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Des pas concrets pour réglementer les fatwas

Chaïmaa Abdel-Hamid, Mardi, 23 octobre 2018

La 4e Conférence sur la fatwa s’est tenue au Caire du 16 au 18 octobre avec la participation de 73 pays. Organisée sous le thème « Renouveler la fatwa entre théorie et pratique », elle vise à moderniser le discours religieux et combattre l’extrémisme.

Des pas concrets pour réglementer les fatwas
73 pays ont participé à la conférence de la fatwa.

Sous le thème du « renouvel­lement de la fatwa entre théorie et pratique », 73 pays ont participé cette année à la 4e Conférence internationale sur la fatwa, tenue du 16 au 18 octobre au Caire. Ce grand rassemblement, tenu sous les auspices du président Abdel-Fattah Al-Sissi, a été organisé par l’institution d’Al-Azhar et le secréta­riat général des organismes de la fatwa suivant Dar Al-Iftaa d’Egypte. Des muftis de Palestine, de Bosnie-Herzégovine, du Tchad, du Liban et d’autres pays musulmans ont assisté à la conférence. Un grand rassemble­ment qui aide à l’échange des exper­tises entre ces pays islamiques.

Le grand mufti égyptien, Chawqi Allam, le plus haut responsable juri­dique islamique du pays, a appelé à la modernisation des fatwas et à la cor­rection des faux concepts religieux, une mesure-clé pour éliminer les idées extrémistes. « Les fatwas devraient être développées pour s’adapter aux changements de cultures et de sociétés », a-t-il dit. Il a en outre exhorté les pays islamiques du monde entier à s’unir pour faire face au terrorisme. Sur la même voie, le ministre des Waqfs (biens religieux), Mohamad Mokhtar Gomaa, a souligné l’impor­tance de prendre en compte les conditions de vie lors de la publication d’une fatwa, notamment en ce qui concerne les questions économiques, sociales et humanitaires. Gomaa a en outre annoncé que le ministère des Waqfs est prêt à former gratuitement des imams des différents pays du monde sur les moyens du renouvellement du discours religieux.

Comme l’explique le député Omar Hamrouch, membre de la commission des affaires religieuses au parlement, cette conférence a réussi à mettre le point sur la définition du renouvellement de la fatwa comme « une nécessité sociale, qui consiste à redéfinir quelques concepts religieux en prenant en compte les changements sociaux et les développe­ments qui se sont imposés au cours des décennies, sans porter atteinte aux principes et aux bases de la religion ».

Les travaux de la conférence se sont concentrés sur quatre principaux sujets, dont la rédaction d’une charte mondiale de la fatwa qui propose une initia­tive pour mettre fin au chaos de l’émission d’avis religieux. Elle sera disponible en plusieurs langues et proposera un code de déontologie complet et définira des critères pour l’émission des fatwas. Aussi, la conférence s’est penchée sur la nécessité et les moyens d’enseigner les principes du renou­vellement des fatwas aux étudiants de charia dans le monde entier. Le rôle de la fatwa dans la résolution des problèmes familiaux et la diminution du taux de divorce a aussi pris part à cette conférence. Et enfin a été décidé le lancement du premier observatoire mondial des fatwas qui aide à surveiller, analyser et évaluer les fatwas (voir sous-encadré). Au total, après 3 jours de travail, les participants ont émis 16 recommandations. Un comité scientifique (dépen­dant de Dar Al-Iftaa) sera mis en place pour mettre en oeuvre toutes les recommandations de cette conférence.

Renouveler, oui, mais comment ?

