Al-Ahram Hebdo : Pourquoi l’ordre s’oppose-t-il au nouveau système d’internat annoncé par le ministère de la Santé ?
Ihab Al-Taher : La décision hâtive et non claire du ministère de la Santé de modifier le système d’internat a été la principale cause de notre refus. Le nouveau système d’internat n’est pas approprié dans les conditions actuelles. Il aurait fallu ouvrir un débat avec les médecins avant de décider de leur sort, surtout qu’au début, aucun détail n’a été révélé sur les changements. Lors d’une récente rencontre, le 4 décembre, avec une délégation de l’ordre, la ministre de la Santé a promis de nous envoyer le nouveau système pour que nous l’étudions (voir sous-encadré). Il est important de noter que l’ordre revendique depuis longtemps la modification du système d’internat de façon à assurer une meilleure formation pratique aux médecins. La controverse porte sur le moment de cette décision et non pas sur le principe de changer. Pour mettre en place un système réussi, il faut d’abord se préparer à tous les niveaux pour son application, ce qui nécessite au moins 3 ans. A titre d’exemple, parmi les défaillances du système en vigueur, c’est que les hôpitaux publics ne sont pas en mesure de recevoir le grand nombre de diplômés. Chaque année, parmi les 8 000 diplômés de la faculté de médecine, environ 2 000 s’inscrivent au programme de bourses égyptiennes « The Egyptian Fellows » et 2 500 préparent un diplôme ou une maîtrise, alors que le reste attend des années pour se spécialiser.
— Quelles sont, d’après-vous, les mesures nécessaires pour mettre en place le nouveau système d’internat ?
La ministre de la Santé s'est réunie avec une délégation de l'ordre des Médecins pour discuter le nouveau système d'internat des médecins.
— Pour appliquer le nouveau système d’internat, il faut augmenter le nombre des hôpitaux publics. Il faut aussi trouver le budget nécessaire pour équiper les hôpitaux, assurer la présence d’une salle de cours pour les médecins, d’un réseau Internet et d’opératoires pour accueillir le grand nombre de médecins en formation. D’ailleurs, il faut avoir un nombre suffisant de professeurs de médecine qui assument la formation des diplômés. Le nouveau système annoncé par le ministère de la Santé vise en premier lieu à remédier au manque de médecins dans les hôpitaux publics. Mais si on n’applique pas le système sans préparation, on ne règlera pas le problème. L’exode des médecins à l’étranger pour la formation ou le travail persistera tant qu’on ne leur offrira pas de bonne formation, des conditions dignes de travail et un meilleur statut salarial, pour les encourager à travailler aux hôpitaux publics. Et là, il faut noter qu’environ 100 000 médecins sont partis pour travailler à l’étranger.
— Que faut-il faire pour contrer l’exode des médecins ?
— Il faut avant tout augmenter les salaires des médecins qui contestent leur statut salarial depuis 2011. Ils ont réussi en 2014 à obtenir une hausse de salaires de 1 200 à 1 500 L.E., ce qui reste insuffisant. Avec le lancement officiel du nouveau système d’assurance médicale intégrale, le président Abdel-Fattah Al-Sissi a annoncé que tous les médecins toucheraient le même salaire que le médecin qui travaille dans les hôpitaux de l’assurance médicale. La première phase du nouveau système d’assurance médicale a commencé en juillet 2018 à Port-Saïd, et devrait couvrir l’ensemble de l’Egypte d’ici 2032. Il est donc difficile que des médecins attendent jusqu’en 2032 pour améliorer leur salaire. Et ce, alors que le salaire du nouveau médecin qui travaille dans les hôpitaux de l’assurance médicale à Port-Saïd est passé de 2 200 à 6 500 L.E., le spécialiste touche entre 5 600 et 12 000 L.E., et le consultant entre 5 600 et 18 000 L.E. Nous demandons que ce salaire soit payé à tous les médecins pour faire face à l’exode des médecins. 65 000 médecins seulement travaillent en Arabie saoudite, et touchent en moyenne l’équivalent de 50 000 L.E. par mois, mais je suis sûr qu’ils préféreront rentrer en Egypte s’ils touchent le quart de cette somme.
— Y a-t-il d’autres raisons qui favorisent le départ des médecins à l’étranger ?
— Le secteur de la santé dans son ensemble souffre d’une énorme carence en infrastructures médicales, ce qui crée une atmosphère défavorable au travail des médecins, dont une majorité finit par quitter le pays pour travailler ailleurs. A titre d’exemple, dans les hôpitaux mal équipés, il y a souvent des bagarres entre les médecins et les familles des patients à cause du manque de médicaments et d’autres équipements. Des médecins ont été agressés par des familles de patients, une ambiance décourageante. L’ordre a préparé un projet de loi pour durcir les peines contre ceux qui agressent les médecins dans les hôpitaux publics durant l’exercice de leur métier. Mais une loi est incapable à elle seule de remédier à ces abus tant que les véritables problèmes persistent, à savoir la détérioration de la qualité des services de santé et la mauvaise formation des médecins. Et c’est le vrai défi qu’il faut surmonter pour le bien du métier, des médecins et des patients.
A la recherche d’un consensus
Dans le but de désamorcer la crise engendrée par l’annonce du nouveau système d’internat des médecins, la ministre de la Santé, Hala Abou-Zeid, s’est réunie, le 4 novembre, avec une délégation de l’ordre des Médecins, composée de son président, Hussein Khaïri, du secrétaire général de l’ordre, Ihab Al-Taher, ainsi que du président de la commission de la santé au parlement, Mohamad Al-Ammari. Lors de cette rencontre, la ministre a tenu à rassurer toutes les parties que le nouveau système avait été minutieusement étudié. Il vise principalement, selon la ministre, à améliorer le niveau de formation des médecins. La réunion a permis surtout de discuter des points de discorde entre le ministère et l’ordre sur ce système. En ce qui concerne les dispositions mises en place dans les hôpitaux qui doivent recevoir 8 000 médecins diplômés chaque année, la ministre a expliqué que le système de formation des médecins par le biais du programme de bourses égyptiennes a été bien étudié, afin de fournir une formation convenable au médecin égyptien et garantir le droit du patient à un service de qualité. Elle a assuré que ce système est conforme aux normes d’accréditation du programme britannique « British Fellowship Program », notant qu’un protocole d’accord a été signé avec Harvard University School of Medicine pour une période de 3 ans, pour former les médecins à la recherche scientifique.
La ministre a ajouté que le ministère de la Santé assumerait les coûts financiers de ce programme. En ce qui concerne le choix du domaine de spécialisation, la ministre a déclaré que le médecin qui n’a pas la chance de prendre le domaine de spécialisation qui lui plaît dès le début, pourra se spécialiser dans la médecine familiale jusqu’à ce qu’il puisse avoir un domaine de spécialisation qui lui convient.
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