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Nouvelles perspectives de coopération

May Al-Maghrabi, Mardi, 23 octobre 2018

La visite du président Abdel-Fattah Al-Sissi en Russie s'est soldée par la signature d'un partenariat stratégique global. Les relations entre Le Caire et Moscou progressent vers de nouveaux horizons.

Nouvelles perspectives de coopération
Le président Sissi reçu par son homologue Poutine le 17 octobre à Sotchi.

Le président Abdel-Fattah Al-Sissi a achevé, mercredi 17 octobre, sa visite de 3 jours en Russie qui coïncide avec le 75e anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre Le Caire et Moscou, en 1943 (voir sous-encadré). Le président a été reçu à Sotchi par son homologue russe, Vladimir Poutine, qu’il rencontre pour la 9e fois depuis 2014. Il s’est également entretenu avec le premier ministre russe, Dmitri Medvedev. Le président Sissi est le premier président étranger à faire un discours devant le Conseil de la Fédération de Russie (CFR) qui forme avec la Douma l’Assemblée fédérale. « Alors que nous célébrons le 75e anniversaire des relations diplomatiques entre les deux pays, l’Egypte n’oubliera jamais que la Russie l’a toujours soutenue en temps de guerre, mais aussi durant la reconstruction », a déclaré le président Sissi lors de son discours, mardi, devant le CFR.

Partenariat global et stratégique

A l’issue de leurs entretiens, les présidents Sissi et Poutine ont signé, mercredi, un accord de partenariat global et de coopération stratégique. « Cet accord emmènera notre coopération vers des horizons plus larges », s’est félicité le président Sissi. Commentant le document, Poutine a déclaré que « l’accord impliquait l’accomplissement de tâches très sérieuses dans différents domaines, dont la coopération militaire et technique, pour approfondir davantage les relations entre la Russie et l’Egypte ». Hassan Salama, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire, explique qu’il s’agit d’un accord de coopération de haut niveau qui amènera le partenariat égypto-russe à des niveaux plus élevés. « Cet accord vient s’ajouter à d’autres formules de coopération qui existent déjà, comme celle du 2+2 au niveau des ministères de la Défense et de l’Intérieur. L’accord de partenariat stratégique global servira de cadre institutionnel plus vaste et plus durable à la coopération égypto-russe dans tous les domaines. En vertu de l’accord, la coordination bilatérale sera au niveau des présidents, des premiers ministres et des services de sécurité et de renseignements. L’importance de cet accord c’est qu’il est le premier du genre conclu par la Russie avec un pays arabe », pense Hassan Salama. « Pour Moscou, qui cherche à jouer un rôle plus important au Proche-Orient, l’Egypte est la clé de la région », ajoute-t-il.

Accords tous azimuts

La coopération économique a été au centre des accords conclus entre les deux pays. Des accords ont été conclus dans les domaines de l’économie, de l’industrie, du nucléaire civil, des chemins de fer, de l’énergie et de la culture. Dans le secteur ferroviaire, le président Poutine a annoncé la signature d’un contrat de 1,3 milliard d’euros pour la livraison de 1 300 wagons à l’Egypte. « Il s’agit de la plus importante transaction conclue dans l’histoire de l’Organisme des chemins de fer. Le nombre de wagons russes qui doivent être livrés à l’Egypte représente 50 % de sa flotte ferroviaire qui compte 2 500 wagons », affirme le président de l’Organisme des chemins de fer, soulignant que l’entrée en service des nouveaux wagons contribuera à améliorer considérablement le service. En ce qui concerne la centrale nucléaire d’Al-Dabaa, que la Russie finance par le biais d’un prêt accordé à l’Egypte, les travaux devraient débuter en 2020, qui par ailleurs a été déclarée année de la culture égypto-russe. « Cette centrale nucléaire de quatre réacteurs, d’une puissance de 1 200 MW chacun, fera de l’Egypte un leader régional en termes de technologie et le seul pays de la région disposant d’une centrale nucléaire de la 3e génération », souligne Salama.

