C’est une course contre la montre pour parvenir à un accord entre l’Egypte, le Soudan et l’Ethiopie sur les principes du remplissage et du fonctionnement du barrage éthiopien de la Renaissance garantissant les intérêts de toutes les parties. Le 15 janvier, les responsables des trois pays devraient se réunir à Washington pour la signature d’un accord final. Des points de discorde persistent toujours entre les trois pays. Ils concernent notamment les quantités d’eau qui doivent être assurées à l’Egypte en fonction de l’intensité de la crue du Nil bleu, dont l’Egypte dépend à 90 % pour son approvisionnement en eau, ainsi que les règles du fonctionnement du barrage suite au premier remplissage. L’Egypte veut continuer à bénéficier d’un débit annuel minimum de 40 milliards de m3 d’eau sur la branche du Nil bleu qui irrigue ses terres. Or, « la proposition de l’Ethiopie consiste à autoriser un débit annuel de 35 milliards de m3 d’eau sur le Nil bleu, et seulement pendant les périodes de remplissage du barrage et de sécheresse ou de sécheresse prolongée », indique le ministre égyptien de l’Irrigation dans un communiqué.
L’issue des négociations est encore incertaine en dépit de quelques progrès. Selon Amani Al-Taweel, présidente du département des études africaines au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, la participation des Etats-Unis et de la Banque Mondiale (BM) en tant qu’observateurs est positive, mais ne suffit pas pour régler définitivement le litige autour de ce dossier. C’est pourquoi elle pense peu probable que la réunion du 15 janvier à Washington donne lieu à un accord définitif entre les trois pays. Elle doute que l’Ethiopie accepte la proposition de l’Egypte de lier le fonctionnement du barrage à la quantité d’eau stockée derrière le Haut-Barrage. « Pour l’Ethiopie, ceci est injustifié, puisque le Haut-Barrage ne dépend pas uniquement du Nil bleu. Elle estime qu’une telle condition limitera son exploitation du barrage de la Renaissance », explique Al-Taweel.
L’expert hydrique Abbas Chéraki ne s’attend pas, quant à lui, à un prolongement des négociations tenues sous médiation américaine. « Si ces négociations n’aboutissent pas, il faudra recourir à une médiation internationale », estime-t-il. Il signale un communiqué conjoint publié en décembre 2019, selon lequel les ministres des Affaires étrangères des trois pays ont convenu d’invoquer l’article 10 de la Déclaration de principe de 2015, permettant aux parties signataires de l’accord de recourir à la médiation d’une autre partie en cas d’échec des négociations tripartites pour régler les points de discorde. Cet article stipule précisément qu’en cas d’échec des négociations au niveau ministériel, la balle passe dans le camp des chefs d’Etat ou de gouvernement, ou une « médiation » externe peut être revendiquée. Une alternative que l’Ethiopie a toujours tenté d’éviter. « Il n’est pas exclu que l’Egypte ait recours à la médiation internationale. Et là, il ne s’agira pas d’escalade de la part de l’Egypte, mais de son droit légitime à défendre sa sécurité hydrique. Le pays assumera dans tous les cas une perte de son quota d’eau de 5 milliards de m3 pendant les années de remplissage du barrage. Ce qui se répercutera directement sur l’agriculture, la production d’électricité, les projets, etc. Or, Le Caire l’a répété clairement à maintes reprises: le pays n’est pas en mesure d’assumer des pertes qui nuisent à sa sécurité hydrique », souligne l’expert. Une position confirmée par les déclarations du président Abdel-Fattah Al-Sissi, faites le 25 décembre dernier. « Si le dossier du barrage de la Renaissance est pour l’Ethiopie une question de développement, pour l’Egypte, c’est une question de vie », a affirmé le président, ajoutant que l’Egypte tente de parvenir à un accord consensuel apportant le minimum de dégâts aux pays en aval. « L’Egypte espère que le remplissage du barrage s’effectuera le plus lentement possible, afin de ne pas perturber le débit du Nil plus que nécessaire. De son côté, le gouvernement éthiopien souhaite produire de l’électricité le plus rapidement possible. Et c’est là que réside l’essence des controverses entre les deux pays », indique Chéraki. Il ajoute que le refus de l’Ethiopie de la présence d’un comité technique mixte rassemblant des ingénieurs des trois pays pour contrôler le fonctionnement du barrage est une autre raison qui justifie le recours de l’Egypte à une médiation internationale, comme l’estime Chéraki. « Cette demande de la part de l’Egypte n’est pas une hérésie. Il existe des comités similaires contrôlant le barrage d’Owen en Ouganda et qui emploient un ingénieur égyptien, et au Haut-Barrage, avec un ingénieur soudanais. La présence de ces comités ne constitue donc pas d’ingérence dans les affaires des autres pays, mais un outil de coopération dans la prise de décision entre les parties concernées », explique Chéraki. Sur ce point, il insiste sur le fait que l’Egypte ne peut pas renoncer à cette revendication qui lui permettra de suivre de près les flux et les quantités d’eau envoyées aux pays en aval.
Chéraki pense que l’Egypte sera dans son droit, en cas d’échec de la médiation, de présenter une plainte auprès du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine, pour contester les dégâts liés aux grandes pertes de son quota d’eau à cause du barrage de la Renaissance. « Les longues années de négociations, les études préparées sur le barrage en 2013 par le comité international, et qui avaient recommandé avec urgence plus d’études techniques, hydriques et environnementales pour le barrage, mais qui ont été rejetées par l’Ethiopie, sont des documents qui appuieront la position de l’Egypte en cas de recours à un arbitrage international », affirme Chéraki.
D’autres scénarios plausibles
Ancien ministre de l’Irrigation et des Ressources hydriques, Mohamad Nasr Allam, pense que les Etats-Unis, en tant que force internationale majeure, ont intérêt à réussir dans ce dossier. « Mais en cas d’échec de Washington en tant qu’observateur, l’Egypte possède d’autres cartes de pression à jouer, dont l’intervention d’un autre médiateur tel que la Russie ou la Chine, qui avaient proposé leurs médiations », estime Allam. Sur la différence entre le statut d’observateur et le statut de médiateur, il explique que le rôle de l’observateur se limite à suivre de près le déroulement des négociations sans intervenir de manière directe, c’est une manière de garantir le sérieux des négociations. Quant aux médiateurs, ils participent de manière directe aux négociations et peuvent présenter des solutions aux parties en différend. Son avis n’est pas contraignant, mais plus influent que l’observateur. Un dossier toujours épineux, mais crucial pour l’Egypte qui défend sa sécurité hydrique.
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