AL-Ahram Hebdo : Un an après son lancement, l’opération antiterroriste globale Sinaï 2018 a-t-elle atteint ses objectifs ?
Nasr Salem : Selon la donne sur le terrain, on peut dire que près de 90 % des objectifs de cette vaste opération militaire antiterroriste réussie ont été atteints. D’un point de vue générale, elle a permis d’atteindre ses principaux objectifs, à savoir éradiquer les organisations terroristes et criminelles, nettoyer les zones où se trouvent les foyers terroristes, couper tous les moyens de communication entre ces éléments et renforcer le contrôle des zones stratégiques frontalières. Sinaï 2018 a donc réussi à avorter les plans des groupes terroristes de transformer la péninsule du Sinaï en un sanctuaire terroriste. Aujourd’hui, on constate un recul du nombre et de l’ampleur des attaques terroristes ayant visé autrefois l’armée et les forces de sécurité dans le Sinaï du Nord. Cette avancée est due aux efforts des forces armées, qui ont réussi à démanteler la structure organisationnelle des groupes terroristes au Sinaï, dont, en tête, celui de la Province du Sinaï, dépendant de Daech. Ces efforts considérables ont permis la liquidation de dizaines des ces éléments, l’arrestation d’autres, ainsi que la saisie et la destruction des énormes quantités d’armes dont ils disposaient. Par ailleurs, la destruction des dizaines de tunnels reliant la bande de Gaza au Sinaï et par lesquels s’infiltraient les éléments terroristes a contribué à contrôler la situation sécuritaire.
— Quels sont les axes d’action de l’opération Sinaï 2018 ?
— Dès son lancement, il s’agissait d’une opération militaire globale, impliquant toutes les parties concernées, dont l’armée et les services de sécurité. Les forces terrestres, aériennes, navales et même celles stationnées aux frontières, toutes sont engagées dans cette guerre. L’opération est aussi globale du point de vue géographique, puisqu’elle dépasse les zones d’opération traditionnelles pour inclure d’autres régions du pays et s’étendre sur tous les axes stratégiques du territoire égyptien, dans le Sinaï, dans des régions du delta du Nil et dans le Désert occidental, frontalier de la Libye, ainsi que dans les zones montagneuses et les frontières maritimes. L’Egypte présente ainsi, à travers cette stratégie globale antiterroriste menée avec professionnalisme, un modèle à suivre pour tous les pays du monde. Toutes ces forces ont travaillé sur plusieurs axes parallèles en même temps, à savoir la collecte d’informations, qui ne s’est jamais arrêtée et se poursuit, et la localisation des foyers terroristes, sur lesquels sont basées toutes les attaques contre les éléments terroristes. En même temps, des raids et des frappes préventives ont été menés par l’armée et la police en collaboration avec les habitants du Sinaï. Par ailleurs, les projets de développement pour améliorer les conditions de vie des habitants n’ont jamais cessé. Le développement du Sinaï en tant qu’axe de lutte contre le terrorisme est important.
— La capacité des groupes terroristes a certainement baissé depuis le lancement de l’opération. Comment ?
— Certainement. Ces groupes n’ont plus la capacité de mener des attaques d’envergure contre les points de contrôle ou les éléments de sécurité. Il s’agit maintenant d’actes terroristes limités visant des lieux isolés où il n’y a pas de présence sécuritaire. Les terroristes recourent actuellement dans leurs attentats à des moyens moins sophistiqués, comme les tireurs embusqués, l’implantation d’engins explosifs ou des attentats suicide, afin d’éviter toute confrontation possible avec les forces de sécurité. Une régression due à l’assèchement de leurs ressources en armes et éléments.
— Concrètement parlant, quels facteurs ont contribué à l’affaiblissement des groupes terroristes ?
— Les coups préventifs de l’armée et des forces de sécurité constituent un élément-clé, qui sert à détruire les quatre éléments sur lesquels misent les terroristes dans leurs attentats, à savoir le choix du temps, du lieu, du moyen et des cibles. Les autres facteurs très importants qui ont aidé à l’affaiblissement des terroristes sont la sécurisation des frontières et l’assèchement de leurs ressources de financement étrangères. Dans le cadre de cette opération globale, les garde-frontières et la marine ont réussi à contrôler toutes les frontières terrestres et maritimes, dans le Sinaï, à l’ouest et au sud du pays, et l’armée a également détruit les tunnels reliant la bande de Gaza au Sinaï et utilisés par les terroristes. Ainsi, toutes les sources d’infiltration de terroristes, d’argent, d’armes ou de drogues ont été bloquées, laissant les restes de ces groupes sans le moindre soutien.
