des Frères musulmans, se sont montrés plus réservés dans leur réaction. Ce fut notamment le cas du Qatar, qui a injecté plus de 6 milliards de dollars dans l’économie égyptienne depuis la révolution du 25 janvier il y a deux ans et demi, croyant ainsi étendre à travers le soutien des Frères musulmans son influence dans le Moyen-Orient. Le nouveau souverain de ce riche émirat du Golfe, le cheikh Tamim Ben Hamad Al Thani, s’est rejoint à ses voisins en adressant un message de soutien au gouvernement de transition égyptien, alors que la chaîne Al-Jazeera, bras médiatique de son régime, reste fidèle à sa ligne éditoriale favorable aux Frères musulmans.
De son côté, l’Egypte n’entend pas laisser la couverture médiatique biaisée d’Al-Jazeera peser sur les relations avec le Qatar, d’après un responsable au ministère des Affaires étrangères qui a requis l’anonymat.
Pour l’ancien diplomate Hussein Haridi, il est important pour l’Egypte d’entretenir des rapports solides avec tous les pays du Golfe, qui constituent « une profondeur stratégique importante ». Il dit s’attendre à ce que le nouvel émir rompt avec la politique pro-islamiste de son père.
Il reste cependant difficile de prévoir le rôle qu’assignera cheikh Tamim à son pays dans la nouvelle équation régionale.
Toutes aussi inconnues sont les futures relations du gouvernement égyptien avec le Hamas. Très proche des Frères, le mouvement islamiste palestinien n’a pas eu de réaction officielle aux événements en Egypte, probablement pour éviter d’égratigner l’armée égyptienne qui contrôle les frontières de Gaza qu’il gouverne. Un régime égyptien hostile aux islamistes signifie l’isolement politique du Hamas, des restrictions sur le mouvement de ses dirigeants, et, plus grave encore, l’étranglement de la bande de Gaza.
« Le Caire doit traiter, par la force des choses, avec le Hamas, mais en tant qu’autorité administrative non en tant qu’autorité politique », estime l’ex-diplomate, Haridi, tout en affirmant qu’à cet égard, l’Egypte « respectera les constantes qui ont toujours défini sa politique envers la cause palestinienne depuis 1948 ... » .
Le soutien des voisins
La Jordanie a été parmi les premiers pays à saluer les nouvelles autorités mises en place en Egypte. Un geste qui s’explique par le fait que les Frères musulmans jordaniens sont le principal groupe d’opposition dans le Royaume hachémite. A l’exception du Qatar, les pays du Golfe sont parmi les premiers voisins réconfortés par le départ des Frères musulmans. Ainsi, à leur tour, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis n’ont pas tardé à exprimer à leur tour leurs félicitations au président intérimaire Adly Mansour. Dès la chute de Morsi, ces deux pays, avec le Koweït, ont promis chacun 4 milliards de dollars à l’Egypte. Bien qu’ils soient partisans d’une version stricte de l’islam, les pays du Golfe bénéficient du soutien traditionnel de leurs religieux. Ce qu’ils craignaient de la part des Frères musulmans, c’était de les voir exporter chez eux leur activisme politique. Ils préfèrent donc trouver dans un régime laïque égyptien un allié stratégique contre l’Iran. Les 12 milliards de dollars vont remplacer les programmes d’assistance économique convenus avec la Turquie et le Qatar, de sorte à éviter au nouveau gouvernement égyptien des mesures d’austérité impopulaires. Enfin, Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne issu du Fatah, le mouvement nationaliste rival du Hamas, a salué l’écartement du pouvoir des Frères musulmans, alliés de ses rivaux. La chute des Frères pourrait inciter le Hamas à s’engager sérieusement dans le processus de réconciliation interpalestinienne. Cela permettra du coup à l’Egypte de retrouver son rôle d’intermédiaire principal entre le Fatah et le Hamas, ainsi qu’entre eux deux et Israël .
Erratum
Dans le numéro précédent de l’Hebdo, publié avant la formation définitive gouvernement, il a été mentionné que directrice de la Maison de l’Opéra, Abdel-Dayem, a été nommée ministre de la Culture, un poste finalement revenu à Mohamad Saber Arab, ancien directeur de la Bibliothèque nationale. De même, l’ancien juge de la pénale internationale Mohamad Al-Mahdi, cité comme ayant accepté portefeuille de la Justice, a été en réalité nommé à la tête du nouveau ministère de la Justice transitionnelle et de Réconciliation. Le ministère de la Justice est revenu au magistrat Adel Abdel-Hamid qui occupait le même poste durant transition militaire en 2011/2012.
Al-Ahram Hebdo s’excuse auprès ses lecteurs et des personnes concernées pour ces erreurs involontaires .
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