L’une des principales raisons de la propagation des fatwas erronées, c’est la fausse interprétation du sens du renouvellement, explique Ahmad Kamel Al-Béheiri, spécialiste des mouvements islamistes au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. Pour lui, le discours autour du renouvellement du discours religieux vire dans la majorité des cas vers la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme. « Ce sont là certes des questions importantes, mais le renouvellement du discours religieux et de la fatwa est beaucoup plus large. Il s’agit d’une lecture modernisée des textes, sans changer leurs bases. Ces textes qui définissent le traitement de la femme, de l’épouse, du mariage, du divorce, de l’héritage et d’autres facteurs qui touchent à notre vie doivent être inter­prétés dans le cadre des conditions sociales modernes que nous vivons », explique-t-il. Et d’ajouter qu’il faut absolument promulguer des lois qui organiseraient ces questions vitales de manière à servir la société sans annuler les textes de la charia. « On peut par exemple promulguer une loi à travers laquelle la polygamie ne serait autori­sée qu’après une décision juridique. Il ne s’agit pas d’annuler le droit auto­risé par la charia, mais de le contrô­ler pour éviter la propagation de phénomènes comme les enfants de la rue ou des femmes abandonnées », indique-t-il.

L’Egypte a d’ores et déjà commencé à déployer de grands efforts pour le renouvellement du discours religieux, explique Hamrouche. Sur le plan mon­dial, l’Egypte tente à tenir et participer aux conférences internationales, afin de redresser l’image erronée de l’islam et de lutter contre le terrorisme. Sur le plan local, Dar Al-Iftaa et l’institution d’Al-Azhar ont déjà pris plusieurs dispositions, entre autres l’élaboration avec le parlement d’un projet de loi qui détermine les instances chargées exclusivement d’émettre des fatwas. Il interdit à toute personne non autorisée d’émettre des fatwas, barrant ainsi la route à tous ceux qui instrumentalisent les fatwas pour véhiculer des messages de haine et de violence.

Sensibiliser toutes les tranches de la société

Par ailleurs, au niveau des programmes scolaires et universitaires, de grands pas ont été franchis. Par contre, souligne le député, l’Etat a besoin de déployer de grands efforts en s’adressant d’un moyen plus simple, notamment à travers des cam­pagnes de sensibilisation télévisées, aux classes sociales les plus pauvres, victimes des fatwas erro­nées, souligne le député. « A quoi servirait de chan­ger le contenu des livres du patrimoine si les idéo­logies des instituts ou des organismes sont les mêmes ? Certains programmes ont, en effet, été modifiés, mais les directions des écoles publiques continuent à séparer les filles et les garçons dans les classes. Il faut absolument élargir le plan de travail et diffuser cette idéologie et vision modernes à toutes les classes sociales. C’est seulement ainsi que l’on pourra parler d’un renouvellement », conclut Al-Béheiri.

Lancement de l’Observatoire mondial des fatwas

Au cours de la conférence, Allam a lancé le premier « Observatoire mondial des fatwas », fondé sur les mécanismes les plus modernes de l’analyse stratégique permettant de prévoir dans quelle direction s’orientent les avis reli­gieux autour du monde. A travers l’exposition de ses premiers résultats, l’observatoire a exami­né, au cours de l’année 2018, près de 700 000 fatwas dans 33 pays arabes et étrangers. Selon les résultats, 87 % du total des fatwas sont correctes, tandis que 13 % ont été révélées erronées (qu’elles soient extrémistes (10 %) ou, au contraire, trop laxistes (3 %). « Même si ces taux paraissent faibles, les fatwas erro­nées représentent un énorme danger sur la société. Soit elles donnent aux groupes extrémistes l’occasion de s’infiltrer dans la société ou, au contraire, elles pourraient aider à la propagation de l’athéisme parmi les jeunes », explique Tareq Abou-Hachima, chef du département des études stratégiques à Dar Al-Iftaa. Les chiffres le prouvent. Comme l’a exposé Abou-Hachima, 95 % des fatwas erro­nées sont diffusées par les mouve­ments terroristes, dont 80 % sont de nature politiques. L’organisation Daech arrive en troisième posi­tion, après Al-Qaëda et le parti pakistanais Al-Tahrir, elle a, à elle seule, diffusé 11 400 fatwas au cours de 2018. L’Observatoire a aussi relevé que 75 % de ces fatwas sont propagées à travers les réseaux sociaux. L’Observatoire se charge de « cor­riger ces fausses interprétations et de les remettre dans leurs bons contextes ».

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