L'Egypte et la Tanzanie ont signé un contrat d'une valeur de 3 milliards de dollars pour la construction du barrage hydraulique de Stiegler.
Le premier ministre Moustapha Madbouli et le président tanzanien John Magufuli ont assisté, jeudi 12 décembre, à Dar Al-Salam, à la signature d’un contrat d’une valeur de 3 milliards de dollars relatif à la construction du projet hydroélectrique des Gorges de Stiegler, dans la réserve de chasse du Selous. Le contrat a été conclu entre le gouvernement tanzanien et les deux sociétés privées égyptiennes Arab Contractors (Al-Moqaouloun Al-Arab) et Al-Sewedy Electric, qui ont remporté l’appel d’offres pour la réalisation de ce projet, qui devrait être opérationnel en 2021. Le barrage hydroélectrique des Gorges de Stiegler sera considéré comme le deuxième plus grand barrage d’Afrique orientale après celui de la Renaissance, en Ethiopie.
Il permettra de produire 2 115 mégawatts d’électricité — renforçant ainsi la capacité actuelle du pays, qui est de 1 560 mégawatts — et fournira de l’électricité bon marché à un pays dont 80 % des habitants sont privés d’électricité. « Ce projet est un symbole de l’engagement de l’Egypte en faveur du développement en Tanzanie. Il favorise le renforcement des relations entre les deux pays », a indiqué Madbouli lors de la cérémonie de signature de l’accord. Oublié un moment, ce projet vieux de plus de 50 ans a refait surface après la présidentielle de 2015, durant laquelle Magufuli a promis d’en faire l’une des principales réalisations de son mandat. « La Tanzanie considère le barrage comme l’un des plus importants projets nationaux de production d’électricité et le choix d’entreprises égyptiennes pour le réaliser est la preuve de notre grande confiance dans les capacités de l’Egypte », a indiqué Magufuli.
Coopération sur les rives du Nil
L’expert égyptien en hydraulique Abbas Chéraki souligne que le projet tanzanien, installé sur la rivière Rufiji, ne nuira pas aux pays environnants africains, dont l’Egypte. Quant à l’intérêt de l’Egypte dans ce projet, il explique qu’il s’inscrit dans le cadre de sa politique visant à coopérer avec les pays du bassin du Nil pour réaliser leur développement sans nuire aux intérêts des voisins. A cet égard, il rappelle qu’il ne s’agit pas du premier projet de ce genre auquel participe l’Egypte. En 1954, elle avait, en effet, participé à la construction, au financement et à la gestion du barrage ougandais d’Owen sur le lac Victoria, sur le Nil blanc. L’Egypte a en outre aidé au creusage d’une soixantaine de puits en Tanzanie durant les 10 dernières années pour fournir de l’eau dans ces régions, un grand nombre de puits ayant également été creusés au Kenya et au Sud du Soudan, et d’autres étant prévus au Congo, avec la participation technique et financière égyptienne. « Ces exemples prouvent que l’Egypte a toujours soutenu le développement des pays africains. Si l’Egypte s’oppose au projet du barrage de la Renaissance, qui affectera la part en eau de l’Egypte et du Soudan, c’est que celui-ci a été lancé sans la consultation des pays en aval et sans prendre en considération leurs intérêts et leurs parts historiques », indique Chéraki.
Sur un autre volet, l’expert estime que le modèle de financement entre le secteur privé égyptien et le secteur public africain dans le cadre de ce projet tanzanien est un modèle à suivre. « Ce modèle offre plusieurs avantages aux deux côtés. Les entreprises égyptiennes qui exécutent le projet jouissant déjà d’une bonne réputation, l’exécution de ce projet géant ouvrira de nouveaux horizons de travail en Afrique, notamment dans les domaines de l’installation des infrastructures. D’autant plus que ce projet crée des emplois pour un grand nombre d’ouvriers égyptiens. Quant à la Tanzanie, la réalisation par l’Egypte de ce projet lui garantira une réalisation conformément aux normes de qualité, vu l’expérience de l’Egypte dans ce domaine, et ce, à un coût relativement convenable par rapport aux offres occidentales et européennes, qui ont toujours une marge bénéficiaire très élevée », explique Chéraki, qui prévoit que ce modèle de coopération sera répété dans d’autres projets semblables en Afrique, notamment en Ouganda.
La force douce de l’Egypte
L’exécution par l’Egypte de ce projet s’inscrit aussi dans le cadre d’un retour en force de l’Egypte sur la scène africaine depuis 2014. Une orientation diplomatique visant à remédier à des décennies de négligence de l’importance pour l’Egypte d’établir des relations solides avec les pays du continent, avec lesquels elle partage des intérêts et des enjeux mutuels. Au cours des quatre dernières années, l’Egypte a ainsi réussi à s’imposer comme un acteur-clé en Afrique. Pour rappel, l’Egypte assumera la présidence de l’Union africaine en 2019.
Pour Amani Al-Tawil, présidente du département des études africaines au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, la construction par l’Egypte du barrage tanzanien s’inscrit dans le cadre de la politique de l’Egypte visant à renforcer sa coopération avec les pays africains, notamment ceux du bassin du Nil. Elle souligne que le président Abdel-Fattah Al-Sissi place en tête des priorités la coopération avec l’Afrique. Une politique qui émane de la conviction de l’Egypte que le développement des pays africains permet d’éliminer les tensions et d’assurer des relations basées sur la coopération. « Ce rapprochement peut contribuer à parvenir à des accords consensuels sur certaines questions controversées, comme celle du partage des eaux du Nil ou celles relatives à la construction des barrages sur le fleuve. A titre d’exemple, la Tanzanie est l’un des pays les plus influents parmi ceux du bassin du Nil et l’un des pays signataires de l’accord d’Entebbe, signé en 2010. Elle peut donc soutenir les revendications de l’Egypte de revoir cet accord, qui porte atteinte aux quotas historiques de l’Egypte concernant l’eau du Nil, raison pour laquelle l’Egypte ne l’avait pas signé. Le soutien d’un pays comme la Tanzanie peut permettre de retarder la mise en application de cet accord, voire de le geler », conclut Al-Tawil.
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