— Les groupes terroristes les plus dangereux ont donc été éliminés de la péninsule. A quels groupes appartiennent dès lors les éléments que combat actuellement l’armée ?
— Les organisations terroristes comme Wélayet Sina, anciennement Ansar Beit Al-Maqdès, ou Hasm et Liwaa Al-Thawra font toujours parler d’elles. Mais je voudrais signaler quelque chose de très important, soit que peu importe l’appellation de ces groupes ou leurs affiliations, pour l’armée, ce sont des éléments terroristes qu’elle combat. Tous ces groupes ont à un moment donné fait acte d’allégeance à Abou-Bakr Al-Baghdadi de Daech pour se donner du pouvoir et bénéficier de la protection d’une plus grande force. Concrètement, il faut savoir que dès le départ, le terrorisme se concentrait dans le triangle Rafah, Al-Arich et Al-Cheikh Zoweid, soit sur une superficie de 1 000 km2, la surface totale du Sinaï étant de 61 000 km2. Aujourd’hui, la lutte est concentrée sur 500 km2. Mais le problème est que les terroristes restants se cachent soit dans des tunnels souterrains, soit parmi les civils, qu’ils utilisent comme boucliers humains pour se protéger. Cela oblige les forces armées à cibler avec précision afin de garantir la protection des civils. La lutte contre eux se base donc principalement sur les informations et l’aide des habitants du Sinaï. Ils évitent de se cacher dans les montagnes, car ils savent qu’ils deviennent une cible facile pour l’armée, comme cela a été le cas lors de l’opération de Gabal Al-Halal, cette zone montagneuse autrefois bastion des groupes terroristes armés et qui a été attaquée par l’armée en 2017.
— Les habitants du Sinaï coopèrent-ils bien avec l’armée ?
— La plupart des Sinawis sont des citoyens fidèles à leur patrie et qui ont déjà lutté côte à côte avec l’armée lors de la guerre de 1973, contre les Israéliens. Aujourd’hui, ce sont les chefs des tribus qui collaborent avec l’armée dans la lutte contre le terrorisme. Au début de l’opération, certains Sinawis craignaient les menaces des groupes terroristes qui sévissaient dans la péninsule. Or, peu après, la réussite de l’opération et le contrôle de l’armée de la situation les a encouragés à coopérer positivement. Ils ont réalisé qu’il est dans leur intérêt de coopérer avec l’armée pour « purger » la péninsule et vivre en sécurité. Il faut noter que le massacre de la mosquée d’Al-Rawda a été un tournant important dans les relations entre les forces de sécurité et les citoyens. Cet attentat, qui a fait plus de 300 morts parmi les habitants du Sinaï, leur a montré la nécessité de coopérer avec l’armée pour lutter contre la présence de terroristes.
— Quelles sont les prochaines étapes de l’opération militaire au Sinaï à l’avenir ?
— L’armée poursuivra la lutte qu’elle a commencée jusqu’à ce que le Sinaï soit libéré de tous les terroristes. C’est la situation sur le terrain qui déterminera la durée et la nature de l’opération.
— L’option militaire peut-elle à elle seule éradiquer le terrorisme dans le Sinaï ?
— Les mesures militaires et sécuritaires sont certes primordiales dans la lutte contre le terrorisme, mais ne constituent pas à elles seules une solution durable aux problèmes multiformes de la péninsule. C’est pourquoi l’Etat a consacré 275 milliards de L.E. au plan de développement de la péninsule du Sinaï. Développer le Sinaï, et surtout le Sinaï du Nord, et le relier aux autres gouvernorats évite qu’il ne reste une zone isolée, propice à la réinstallation de groupes terroristes. Par ailleurs, il est évident qu’il faut oeuvrer à rectifier le discours religieux pour combattre le terrorisme sur le plan idéologique.
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