L’Egypte craint une importante baisse du débit du Nil, vital pour le pays.
Les ministres des Affaires étrangères et ceux des ressources en eau de l’Egypte, du Soudan et de l’Ethiopie sont réunis depuis lundi à Washington, pour dresser le bilan des quatre séances de négociations tenues au cours des deux derniers mois sous le parrainage des Etats-Unis et de la Banque mondiale, en vertu d’un accord conclu en novembre 2019. « Le ministre des Affaires étrangères, Sameh Choukri, s’est réuni lundi dans la capitale américaine avec le secrétaire au Trésor, Steven Munchin, et le président de la Banque mondiale, David Malpass, pour présenter la vision détaillée de l’Egypte sur les règles régissant le remplissage et le fonctionnement du barrage éthiopien de la Renaissance », a rapporté Ahmad Hafez, porte-parole du ministère. Les résultats de ces réunions techniques devraient être connus ce mercredi 15 janvier.
Mais on sait déjà que les négociations piétinent. Le principal obstacle concerne la durée du remplissage du réservoir du barrage, qui peut contenir 74 milliards de m3 d’eau. Alors que l’Ethiopie insiste sur un remplissage rapide pour bénéficier le plus vite possible de sa production électrique, l’Egypte craint que cela ne provoque une importante baisse du débit du fleuve, vital pour le pays. Les pourparlers des 8 et 9 janvier à Addis-Abeba se sont soldés sur un nouveau blocage. Anticipant les résultats de la réunion de Washington, le premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, a demandé dimanche, à Cyril Ramaphosa, le président sud-africain, d’intervenir dans les négociations en tant que prochain président de l’Union Africaine (UA). « Etant donné que Ramaphosa est un bon ami de l’Ethiopie et de l’Egypte, et aussi le prochain président de l’UA, il peut organiser des discussions entre les deux parties pour résoudre la question de manière pacifique », a déclaré Abiy Ahmed au cours d’une conférence de presse à Pretoria. Ramaphosa a déclaré qu’il était disposé à jouer un rôle de facilitateur, d’autant que « les deux parties veulent trouver des solutions ».
Les critiques du Caire
« Les quatre réunions ministérielles n’ont pas réalisé de progrès tangibles en raison de l’intransigeance de l’Ethiopie. Addis-Abeba veut imposer le fait accompli sans prendre en considération les intérêts hydriques des pays en aval », a déclaré, vendredi, le ministère des Affaires étrangères, dans un communiqué. « Il est étonnant qu’à chaque fois que l’Egypte appelle à des mesures pour préserver sa sécurité hydrique et celle des pays en aval, l’Ethiopie menace de procéder unilatéralement au remplissage du barrage », a fustigé l’Egypte. Le communiqué précise que l’Egypte a proposé de mettre en place des mécanismes pour s’adapter aux changements hydrologiques dans le Nil bleu et pour faire face aux années de sécheresse qui pourraient accompagner le processus de remplissage du barrage. « Or, l’Ethiopie a refusé, ce qui montre son intention d’utiliser ce barrage, qui vise uniquement à produire de l’électricité, au détriment des droits et des intérêts hydriques de l’Egypte et en violation flagrante des traités internationaux et des accords sur le partage des eaux du Nil ratifiés par Addis-Abeba qui garantissent les droits et les intérêts hydriques de l’Egypte », a estimé Le Caire. Par ailleurs, Le Caire a catégoriquement nié la prétention éthiopienne d’avoir posé sur la table une nouvelle proposition de remplir le barrage en 12 à 21 ans.
Quels scénarios ?
Selon l’expert hydrique, Abbas Chéraki, les positions éthiopiennes ne visent qu’à gagner du temps. « Toutes les données confirment que l’Ethiopie ne veut pas parvenir à un accord d’ici juin 2020, date du début du remplissage du réservoir du barrage de la Renaissance. Mais l’Egypte dispose de cartes de pression et ne restera pas les bras croisés face aux menaces à sa sécurité hydrique. Et là, il faut noter que les propositions égyptiennes ont été équitables et flexibles », pense Chéraki. Selon lui, la proposition égyptienne repose notamment sur le remplissage du barrage de la Renaissance sur une période comprise entre 6 et 7 ans. En cas de sécheresse, l’Egypte propose que le barrage fonctionne à 80 % de sa capacité électrique. « Sur quoi donc est basé l’objection de l’Ethiopie étant donné qu’elle n’assumera que des dégâts minimums par rapport aux pays en aval, notamment l’Egypte, qui perdra annuellement, elle, plus de 5 milliards de m3 de son quota annuel ? », se demande Chéraki, soulignant que les demandes égyptiennes sont légitimes, notamment le ralentissement du remplissage du barrage et la limitation des effets négatifs du processus de remplissage pendant la sécheresse. « En dépit des positions éthiopiennes qui compliquent la situation, la participation de l’Egypte à la réunion de Washington est une preuve de plus quant à son engagement sérieux pour parvenir à un accord équilibré préservant les droits et les intérêts hydriques de l’Ethiopie comme ceux des pays en aval », ajoute l’expert, qui souligne l’importance du parrainage américain et celui de la Banque mondiale dans ces négociations. Il pense que la demande par l’Ethiopie d’une intervention de l’Afrique du Sud dans les négociations est un signe de mauvaise volonté et « une nouvelle manoeuvre de diversion éthiopienne ». « Il ne fallait pas anticiper les résultats de la réunion de Washington. Il semblerait que l’Ethiopie ait joué cette carte pour contourner l’entrée des Etats-Unis et de la Banque mondiale, deux forces de poids disposant d’une grande expérience sur le dossier des litiges hydriques internationaux », explique Chéraki.
Nasr Allam, ancien ministre de l’Irrigation et des Ressources hydriques, pense que les 3 parties parviendront au terme des réunions de Washington à un accord partial sur le remplissage du barrage, mais la question de son fonctionnement sera remise à plus tard. Selon Allam, il est aussi possible que les négociations soient prolongées d’un mois. « Si Washington annonce l’échec définitif de la réunion, il y aura une autre série de négociations tripartites de deux mois, mais les Etats-Unis et la Banque mondiale y seront des médiateurs et non plus des observateurs », explique Allam. D’ailleurs, l’Egypte aura le plein droit, en cas d’échec de la médiation, de présenter une plainte auprès du Conseil de la paix et de la sécurité de l’Union africaine en raison des grandes pertes en eau qu’elle subira à cause du barrage de la Renaissance. « L’Egypte possède tous les arguments et les documents pour prouver la justesse de sa position dont les études techniques effectuées en 2013 par le comité international et qui avaient recommandé des études supplémentaires techniques, hydriques et environnementales sur le barrage. Il y a aussi les propositions faites par l’Egypte lors des dernières négociations, et les accords ratifiés par l’Ethiopie, garantissant les droits hydriques des pays en aval dans les eaux du Nil bleu », conclut Chéraki.
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