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Amira Abdel-Halim : La solution militaire ne suffit pas pour éradiquer le terrorisme au Sahel

Propos recueillis par Sabah Sabet, Lundi, 06 janvier 2020

Amira Abdel-Halim, experte des affaires africaines au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques d’Al-Ahram (CEPS), évalue les résultats de la lutte antiterroriste au Sahel. Elle craint que le terrorisme ne croisse à l'avenir.

Amira Abdel-Halim

Al-Ahram hebdo : L’année 2019 s’est achevée par deux attaques sanglantes à Burkina Faso et au Niger, où civils et militaires ont péri. Que signifie cette recrudes­cence et la tendance risque-t-elle de se poursuivre en 2020 ?

Amira Abddel-Halim: Les groupes terroristes ne cessent pas de croître, et les nouvelles formations djihadistes reçoivent toujours la subvention des anciens. Le Sahel n’abrite plus qu’Al-Qaëda ou les groupes qui lui sont affiliés, mais aussi Daech et ses branches. Et bien que les idéologies de chacun d’eux soient différentes, leurs objectifs sont toujours les mêmes. Les djihadistes fuyant l’Iraq et la Syrie ont trouvé refuge dans le Sahel et des alliances ont eu lieu entre les différents groupes. Car ce qui se passe au Proche-Orient a un effet direct sur le Sahel. Les groupes djihadistes qui fuient des pays qui luttent contre le terrorisme y trouvent refuge. Je pense donc que la situation va s’aggraver au Sahel, notant qu’il existe des forces régionales qui sou­tiennent ces groupes pour maintenir la situation telle quelle.

— Mais pourquoi cette région en particulier abrite-t-elle tous ces groupes ?

— Malgré ses importantes richesses naturelles, le Sahel est la région la plus pauvre d’Afrique : problèmes d’insécurité alimentaire, absence d’un vrai développement et dernièrement, crises écologiques comme la sécheresse du lac du Tchad. Tous ces éléments font que la population est très vulnérable. Avec l’absence de solutions gouverne­mentales destinées aux citoyens qui souffrent de marginalisation et de pauvreté, les groupes terroristes pro­fitent de la situation pour recruter parmi ces déshérités en grand nombre dans leurs rangs. De plus, il existe de grandes régions au Sahel qui échappent au contrôle des gou­vernements. Dans ces régions, les groupes terroristes ont pu s’imposer, notamment en s’impliquant dans le trafic d’armes et de drogue pour s’autofinancer.

— Cela fait plusieurs années que des efforts sont menés pour lutter contre le terrorisme dans cette région, sans résultats palpables. Que peut apporter 2020 de nou­veau ?

— Malheureusement, la lutte anti­terroriste, dans son volet militaire, ne donne pas toujours les résultats escomptés. Par contre, le recours excessif à la force risque de leur faire gagner une certaine sympathie popu­laire.

— Quel rôle jouent les pays voi­sins pour contrer la menace terro­riste ?

— L’Algérie est un pays qui a souffert du terrorisme et a une expé­rience dans la lutte contre ce fléau. Elle a donc pris un certain nombre de mesures: échanges de renseigne­ments, entraînement des armées des pays voisins, etc. Elle a aussi joué un rôle de médiateur, notamment au Mali, entre les groupes touaregs et le gouvernement.

Différents groupes armés, affiliés à Daech ou à Al-Qaëda, opèrent au Sahel.
Différents groupes armés, affiliés à Daech ou à Al-Qaëda, opèrent au Sahel.

— Et qu’en est-il de l’Egypte ?

— L’Egypte déploie depuis plu­sieurs années, notamment depuis 2014, des efforts distingués en matière de la lutte antiterroriste. Elle entraîne des membres d’armées de pays de la région, reçoit des étu­diants dans ses facultés militaires. L’Egypte a aussi créé en 2019 le Centre de lutte antiterroriste axé sur le terrorisme au Sahel. Et depuis 2014 également, l’Egypte opte pour une politique de retour en force en Afrique, et la région du Sahel est prioritaire. L’Egypte entend investir sa capacité et son expérience dans la lutte antiterroriste.

— La France, particulièrement engagée dans la lutte antiterroriste dans cette région et pays ayant soutenu la création du G5 Sahel, s’apprête à accueillir un sommet avec ce groupe le 13 janvier. A quoi peut-on s’attendre alors que ce groupe n’est toujours pas si effec­tif que cela ?

— L’intervention militaire de la France dans cette région a commen­cé au temps de l’ex-président François Hollande. Macron a pour­suivi la mission de Hollande en intervenant au Mali pour combattre les djihadistes qui ont mis leurs mains sur le Nord. Or, cette interven­tion n’a pas mis fin au terrorisme, mais au contraire, les groupes se sont propagés dans la plupart des pays du Sahel où ils représentent toujours une vraie menace. De plus, il existe un véritable problème avec les inter­ventions étrangères en général, elles sont refusées par les populations locales qui y voient une nouvelle forme de colonialisme. Cela dit, la France a des intérêts dans la région et ne va certainement pas les sacrifier, malgré les pertes qu’elle subies. C’est pour cela qu’elle soutient for­tement le G5 Sahel, un cadre institu­tionnel de coordination et de suivi de la coopération régionale en matière de politiques de développement et de sécurité, formé des cinq pays du Sahel. Face au manque de finance­ment, le président Macron cherche toujours la subvention de l’Union Européenne (UE). En bref, le G5 ne sera effectif sans le soutien financier de l’UE. Or, tant que les intérêts européens au Sahel ne sont pas tou­chés, rien ne va inciter ces pays européens à entreprendre une action effective.

— Comment voyez vous donc la solution ?

— En général, les interventions militaires étrangères ne peuvent pas durer longtemps, car elles coûtent cher et représente une charge finan­cière au pays en question. En plus, la solution militaire à elle seule n’abou­tit jamais à une éradication du terro­risme. Il est donc nécessaire de se pencher sur d’autres volets: oeuvrer à un véritable développement écono­mique, éducatif et sanitaire, promou­voir la démocratie et ne pas margina­liser certaines régions. Telles sont les vraies armes de lutte antiterroriste dans le Sahel et dans le reste du continent.

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