Les habitants de Tanta ont protesté contre la nomination du nouveau gouverneur issu de la confrérie.(Photo:Mohamad Moustapha)
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Dégage » est le mot d’ordre scandé par les habitants de la ville de Tanta rassemblés après la prière de vendredi. Ils protestent contre la nomination, la semaine dernière, de leur nouveau gouverneur Ahmad Al-Beyali, issu de la confrérie des Frères musulmans. Leur point de convergence : rue Al-Bahr, principale avenue de cette ville du gouvernorat de Gharbiya, dans le Delta du Nil. C’est cette avenue qui abrite le siège du gouvernorat, le conseil de la ville et la place Al-Chouhada (des martyrs). Rassemblés en petits groupes, les manifestants, majoritairement des jeunes, s’emploient à afficher les banderoles hostiles au président Mohamad Morsi et à la confrérie des Frères musulmans. Des activistes du mouvement
Tamarrod (rébellion) profitent des rassemblements pour collecter des signatures sur leurs bulletins, réclamant le départ de Morsi. Parmi les manifestants, certains, ne se souciant guère du bras de fer entre l’opposition et le régime, appellent l’armée à intervenir pour mettre de l’ordre dans le pays.
Les forces de sécurité sont déployées mais restent campées dans les petites rues latérales. Des policiers sont également postés devant les bâtiments officiels et l’université de la ville.
« Notre gouvernorat a voté massivement pour le candidat Ahmad Chafiq lors de l’élection présidentielle. Aujourd’hui, on cherche à nous punir en nous imposant un gouverneur islamiste. Mais nous refusons cette tentative de frérisation de notre gouvernorat », s’indigne Mahmoud Al-Dib, étudiant en informatique.
Pour Ahmad Atef, 40 ans, la nomination de ce nouveau gouverneur va consacrer tous les pouvoirs dans les mains des Frères musulmans. « Le gouverneur est le président du gouvernorat, dont il domine tous les organismes, y compris les municipalités. Il peut également contrôler l’accès aux services, notamment les provisions, pour instaurer un système de patronage », s’inquiète-t-il.
Un ras-le-bol général
Cinq formations politiques ont été représentées dans ces manifestations, notamment les partis libéraux Al-Wafd et Al-Dostour, et nassériens Al-Arabi Al-Nasséri et Al-Karama.
Mais les manifestations n’étaient pas complètement politisées pour autant. Beaucoup de manifestants n’étaient autre que de simples citoyens « lassés » des mauvaises conditions économiques et de la détérioration des infrastructures et des services.
« Nous avons des problèmes de coupures d’électricité et d’eau, et un mauvais réseau d’égout. Tous les services publics sont nuls à Tanta. Que va faire ce nouveau gouverneur si le président n’a rien fait pour nous depuis son élection il y a un an ? », se demande Sayeda Badawi, une mère de famille dans la cinquantaine.
« Le système d’assurance santé est dérisoire dans ce gouvernorat alors que les maladies se propagent à cause des montagnes d’ordures qui jonchent les rues. Personnellement, je suis obligé de chercher de l’aide parmi mes connaissances pour obtenir mes médicaments. Nous voulons un gouverneur issu de notre communauté pour qu’il soit conscient de nos souffrances et de nos problèmes », affirme Cheikh Sayed, la soixantaine.
A Qouhafa, une région du gouvernorat à forte densité islamiste, les habitants sont nettement plus optimistes. Ils disent ne pas avoir de préjugés contre leur nouveau gouverneur. « On doit le laisser travailler avant de le juger. Les Frères musulmans ne sont pas aussi mauvais que les opposants l’affirment », affirme Mohamad Abdallah, un avocat de 35 ans. « Je suis sûr que les choses vont bientôt s’améliorer », ajoute-t-il.
Pour sa part, Ahmad Al-Egeizi, secrétaire du Parti Liberté et justice à Tanta, estime que les protestations qui ont gagné les sept gouvernorats où de nouveaux gouverneurs islamistes ont été nommés indiquent qu’il s’agit « d’un complot concerté pour exacerber les troubles durant cette période très sensible ». Pour lui, « ceux qu’on voit aujourd’hui dans la rue ne sont pas dignes du titre d’opposants. S’ils étaient de vrais opposants, ils participeraient à un dialogue et viendraient discuter des différends avec nous », accuse-t-il.
Parmi les 17 gouverneurs que le président Morsi a nommés la semaine dernière, 7 appartiennent à la confrérie des Frères musulmans. Des observateurs y ont vu une décision susceptible de consolider son pouvoir à la veille des manifestations prévues à la fin du mois courant avec pour objectif de le destituer. Or, cette décision a eu un effet contraire et a exacerbé les critiques et les manifestations dans les gouvernorats concernés. Dans les gouvernorats voisins de Gharbiya, à Ménoufiya et Béheira, des manifestations perdurent depuis une semaine avec des épisodes d’affrontements entre partisans et opposants.
Sur la place Al-Chouhada, les manifestants ont décidé de camper sur les lieux jusqu’au 30 juin, « le jour du départ », comme ils l’affirment.
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