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En Egypte, le terrorisme dos au mur

Ahmad Kamel Al-Béheiri*, Lundi, 06 janvier 2020

Déjà en net recul en 2019, le terrorisme devrait poursuivre sa régression en 2020. Décryptage.

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L'opération Sinaï 2018 a été un succès.

L’année 2019 a été une année positive en ce qui a trait à la lutte antiter­roriste et cette tendance devrait se poursuivre en 2020. Les activités des groupes terro­ristes actifs en Egypte depuis 2013 ont nettement égressé et l’on assiste à une mutation de la carte de ces groupes. On a consta­té au cours de l’année 2019 qu’aucune opération terroriste n’a été commise par l’organisation Al-Qaëda, alors que les activités de Daech en Egypte ont connu une nette régression en ce qui concerne le nombre et l’ampleur des opérations commises. L’année 2019 a connu un recul du nombre de victimes au sein des appareils de sécurité par rapport aux cinq dernières années.

Des évolutions positives qui ont fait que l’Egypte est sortie de la liste des dix pays les plus tou­chés par le terrorisme en 2019 sur l’indice mondial du terro­risme, alors qu’elle occupait la 9e place en 2017 et la 11e en 2018. (voir entretien). Un progrès qui semble minime, mais qui est hau­tement significatif si nous pre­nons en considération la diffi­culté de la guerre en cours contre le terrorisme et les troubles régionaux qui affectent la situa­tion sécuritaire en Egypte. Cette évolution positive en matière de lutte contre le terrorisme n’a pas été le fruit du hasard, mais le résultat d’efforts sécuritaires depuis la fin 2013, année qui a vu une montée en flèche des activi­tés terroristes. Les efforts déployés par l’Etat ont notam­ment contribué à changer la carte des groupes terroristes, dont cer­tains se sont complètement éclip­sés, alors que d’autres ont fusion­né. Parmi ces groupes figurent les organisations Gonde Al-Islam dans le Sinaï, Ansar Al-Islam, dans le désert occidental et les groupuscules Hasm et Liwaa Al-Sawra, affilés à la confrérie des Frères musulmans et qui étaient actifs dans le Delta et au Caire. Par ailleurs, la situation au nord du Sinaï a beaucoup évolué avec un recul considérable durant l’année 2019 du nombre d’opéra­tions et de l’ampleur des attaques menées contre les forces de l’ar­mée et de la police, par l’organi­sation Wilayet Sinaï affiliée à Daech, qui a perdu du terrain.

Le Désert occidental source d’inquiétude

La région du Désert occidental reste un cas spécial. Depuis 2015, certaines organisations extrémistes ont tenté de s’y ins­taller et ont commis un certain nombre d’attaques terroristes avant que la situation sécuritaire ne se stabilise en 2018-2019. Le groupe Al-Mourabitoune, affilié à Al-Qaëda, était derrière ces attaques. Fondé par Hicham Al-Achmawy (arrêté par les autorités libyennes et livré à l’Egypte), ce groupe se trouve actuellement à Derna en Libye sur les frontières de l’Egypte. Ce qui remet sur le tapis la menace pesante que représentent aujourd’hui les frontières ouest sur la sécurité nationale, notam­ment avec les menaces turques d’intervenir en Libye. Il faut souligner que l’apparition subite des groupes affiliés à Al-Qaëda dans cette région est provisoire contrairement à leur présence dans le Sinaï. Ceci est au fait que la nature géographique du Désert occidental est différente de celle du Sinaï où les groupes terro­ristes se réfugient grâce à la nature montagneuse de la région, alors que le Désert occidental est ouvert. D’ailleurs, la culture reli­gieuse dans le Désert occidental est proche de la doctrine sala­fiste, alors que l’influence djiha­diste est très faible. A cela s’ajoute l’intérêt accordé par l’Etat pendant les trente der­nières années à l’urbanisation de cette région et au développement touristique de l’oasis de Siwa. Un fait qui a largement influencé la composante culturelle des tri­bus et a favorisé la coopération entre l’Etat et les habitants. Il n’y a pas dans cette région ni animo­sité ni conflits historiques entre les tribus et l’Etat; et la coopéra­tion entre les tribus du Désert occidental et l’Etat profite aux deux parties. Des facteurs qui limitent la menace terroriste dans cette région. Les mesures de sécurité renforcées tout au long des frontières ouest de l’Egypte ont été un autre facteur qui a restreint la menace terro­riste en diminuant le risque d’in­filtration des éléments terro­ristes.

La régression se poursuit

Toutes les données précédentes nous mettent en face de plusieurs scénarios probables qui peuvent avoir lieu pendant l’année 2020, dont la continuité du recul des opérations terroristes dans la Vallée et le Delta. Et en ce qui concerne Daech au nord du Sinaï, le groupe ne disparaîtra pas défi­nitivement, mais les opérations terroristes que l’organisation peut commettre connaîtront un recul considérable. Il n’est pas exclu que le groupe vise les coptes et les étrangers en guise de représailles au meurtre du chef de l’organisa­tion, Abou-Bakr Al-Baghdadi. D’où la nécessité de maintenir la vigilance sécuritaire et de mener des coups préventifs contre les fiefs terroristes pour éviter ce dan­ger.

Il est par ailleurs prévu que l’an­née 2020 marque un changement dans l’ordre des priorités du groupe. L’ennemi lointain et l’en­nemi proche seront à pied d’éga­lité. Pour Daech, l’ennemi proche est les chiites et les régimes arabes et islamiques au pouvoir alors que l’ennemi lointain comprend les pays occidentaux et les Etats-Unis. Pour compenser ses pertes en combattants, Daech pourrait aussi oeuvrer à mener des attaques contre Al-Qaëda dans le Sinaï pour l’affaiblir et par la suite recruter des combattants dans ses rangs. Il est également prévu pen­dant l’année 2020 que le groupe Daech ait recours plus à la tac­tique de la guerre des gangs plutôt qu'à l’affrontement. En plus, le groupe va compter sur la capacité de chaque élément d’exécuter une opération terroriste, ce qu’on appelle la tactique des loups soli­taires.

Amadouer les Sinawis

Lors du dernier discours pro­noncé par Abou-Bakr Al-Baghdadi, en septembre 2019, avant son assassinat, le chef de Daech avait appelé ses partisans à s’approcher des habitants locaux dans les régions où l’or­ganisation est active dans une tentative de gagner leur confiance. Un danger que l’Etat doit contrer en renforçant la coo­pération avec les habitants locaux pour barrer la route aux groupes terroristes. L’année 2019 a été un tournant pour le groupe Daech. Le groupe qui sévissait dans le Sinaï et qui était le plus grand et le plus influent a perdu beaucoup de terrain au cours de l’année écoulée, notamment après sa défaite en Iraq et en Syrie, son avenir demeure aujourd’hui flou. La situation en Iraq et au Liban ainsi qu'une éventuelle invasion militaire en Libye remettent en question la probabilité et la capa­cité de ce groupe de réorganiser ses rangs l

*Chercheur au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram et spécialiste des groupes terroristes

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