Le Conseil des ministres a approuvé un projet de loi contre la toxicomanie dans le secteur public.
Que faut-il faire avec les fonctionnaires toxicomanes ? Cette question fait actuellement l’objet d’un projet de loi prévoyant le licenciement des fonctionnaires consommateurs de drogues ou toxicomanes. Ce dernier a été soumis au parlement. En parallèle, le gouvernement a annoncé que tous les fonctionnaires subiraient un dépistage de drogue. Amr Osman, président du Fonds de lutte contre la toxicomanie du ministère de la Solidarité sociale, a indiqué que le fonds effectuerait ce dépistage en coordination avec les instances concernées (voir entretien).
Ces mesures ont été prises, ou accélérées, suite aux déclarations faites par le président Abdel-Fattah Al-Sissi lors du séminaire culturel des forces armées à propos de l’accident survenu à la gare du Caire le 27 février et qui avait fait 22 morts. « Par force de la loi, tout conducteur ou autre fonctionnaire sera immédiatement renvoyé s’il est pris en train de consommer de la drogue », a averti le président Sissi, affirmant que le conducteur de train à l’origine de l’accident était un consommateur de drogue. « Le dépistage de drogue pour les fonctionnaires fait partie du plan du gouvernement lancé en 2014 et destiné à lutter contre la consommation de drogues, dont la première phase a commencé par les conducteurs de bus scolaires et de camions », indique Rim Al-Saei, directrice du département des analyses au secrétariat général de la santé psychique et du traitement de la toxicomanie. « Ces dépistages visent à réduire le taux de consommation de drogues. La nouvelle loi en élaboration devrait contribuer à atteindre cet objectif. En parallèle, il faut lancer des campagnes pour sensibiliser aux dangers et aux répercussions des drogues », ajoute Al-Saei.
Une loi dissuasive
Jusqu’ici, les procédures entreprises contre les fonctionnaires consommateurs de drogues suivaient l’article 177 du règlement de la loi sur la fonction publique. Celui-ci stipule que « le fonctionnaire est licencié en cas de preuve de son incapacité physique due à la consommation de drogues ». Un article jugé imprécis par les spécialistes, puisqu’il lie le licenciement à « l’incapacité physique ». C’est ce qu’affirme le député Ahmad Al-Chérif, membre de la commission législative du parlement, qui souligne qu’il était temps de changer cette loi. « La promulgation d’une loi stricte et claire est devenue aujourd’hui une nécessité pour mettre fin aux négligences de certains fonctionnaires de l’Etat, qui coûtent parfois la vie à des citoyens innocents et nuisent aux intérêts et au développement de l’Etat », explique Al-Chérif.
Selon les termes du projet de loi présenté par le gouvernement, les autorités compétentes sont tenues d’effectuer un test de dépistage de drogue à toute personne avant de l’embaucher dans l’appareil administratif de l’Etat, soit dans les ministères, l’administration municipale, les secteurs publics et les organes dotés d’un budget indépendant. Ces tests de dépistage s’appliquent aussi aux fonctionnaires déjà en service. Et ce, en plus des autres conditions requises par les lois et les règlements.
Ces dispositions s’appliquent par ailleurs aux entreprises du secteur public, aux sociétés de gestion des services publics, aux orphelinats, aux maisons de retraite et aux foyers de réinsertion ainsi qu’aux crèches, aux écoles et aux hôpitaux privés. Selon le projet de loi, les tests de dépistage doivent être effectués avant tout recrutement, toute promotion à des grades supérieurs et toute accession à des postes-clés. En outre, le texte exige que le dépistage soit effectué annuellement, à l’improviste. Les fonctionnaires devront communiquer préalablement les genres de médicaments qu’ils consomment et qui pourraient influencer les résultats du test. Si un fonctionnaire doute du résultat de son test, il peut en effectuer un nouveau le jour même.
Les résultats doivent être envoyés à l’instance où il travaille. S’ils sont positifs, en tant que consommateur de drogue ou toxicomane, le fonctionnaire sera licencié définitivement. Le projet de loi stipule également que toute abstention ou fuite injustifiée devant ces analyses sera considérée comme un motif valable de licenciement. De même, le texte prévoit des peines de prison et d’amendes pour toute personne qui falsifie les résultats des tests, qui embauche une personne consommant des drogues ou qui s’abstient de licencier un fonctionnaire dont la toxicomanie a été prouvée.
Dernière chance pour les fonctionnaires
A compter de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, les fonctionnaires consommateurs de drogues disposeront encore d’un délai de trois mois pour renoncer aux drogues et subir un traitement spécialisé. Le gouvernement a fixé ce délai pour donner une chance à toutes les personnes décidées à conserver leur travail. Ghada Wali, ministre de la Solidarité sociale, a déclaré que le Fonds de traitement et de lutte contre la toxicomanie se charge de traiter gratuitement toute personne qui s’y rend de son plein gré tout en garantissant son anonymat. Une hotline (16023) a d’ailleurs déjà été ouverte pour ce service dans tous les secteurs publics. « Un grand nombre de personnes ont contacté ce numéro et ont commencé leur traitement dans le plus grand secret », a indiqué la ministre.
Un délai jugé insuffisant par Chawqi Al-Sayed, juriste spécialiste des affaires constitutionnelles. Selon lui, le licenciement de fonctionnaires est susceptible d’entraîner un problème plus grave de chômage qu’endossera le gouvernement. « Le parlement devrait introduire un article selon lequel les fonctionnaires consommateurs de drogues ne seront limogés de leurs fonctions qu’après au moins deux avertissements, afin de leur donner le temps nécessaire à se reprendre en main », explique Al-Sayed. Il ajoute qu’une majorité des fonctionnaires qui consomment de la drogue ne sont pas des toxicomanes. « Le fait de les priver directement de leur gagne-pain peut les transformer facilement en toxicomanes. Je comprends que le licenciement soit fait contre les toxicomanes qui, eux aussi, devront être renvoyés à des centres de traitement, et non pas simplement licenciés », dit-il.
Pour sa part, le député Ahmad Al-Chérif estime que le projet de loi permet de remédier aux failles des lois en vigueur pour ce qui est du traitement des fonctionnaires consommateurs de drogues. « Les fonctionnaires se trouvaient jusqu’à présent protégés contre le licenciement par force de la loi, ce qui va changer avec la nouvelle loi. Le délai de trois mois est suffisant pour qu’un consommateur renonce aux drogues ».
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