Les tractations entamées samedi pour la formation du nouveau gouvernement se poursuivaient encore mardi 16 juillet (jusqu'à l'heure de l'impression du journal). Hazem Al-Beblawi, économiste libéral de 76 ans, nommé premier ministre la semaine dernière, devra annoncer son équipe au plus tard ce mercredi.
Dominé par des technocrates et des libéraux, ce gouvernement de transition sera constitué de quelque 30 membres, avec comme priorités de restaurer la sécurité, d’assurer la fourniture des biens et services et de préparer les élections législatives et présidentielles prévues dans six mois, selon Al-Beblawi. Dimanche, le prix Nobel de la paix, Mohamed ElBaradei, figure de l’opposition laïque au président déchu Mohamad Morsi, a prêté serment en tant que vice-président chargé des relations internationales. L’ancien ambassadeur aux Etats-Unis, Nabil Fahmi, a été choisi pour le ministère des Affaires étrangères. De même, le magistrat Mohamad Amin Al-Mahdi, ancien juge de la Cour pénale internationale, a dit avoir accepté le portefeuille de la Justice.
Un ancien général de la police, Mohamad Abou-Chadi, a été choisi pour le ministère de l’Approvisionnement, chargé de la gestion du système de distribution des provisions alimentaires et du carburant subventionnés. Alors qu’un ancien gouverneur d’Alexandrie sous Hosni Moubarak, Adel Labib, a, lui, été nommé ministre de la Gouvernance locale.
Outre le vice-président et le premier ministre, le Front national du salut, principal bloc d’opposition au président déchu, est représenté par les ministres de l'Industrie, Mounir Fakhri Abdel-Nour et de la Solidarité sociale, Ahmad Al-Boraï, qui a occupé le même poste durant la transition militaire.
Un inversement de tendance par rapport au gouvernement sortant, deux ministères-clés, ceux de la Culture et de l’Information, ont été confiés à des femmes, la directrice de la Maison de l’Opéra (évincée par les Frères), Inès Abdel-Dayem, et la présentatrice et activiste politique Dorriya Charafeddine, respectivement. Un autre revers pour la confrérie qui s’était engagée dans une lutte pour l’influence contre l’institution d’Al-Azhar, le doyen de la faculté des études islamiques de l’Université d’Al-Azhar, Mokhtar Gomaa, a été choisi pour le ministère des Waqfs, dont dépendent les prédicateurs. Celui-ci s’est aussitôt engagé à répandre un « islam tolérant et modéré ». Et dans un geste plus que symbolique, le militant du mouvement ouvrier Kamal Abou-Eita a été choisi pour le ministère de la Main-d’OEuvre. Le ministre de l’Intérieur, Mohamad Ibrahim, et surtout celui de la Défense, le général Abdel-Fattah Al-Sissi, le nouvel homme fort du pays, gardent leurs postes. D’autres ministres sortants comme ceux de l’Electricité, du Tourisme et des Communications ont été reconduits dans leurs fonctions. (Pour les ministres du groupe économique, voir page 9).
Le premier ministre a résumé les objectifs de son cabinet en deux points : le rétablissement de l’économie et de la sécurité. Deux défis de taille, d’autant plus que les partisans du président déchu poursuivent leurs protestations souvent non exemptes de violence.
Depuis la destitution de Morsi le 3 juillet, une centaine de personnes sont mortes dans des affrontements. Dans un tel contexte, la possibilité, peut-être aussi la volonté, d’inclure les islamistes dans le processus politique semble s’estomper, malgré les invitations lancées à leur intention par le chef du gouvernement et celui de l’armée pour s’engager dans une « réconciliation nationale ». Une invitation incompatible avec les mesures prises contre eux depuis le renversement de leur régime. Alors que l’ex-chef de l’Etat, ainsi que d’autres membres des Frères musulmans restent détenus dans un lieu secret, la justice a décidé dimanche le gel des avoirs de 14 responsables islamistes, dans le cadre de l’enquête sur les violences sanglantes des deux dernières semaines.
Parallèlement, un mandat d’arrêt a été lancé contre le guide suprême des Frères et d’autres responsables de la confrérie en lien avec le drame survenu le 8 juillet, lorsqu’une prétendue tentative de prendre d’assaut la caserne de la garde républicaine s’est soldée par la mort de 53 manifestants pro-Morsi.
De son côté, la confrérie des Frères musulmans a tourné en dérision les appels à « participer à la transition », faisant savoir qu’elle refusait d’avoir affaire à un régime « usurpateur ». « Comment peut-on comprendre vos positions contradictoires à notre égard : sommes-nous des politiciens honnêtes appelés à participer au gouvernement, des terroristes que vous faites tuer pour protéger la patrie, ou des criminels que vous faites traîner devant les tribunaux et jusqu’en prison ? », se demande Mohamad Al-Beltagui, un cadre des Frères. « Ou bien ses troupes agissent à son insu, ou alors il est en train de mentir », réagit de son côté le porte-parole de la confrérie Guéhad Al-Haddad, parlant cette fois du général Al-Sissi. « Parce qu’il ne nous a rien offert à part les arrestations arbitraires, le gel des avoirs et le meurtre des manifestants ».
Dans un discours dimanche, Al-Sissi avait affirmé qu’aucun mouvement ne serait banni de la participation politique. « L’opportunité s’offre à tous », a-t-il insisté. Courtisé par les autorités pour donner une couverture islamiste à l’intervention de l’armée, le parti salafiste Al-Nour a pris récemment ses distances avec le nouveau gouvernement en raison de la « vaste campagne d’arrestation » de partisans de Morsi.
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