« Réglementer les relations familiales et conjugales conformément à la charia sur la base de tolérance et du respect des droits et des devoirs », tel est le principal objectif du projet de loi sur le statut personnel élaboré par l’institution d’Al-Azhar, comme l’a indiqué un communiqué du bureau du grand imam d’Al-Azhar, cheikh Ahmad Al-Tayeb. Une initiative qui ne manque pas de soulever des interrogations, non seulement sur son contenu, mais aussi et surtout sur le fait qu’elle émane d’Al-Azhar. Cette institution religieuse est-elle autorisée à proposer des projets de loi ? Non, répond la députée Dalia Youssef, puisque c’est une prérogative dont disposent uniquement, conformément à la Constitution, le président de la République, le gouvernement et le parlement. « Il est donc catégoriquement rejeté que le parlement discute un projet de loi présenté par Al-Azhar, qui est seulement consulté sur les lois relatives à la charia », estime Youssef. L’argument est tout autre du côté de l’institution religieuse : dans un communiqué, le grand iman a indiqué que lorsqu’il s’agit de lois principalement basées sur les principes de la charia, Al-Azhar est l’instance concernée. Avec ce projet de loi, « Al-Azhar n’a fait qu’assumer son rôle stipulé par les articles 2 et 7 de la Constitution, qui affirment que la charia islamique est la source principale de la législation et qu’Al-Azhar est la référence principale en ce qui concerne les sciences religieuses et les affaires islamiques », a déclaré le grand imam, soulignant qu’Al-Azhar « ne s’ingère pas dans les affaires législatives ou politiques ».
Défendant la droiture de la position d’Al-Azhar, il a jugé que de telles affaires ne doivent pas être décidées par des non-spécialistes en matière de sciences religieuses. « Cela ne veut pas dire qu’en élaborant le texte, on n’a pas consulté des juristes spécialisés dans les affaires du statut personnel, des professeurs d’université, des oulémas et des experts », a confirmé Al-Tayeb.
Quelles nouveautés ?
Deux nouveautés : c’est la première fois que la période de fiançailles est abordée (articles 3 et 4). L’objectif est de réglementer les droits de chacun d’entre eux en cas de rupture. A titre d’exemple, en vertu du projet de loi, si c’est la femme qui décide de rompre les fiançailles, elle doit rendre à son financé tous les cadeaux reçus dont la bague de fiançailles. Mais si c’est l’homme qui rompt, il n’a pas le droit de les récupérer. Pour ce qui est de la problématique du divorce verbal, l’article 54 du projet de loi exige que l’homme ayant répudié sa femme enregistre le divorce auprès de la justice dans un délai maximum de 30 jours. Deux points positifs.
Or, outre les prérogatives d’Al-Azhar, le débat s’est étendu aussi au contenu du texte. Celui-ci inclut des nouveautés : articles relatifs à la rupture des fiançailles, certification du divorce verbal et articles garantissant les droits du couple en cas de divorce. Sur le fond de la loi, cheikh Al-Tayeb a tenu à souligner qu’avec ce projet de loi, Al-Azhar entend défendre les droits des femmes. « Une bonne partie des femmes dans nos sociétés arabes ne parviennent pas à obtenir leurs pleins droits. Et c’est pourquoi Al-Azhar a voulu par ce projet de loi récupérer et défendre leurs droits pour réaliser un équilibre dans les relations hommes-femmes », a expliqué le grand imam.
En effet, l’amendement de la loi sur le statut personnel se révèle une nécessité, vu l’ampleur du phénomène de divorce en Egypte, alors que les failles de la loi en vigueur restent incapables de résoudre une grande partie des problèmes post-divorce. Selon l’Agence centrale pour la mobilisation publique et les statistiques (CAPMAS), 240 divorces sont prononcés chaque jour par les tribunaux en Egypte. Des milliers de dossiers traînent dans les tribunaux et la lenteur des procédures judiciaires, notamment en ce qui concerne les pensions alimentaires, le logement et la garde des enfants, pèse sur les familles.
Or, si le projet de loi d’Al-Azhar inclut des nouveautés, il se révèle insuffisant de remédier aux principales failles de la loi en vigueur sur le statut personnel, estime la députée Abla Al-Hawari, du parti Mostaqbal Watan. Selon elle, ce projet comporte aussi des articles qui s’opposent aux libertés et aux droits individuels. Al-Hawari critique par exemple l’article 6, autorisant au père de séparer sa fille adulte de son mari en cas d’incompatibilité. « Ceci porte atteinte à la liberté personnelle et à l’indépendance que garantit la Constitution aux personnes majeures », dit-elle.
Celle-ci affiche également des réserves sur l’article 15 permettant aux parents et au maazoun de faire marier un couple moins de 18 ans s’ils ont des « arguments raisonnables ». « Un article qui ouvre grand la porte au mariage précoce, un phénomène contre lequel on doit plutôt s’attaquer, vu ses répercussions catastrophiques tant sociales que sur le niveau de la santé », fustige la députée.
Au-delà de cette polémique, Fatma Khafagui, ancienne directrice du bureau des plaintes auprès du Conseil national de la femme, estime que le problème dépasse ce débat. « Toute loi qui ne prend pas en considération le changement qu’a connu la société ne peut pas être viable » estime Khafagui. Elle réclame la création de comités spécialisés au sein des tribunaux du statut personnel pour faire des études au cas par cas, que ce soit en ce qui concerne la pension ou la garde des enfants. « Ce genre de comité existe ailleurs au monde, pour décider qui est la personne la plus convenable pour être la garde des enfants, soit le père, la mère ou les grands-parents, en fonction de leurs circonstances sociales, financières et aussi psychologique », explique Khafagui, qui propose aussi de suivre l’exemple de la Tunisie et de créer un fonds pour les pensions, pour assurer leur paiement régulier. Selon la féministe, ce fonds pourrait être financé par l’Etat, les indemnités de retard de paiement de pensions, les revenus des placements faits par le fonds et les dons. « Il est inadmissible d’attendre des années devant les tribunaux pour recevoir une pension. On a besoin d’une législation et de mécanismes aptes à remédier à ces failles », estime-t-elle. Et de conclure : « Dans tous les cas, les enfants ne doivent pas assumer les conséquences néfastes du divorce et des crises économiques. Ils ont besoin d’un logement décent. Ils ont besoin aussi de manger et d’aller à l’école ».
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