Un cinquième des élus (120 députés sur un total de 596) ont présenté, dimanche 3 février, une requête au président du parlement, Ali Abdel-Aal, pour modifier certains articles de la Constitution de 2014. L’amendement en question est proposé par les députés de la coalition majoritaire Fi Daem Misr et quelques parlementaires indépendants. Il s’agit de prolonger la durée du mandat présidentiel, d’étendre les pouvoirs du président de la République et de modifier certaines clauses relatives aux pouvoirs législatif et judiciaire, et à l’institution militaire. La commission générale du parlement, présidée par Abdel-Aal et regroupant ses deux adjoints, les présidents des 25 commissions parlementaires et les représentants des partis politiques et des députés indépendants, s’est réunie dimanche pour discuter de la demande. En vertu de l’article 226 de la Constitution, la demande d’amendement de la Constitution est examinée dans les trente jours suivant sa réception et son adoption partielle ou intégrale doit obtenir la majorité des votes. En cas d’approbation, les amendements sont discutés dans un délai de soixante jours. Si les amendements sont approuvés par les deux tiers des membres de la Chambre des représentants, ils sont soumis à un référendum populaire dans les trente jours à compter de la date d’approbation.
« Les députés exercent un droit constitutionnel et il revient au peuple de voter en faveur des amendements ou de les rejeter lors d’un référendum populaire », précise le communiqué du parlement publié dimanche. L’amendement de la Constitution répond, selon le président du parlement, « aux exigences de la période actuelle » et « sert les intérêts suprêmes de l’Etat et du peuple », a dit Abdel-Aal. Et d’ajouter : « L’expérience a prouvé que certains articles de la Constitution de 2014 nécessitent une révision ». Le communiqué du parlement précise que l’amendement constitutionnel vise à « construire des institutions fortes, équilibrées et démocratiques » et à « renforcer les libertés en augmentant la représentation des femmes, des jeunes, des coptes, des personnes handicapées et des Egyptiens à l’étranger au sein du parlement ».
Réorganiser les pouvoirs
Le projet d’amendement porte sur 12 articles de la Constitution. Il s’agit tout d’abord de prolonger le mandat présidentiel de 4 à 6 ans. Autrefois sans limite, le nombre de mandats présidentiels a été fixé à deux dans la Constitution de 2014. « Le président a le droit de se présenter au terme de son mandat actuel à la présidence conformément aux dispositions de l’article 140 », affirme le texte du projet d’amendement. Un autre article stipule la nomination par le président de la République d’un ou deux vice-présidents. En l’absence du chef de l’Etat, les deux adjoints n’ont pas le droit de modifier la Constitution, de dissoudre le parlement, ou de limoger le gouvernement et ils ne peuvent en aucun cas se porter candidats à la présidence de la République.
Le projet d’amendement propose également d’augmenter la représentation parlementaire des femmes à 25 % des sièges, tout en conservant une représentation adéquate pour les coptes, les jeunes et les handicapés. Le projet rétablit la chambre basse du parlement, écartée par la Constitution de 2012. Ce retour au bicamérisme est nécessaire selon les rédacteurs du projet pour élargir la représentation parlementaire en donnant la chance à des experts dans tous les domaines de prendre part aux débats sur les lois, Autre modification proposée : le président de la République choisira le chef de chaque organisme judiciaire (Conseil d’Etat, Parquet administratif, etc.) sur une liste de cinq candidats proposée par chaque organisme concerné. Le projet d’amendement stipule aussi la création d’un Conseil de coordination entre les instances judiciaires, présidé par le président de la République. « L’interférence entre instances judiciaires exige la présence d’un tel conseil », note le communiqué du parlement. D’ailleurs, c’est le président de la République qui nommera le procureur général pour un mandat de 4 ans, parmi trois candidats proposé par le Conseil suprême de la justice. Idem pour le président de la Cour suprême constitutionnelle, qui sera nommé par le président de la République parmi les cinq plus anciens magistrats de la Haute Cour Constitutionnelle (HCC).
En ce qui concerne la presse et les médias, le projet d’amendement prévoit l’abolition des organismes des médias et de la presse créé en 2017, en vertu de la Constitution de 2014. L’instance qui devra les remplacer n’a pas été déterminée jusqu’à présent.
Le projet d’amendement stipule le rajout d’une clause sur les forces armées en vertu de laquelle « l’armée est le défenseur et le garant de la démocratie et de l’Etat civil ». De même, le projet propose sans donner plus de précisions. Pourquoi amender la Constitution ? Selon Abdel-Hadi Al-Qassabi, président de la coalition Fi Daem Misr, le projet d’amendement vise en premier lieu à remédier à certains défauts de la Constitution de 2014, rédigée à la hâte à un moment où l’Egypte était confrontée à maints défis après la chute du régime des Frères musulmans et les pressions qu’exerçaient certains pays occidentaux sur l’Egypte.
En effet, la situation politique, sécuritaire et économique du pays actuellement est incompatible avec un court mandant présidentiel. Raison pour laquelle le député Mohamad Abou-Hamed, de la coalition Fi Daem Misr, juge nécessaire d’amender la Constitution. « Ceci est important étant donné la nature de la période actuelle, surtout que l’Egypte a connu des troubles postrévolutionnaires et poursuit les réformes politiques et économiques », affirme Abou-Hamed. Il trouve qu’un mandat de quatre ans est une période très courte pour que les gens puissent évaluer la performance d’un président. « Le prolongement du mandat présidentiel permettra au président d’achever ses plans de développement. Bref, une présidentielle tous les quatre ans en Egypte, c’est très coûteux en termes de sécurité et d’économie », estime Abou-Hamed.
Et d’ajouter que lorsque la constituante a rédigé la Constitution, elle était sous la pression de l’effervescence révolutionnaire du 30 juin qui a renversé le président islamiste Mohamad Morsi. « Elle craignait une reproduction de l’expérience politique qu’a connue l’Egypte sous Morsi qui voulait se doter de pouvoirs exceptionnels », affirme en outre Abou-Hamed. Il argumente que l’héritage politique de l’Egypte en tant que pays au pouvoir centralisé ne favorise pas le passage subit à un régime semi-présidentiel ou parlementaire. « Il ne s’agit donc pas de renforcer les pouvoirs du président et d’empiéter sur les libertés comme affirment certains, mais plutôt d’établir un régime équilibré et compatible avec le statut politique de l’Egypte pour maintenir la stabilité et la sécurité du pays », défend le député. Dans le camp des opposants à ce projet d’amendement de la Constitution figure la coalition parlementaire 25-30, qui regroupe 16 députés. Lors d’une conférence de presse organisée lundi, les membres de la coalition ont rejeté des amendements « qui portent atteinte aux principes de l’alternance au pouvoir, la séparation des pouvoirs et la liberté d’expression », les qualifiant d’un retour à l’avant-révolution de 2011. Le dernier mot appartient désormais au peuple qui se prononcera sur ces amendements lors d’un référendum, s’ils sont approuvés par les deux tiers des députés.
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