« La vérité est que les menaces qui ont plané sur l’Etat égyptien depuis la révolution du 25 janvier sont multiples, mais elles n’ont pas atteint son existence même. Il est vrai que la police était au point de s’effondrer, mais elle a tenu le coup, même sans être réformée. Il en est de même pour d’autres institutions comme la justice, etc. Et beaucoup de gens, surtout les jeunes, quand ils ont manifesté contre l’armée et ont mené des batailles contre la police avaient le sentiment que l’Etat de Moubarak en déliquescence n’avait rien à leur donner. Il leur importait donc peu qu’il reste ou qu'il s’effondre. Beaucoup ne voyaient pas la différence entre l’Etat et le régime. Or, l’armée, elle, est demeurée le noyau dur garant de la pérennité de cet Etat.
Durant tout le règne de Moubarak, elle n’a pas investi la scène politique et a fait l’objet durant les deux dernières années à plusieurs campagnes de dénigrement à cause des politiques du Conseil suprême militaire, mais elle est restée solide et garante de l’Etat national », écrit Amr ElShobaky dans Al-Masry Al-Youm. Morsi et sa confrérie n’ont pas compris qu’ils étaient en train de ronger le sphinx après avoir éliminé tout le monde de la scène. Ils ont voulu l’approprier et le façonner à leur manière sans regard pour les autres. Cela les a amenés à un instant donné à vouloir rallier les intérêts, même contradictoires, de tout le monde.
Et même la police, jusque-là décriée, est devenue le héros du peuple. « Le soutien étonnant aux soldats de la police et de l’armée de la part de la majorité du peuple égyptien confirme que le sentiment spontané des Egyptiens a toujours été en faveur de la sauvegarde de l’Etat. Le refus des Frères musulmans par le peuple n’est pas seulement un refus de leurs politiques, mais l’expression d’un sentiment de défense de l’Etat qu’ils ont construit depuis deux siècles, ajoute ElShobaky. C’est ce qui explique la joie de voir Morsi évincé du pouvoir le 3 juillet, date que les Egyptiens ont déjà qualifié de fête de l’indépendance, puisque pour beaucoup, les Frères sont pressentis comme des intrus.
Quelles alternatives devant les Frères ?
« La première alternative et qui est exclue, vu les événements de la semaine dernière, est qu’ils fassent comme les partis islamistes en Indonésie qui sont arrivés au pouvoir après Suharto, après des élections libres et démocratiques. Les défis étaient au-dessus de leurs capacités et ils ont été décriés par leurs partisans, mais ils ont réussi à se maintenir en tant que groupe démocratique qui respecte le jeu de la démocratie jusqu’aux nouvelles élections, où ils ont perdu leur aura et se sont contentés de ce que leur offraient les résultats des élections. Mais cette alternative n’est pas d’actualité pour les Frères qui n’ont pas su lire la scène politique en Egypte », écrit le politologue Moataz Abdel-Fattah dans le quotidien Al-Watan.
La deuxième alternative, selon lui, est le modèle Erbakan et Erdogan. « Le parti d’Erbakan, qui a gagné les élections de 1996, n’a pas su, lui aussi, comprendre la scène politique locale et internationale, et il est tombé dans le piège de la victoire des urnes et a menacé la laïcité dans la société turque, ce qui a mené à un coup d’Etat silencieux et son parti a été interdit. Mais une partie de ses jeunes partisans ont décidé d’entrer en politique par la voie de la réussite économique et non par celle du conflit politique et ils ont réussi avec à leur tête Erdogan. La troisième alternative est le scénario algérien, à savoir un conflit armé. Mais cette alternative ne devait pas être invoquée devant les partisans de Morsi avant le 30 juin ou après pour la simple raison qu’elle constitue une menace au peuple, et la sagesse veut qu’on ne menace pas tout un peuple », dit-il. Or,
il semble que les Frères musulmans aient opté pour la politique du pire, vu les incidents de cette semaine. Et même si les données du scénario algérien de 1991 sont différentes des données de l’Egypte 2013 (du point de vue de la nature de l’Etat, de la composition de l’armée et de son rapport à la société, de la structure de cette même société dont les structures ont été enrichies depuis le 25 janvier), il n’en demeure pas moins que le potentiel nuisible des groupes armés est là. Alternative pacifique ou violente ?
Et s’ils portaient les armes ?
Dans un article publié dans le quotidien de tendance islamiste Al-Masriyoune,l’auteur Abdallah Abou-Saman, écrivain palestinien et proche des mouvances islamistes, dresse ce tableau : « La dangerosité de l’action armée des Frères réside en plusieurs points : d’abord l’entrée en action du Hamas avec l’apport en armes et en terrain d’entraînement. Ensuite, les djihadistes dans le Sinaï vont entrer en jeu en récupérant les Frères musulmans qui portent les armes. Le travail armé des Frères se fera sous couvert des groupes djihadistes, ce qu’ils ont déjà fait en Iraq lorsqu’ils se sont alliés aux phalanges des eichrine.
Le troisième danger est que les Iraniens et le Hezbollah entrent par la porte du Hamas ou par celle des relations d’organisation entre les Frères, le Hezbollah et les Iraniens. Le guide suprême de la confrérie avait, on se le rappelle, promis en 2006 d’envoyer 10 000 combattants pour soutenir le Hezbollah dans sa bataille contre Israël, et il s’était moqué du fait que les pays sunnites avaient peur du chiisme, alors qu’ils sont majoritaires en nombre. Il n’est pas difficile pour le Hezbollah d’entrer au Sinaï, puisqu’il a de bonnes relations avec ses habitants à cause des transactions en armes et à cause du fait que les autorités égyptiennes ont longtemps délaissé cette partie de l’Egypte. Le Sinaï peut ainsi devenir le terrain de lancement d’actions armées, soit dans la capitale ou dans les différents gouvernorats égyptiens ».
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