Zone industrielle russe à Suez

La zone industrielle russe, dans le cadre du projet de développement de la zone du Canal de Suez, est l’un des mégaprojets égypto-russes à propos duquel un accord a été signé. « La Russie participera à la création d’une zone logistique et industrielle dans la région du Canal de Suez, qui devrait attirer des investissements de 7 milliards de dollars et créer plus de 35 000 emplois », a indiqué Poutine. S’étendant sur une superficie de 5,25 km2 à l’est du Canal de Suez, elle devrait accueillir des entreprises dans les domaines de la pétrochimie, de l’énergie, de l’automobile et du bâtiment. Salama note qu’il s’agira de la première zone industrielle construite par la Russie dans un pays étranger. « Le développement du passage du Canal de Suez est un grand projet national égyptien qui permet d’attirer les investissements étrangers et de stimuler l’économie. Pour en profiter, l’Egypte doit avoir un plan d’investissement basé sur une étude sérieuse, et il faut aussi créer un climat propice aux investissements », estime l’expert.

L’Egypte et l’Union économique eurasienne

Poutine a révélé que la Russie soutenait l’idée d’un accord sur une zone de libre-échange entre l’Egypte et l’Union économique eurasienne. Hassan Salama met en relief l’importance de cette zone qui contribuera à ouvrir de nouveaux marchés pour les produits égyptiens en Afrique et en Russie. « Le volume des échanges commerciaux entre les deux pays, qui ne dépassent pas les 7 milliards de dollars, ne reflète pas le niveau de partenariat renforcé entre Le Caire et Moscou ces dernières années. Par ailleurs, il existe des négociations sur la possibilité que les échanges commerciaux entre l’Egypte et l’Union économique eurasienne soient en devises locales. Ce qui contribuera à rééquilibrer la valeur de la livre égyptienne face au dollar », estime Salama. Quant à la reprise des vols russes vers Charm Al-Cheikh, Poutine a affirmé que l’Egypte avait fait des efforts louables pour la sécurité aérienne. « Nous espérons que cette mesure sera prise dans l’avenir le plus proche », a dit Poutine sans préciser de date. Les vols entre les deux pays ont été suspendus après qu’un avion russe s’était écrasé en 2015 au-dessus de la péninsule du Sinaï, faisant 224 morts. En 2017, les vols directs entre Moscou et Le Caire ont été repris. Un dossier important pour l’Egypte, puisque le tourisme russe représente 30 % du mouvement touristique égyptien. Selon Salama, le maintien de la suspension partielle des vols russes est incompréhensible, surtout que l’Egypte a pris toutes les mesures nécessaires pour sécuriser les aéroports. Cette mesure ne peut être interprétée que dans le cadre du dispositif sécuritaire draconien mis en place par la Russie. « Déjà, tous les indices montrent que les relations entre les deux pays sont loin d’être affectées par cette décision. Comme l’Egypte, la Russie est engagée dans une guerre contre le terrorisme, et chaque pays peut comprendre les décisions de l’autre dans ce contexte », estime Salama.

Concertations égypto-russes

Lors d’une conférence de presse conjointe tenue à l’issue de leur sommet, les deux présidents ont déclaré avoir convenu de renforcer la coopération dans tous les domaines. Concernant la coopération en matière de lutte antiterroriste, le président Sissi a précisé avoir affirmé à son homologue russe la volonté de l’Egypte d’intensifier sa coopération sur ce dossier. « Nous avons convenu de renforcer la coopération dans le domaine de l’échange des informations entre les services de renseignements égyptiens et russes, notamment en ce qui concerne le déplacement des terroristes des zones instables vers d’autres pays pour perpétrer des attentats terroristes », a précisé le président Sissi. En revanche, Poutine a loué le rôle de l’Egypte dans la préservation de la paix et de la sécurité au Moyen-Orient.

