
La résolution de la Ligue arabe a appelé l'Ethiopie à ne pas procéder unilatéralement au remplissage du barrage.
Le Caire a dénoncé les diatribes éthiopiennes adressées à la Ligue arabe au sujet du barrage éthiopien de la Renaissance. « Le communiqué du ministère éthiopien des Affaires étrangères manque de décence et est inacceptable dans sa totalité. C’est un outrage inadmissible à la Ligue arabe », a fustigé le ministère égyptien des Affaires étrangères dans un communiqué publié samedi 7 mars en réplique au communiqué éthiopien publié le 6 mars, commentant un projet de résolution présenté par l’Egypte et adopté par la Ligue arabe. Le Caire souligne que le rejet de la résolution arabe par l’Ethiopie montre qu’Addis-Abeba cherche à réaliser ses intérêts au détriment des intérêts communs. « La résolution de la Ligue arabe montre qu’il y a une déception quant à la politique du fait accompli, adoptée par l’Ethiopie tout au long des négociations sur le remplissage et le fonctionnement du barrage. L’Ethiopie n’est pas en position de donner des leçons à la Ligue arabe ou à ses Etats membres », affirme Le Caire qui a appelé la communauté internationale à adopter la résolution de la Ligue arabe et l’Ethiopie à signer l’accord, élaboré sous le parrainage des Etats-Unis et de la Banque mondiale. « L’Egypte pense qu’il y a toujours une chance à saisir pour parvenir à un accord équilibré garantissant les droits et les intérêts de toutes les parties. Une chance qu’il faut saisir pour le bien des 240 millions de citoyens en Egypte, au Soudan et en Ethiopie », conclut le communiqué égyptien, exhortant l’Ethiopie à revoir sa position.
Lors de la 153e session du Conseil de la Ligue arabe, tenue mercredi dernier, un projet de résolution présenté par l’Egypte a été adopté. Soutenant la position de l’Egypte dans le dossier du barrage de la Renaissance, la résolution rappelle les « droits historiques » du Caire dans les eaux du Nil qui lui fournissent plus de 90 % de son approvisionnement en eau et a dénoncé la « position obstinée » de l’Ethiopie. La résolution de la Ligue arabe intervient sur fond de blocage des négociations tripartites, tenues sous la houlette des Etats-Unis et de la Banque mondiale, sur les règles de remplissage et de fonctionnement du barrage de la Renaissance. Mi-janvier, l’Egypte, l’Ethiopie et le Soudan avaient annoncé qu’un accord final était imminent. Mais la délégation éthiopienne ne s’est pas rendue à Washington fin février, comme cela était prévu. Depuis, la tension ne fait que monter entre Le Caire et Addis-Abeba. Le début du remplissage du réservoir est annoncé pour juillet 2020. Le ministère éthiopien des Affaires étrangères a dénoncé le « soutien aveugle de la Ligue arabe à l’Egypte ! ».
La position floue du Soudan
La position du Soudan, qui a exprimé des réserves à propos de la résolution de la Ligue arabe, a été accueillie avec incompréhension par l’Egypte. Ahmed Hafez, porte-parole du ministère des Affaires étrangères, a déclaré, dimanche, que l’Egypte « regrettait » les réserves du Soudan à propos de son projet de résolution. Il a fait savoir que les modifications proposées par le Soudan sur ce projet étaient de nature à l’affaiblir et le vider de son contenu. « L’Egypte a transmis au délégué permanent du Soudan auprès de la Ligue arabe le projet de résolution le 1er mars et a reçu la confirmation que celui-ci est parvenu à destination. Le ministère des Affaires étrangères a maintenu durant les jours suivants le contact avec la partie soudanaise afin de recevoir d’éventuels commentaires, mais cela n’a pas été le cas », affirme le communiqué des Affaires étrangères. Et d’ajouter que la délégation égyptienne a répondu à la demande du Soudan d’enlever son nom du projet de résolution. « Le projet n’a fait qu’affirmer les droits hydriques de l’Egypte et les règles du droit international. Il appelle l’Ethiopie à signer l’accord », affirme Hafez.
De son côté, le Soudan a justifié ses réserves par le fait que « ce projet ne favorise pas l’avancée des négociations et que l’immixtion de la Ligue arabe dans cette affaire risque de donner lieu à un affrontement afro-arabe », indique un communiqué du ministère soudanais des Affaires étrangères, publié dimanche. Amani Al-Taweel, cheffe du programme des études africaines au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, s’interroge sur la position du Soudan. « La position du Soudan est fort étonnante surtout que la résolution de la Ligue arabe ne porte aucune atteinte à l’Ethiopie et soutient les droits historiques de l’Egypte et du Soudan dans les eaux du Nil. Cette position est ambiguë et ne repose pas sur une vision claire des futurs intérêts stratégiques », indique Al-Taweel. Selon elle, cette position risque d’affecter les intérêts soudanais avec les pays arabes, voire avec l’Ethiopie elle-même, qui pourra dans le futur empiéter sur les droits du Soudan. « L’Ethiopie a promis au Soudan de l’électricité bon marché provenant du barrage et une culture permanente de plus d’une denrée. Mais le Soudan doit être prudent, car il pourrait s’agir d’une manoeuvre éthiopienne. L’Ethiopie n’a rien dit sur la sécurité du barrage. Celui-ci, en cas d’effondrement, comme l’ont souligné les experts, pourrait inonder le Soudan. Khartoum doit donc revoir ses calculs et être conscient qu’en tant que pays arabe et africain, il a intérêt à maintenir de bons rapports avec toutes les parties, notamment un pays voisin comme l’Egypte », appelle Al-Taweel. Elle exclut par ailleurs que le litige autour du barrage se transforme en affrontement afro-arabe, surtout que l’Egypte a fait preuve de sincérité et qu’elle ne s’oppose pas aux intérêts africains.
Souveraineté présumée sur le Nil
La résolution de la Ligue arabe est conforme à l’accord de principe signé en 2015 et exigeant un consensus sur les règles de remplissage et de fonctionnement du barrage, indique Ahmed Al-Mufti, professeur de droit international. Il ajoute que l’Ethiopie ne peut pas, étant donné cet accord, procéder unilatéralement au remplissage du réservoir du barrage. « L’Ethiopie prétend détenir une souveraineté absolue sur les eaux du Nil. Or, selon l’accord de 1982 des Nations-Unies sur le droit international fluvial, le Nil est un cours d’eau international auquel s’appliquent les principes et les accords de partage de l’eau », souligne Al-Mufti.
Pour évaluer les négociations sur le barrage de la Renaissance dans le contexte de l’escalade éthiopienne, le Haut Comité du Nil a tenu, dimanche, une réunion sous la présidence du premier ministre avec la participation du ministre de l’Irrigation et des Ressources hydriques, ainsi que des représentants des ministères des Affaires étrangères, de la Défense et des services de renseignements. Le comité a discuté du plan d’action de l’Egypte pour sécuriser ses droits et ses intérêts hydriques dans l’eau du Nil. Le comité se tiendra en permanence pour suivre les développements de ce dossie.
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