Le dossier syrien a été au centre des négociations Sissi-Poutine. Les deux hommes ont affiché leur convergence de vue sur la nécessité d’un dénouement rapide en Syrie. Selon Ahmad Qandil, du Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, cette convergence sur le dossier syrien émane de la conviction des deux présidents que la préservation de la sécurité ne passe pas par les milices armées, mais par les armées nationales. « Il existe un accord entre Moscou et Le Caire sur le fait que les institutions de l’Etat et toutes les factions syriennes doivent participer au règlement de la crise syrienne », indique Qandil.

En ce qui concerne la Libye, le président Sissi a dit avoir informé son homologue russe de la vision de l’Egypte portant sur l’importance de parvenir à un règlement politique en Libye ainsi que des efforts déployés par Le Caire en vue d’unifier l’institution militaire libyenne. Concernant la cause palestinienne, les deux leaders ont affirmé que tout règlement du conflit israélo-palestinien doit être basé sur la solution à deux Etats sur les frontières de 1967, conformément aux dispositions du droit international et de l’initiative de paix arabe.

Selon Qandil, cette visite du président Sissi en Russie a redéfini le cadre stratégique des relations futures entre l’Egypte et la Russie. « Le Caire cherche à s’ouvrir sur l’Est pour diversifier ses relations politique, économique et militaire, et la Russie, qui tente de jouer un rôle plus important au Proche-Orient, trouve en l’Egypte un partenaire politique et sécuritaire idéal au Proche-Orient et en Afrique du Nord », conclut Qandil.

Les relations égypto-russes célè¬brent cette année leur 75e anniver¬saire. Retour sur les dates importantes.

1943 : Etablissement des rela¬tions diplomatiques entre l’Egypte et l’Union soviétique, mais les deux pays n’échangent les ambassadeurs qu’au printemps de 1955.

1954 : Accord militaire entre la Tchécoslovaquie et l’Egypte pendant la Guerre Froide, orchestré par l’Union soviétique.

Août 1956 : L’URSS reconnaît la nationalisation du Canal de Suez comme une décision légitime.

Novembre 1956 : L’URSS pro¬pose à l’Egypte l’envoi de volon¬taires si la France et la Grande-Bretagne ne retirent pas leurs troupes.

1958 : L’Union soviétique accepte de financer la construction du barrage d’Assouan.

Mai 1964 : Le président Nasser et le leader soviétique Khrouchtchev inaugurent la première phase du Haut-Barrage. D’ailleurs, Nasser reçoit la médaille suprême du héros de l’Union soviétique, offerte par Khrouchtchev, lors de sa visite en Egypte.

Mai 1971 : L’Egypte et l’Union soviétique signent un traité d’amitié et de coopération.

1989 : Le ministre soviétique des Affaires étrangères, Edouard Chevardnadze, se rend en Egypte.

2005 : Le président russe, Vladimir Poutine, se rend en Egypte.

Octobre 2006 : Inauguration de l’Université égypto-russe au Caire.

2009 : L’Egypte et la Russie signent un accord stratégique.

Novembre 2013 : Les ministres russes de la Défense et des Affaires étrangères visitent l’Egypte pour les négociations 2+2 avec leurs homologues égyptiens.

Février 2014 : Le président Abdel-Fattah Al-Sissi, alors ministre de Défense, se rend en première visite en Russie pour négocier des accords militaires égypto-russes,

Août 2014 : Le président Sissi effectue une visite de deux jours en Russie au cours de laquelle Le Caire et Moscou conviennent de créer une zone industrielle russe à l’est du Canal de Suez.

Février 2015 : Première visite du président russe en Egypte depuis 2005.

Décembre 2017 : Le président russe Vladimir Poutine visite l’Egypte et signe avec le président Sissi le contrat final de la construction de la centrale nucléaire d’Al-Dabaa qui entérine l’accord intergouvernemen¬tal signé en novembre 2015.

Avril 2018 : Reprise des liaisons aériennes directes Moscou-Le Caire, suspendues fin 2015 suite au crash d’un charter russe au-dessus du Sinaï, faisant 224 morts.

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