La réunion entre Khaïrat Al-Chater, adjoint du guide suprême des Frères musulmans, et Amr Moussa, l’un des chefs de file du Front National du Salut (FNS), est perçue comme un piège tendu à ce dernier pour faire imploser le FNS qui réunit une vingtaine de partis de l’opposition laïque.
Alors que le FNS soutient l’initiative du mouvement Tamarrod, qui se mobilise pour rassembler des signatures en vue de retirer la confiance au président Morsi, l’implication de Moussa dans un dialogue avec un cadre supérieur des Frères a été critiquée par plusieurs dirigeants de l’opposition, y compris ceux du FNS.
Pour le FNS, cette rencontre est une initiative personnelle de Moussa qui ne reflète pas la position politique commune des partis du Front. Elle est surtout perçue comme une tentative des Frères, qui se sentent en danger à la veille des manifestations prévues le 30 juin, de semer la discorde dans les rangs de l’opposition.
Toutefois, à l’issue d’une réunion samedi 8 juin, le FNS a décidé d’éviter le risque de voir son groupe s’effriter. Il a émis trois conditions contraignantes à l’intention de ses membres. Ceux-ci sont appelés à rejeter toute invitation au dialogue avec la présidence ou les Frères musulmans d’ici le 30 juin, à unifier leur discours et à afficher un soutien indéfectible à l’initiative Tamarrod et sa première revendication : la tenue d’une élection présidentielle anticipée. Enfin, les membres doivent aviser préalablement les cadres du FNS quant à toute invitation au dialogue émise par des salafistes ou des Frères musulmans.
Moussa reste soutenu
Quant à l’avenir de Amr Moussa, les chefs de file du Front ont exclu sa radiation du FNS se contentant de lui adresser de simples reproches, à cause de cette rencontre qui risque de « discréditer l’opposition aux yeux des jeunes révolutionnaires ».
Candidat malchanceux à la présidentielle de 2012, et actuellement président du parti du Congrès, Amr Moussa avait rencontré le numéro 2 des Frères au domicile du chef du parti Ghad Al-Thawra, Ayman Nour, qui a lui-même pris l’initiative d’organiser cette rencontre.
Soucieux de défendre son image de figure de l’opposition, Moussa est monté au créneau pour expliquer qu’il ne voyait pas d’inconvénient à tenir de telles rencontres comme il y en a eu précédemment entre des cadres de la confrérie et des figures du FNS. Selon lui, il s’agissait de « connaître les positions de ceux qui détiennent le pouvoir et d’essayer de les convaincre » que la situation est délicate.
Dans un communiqué, son bureau a affirmé que, durant cette rencontre, Amr Moussa a souligné notamment que « la légitimité du président émanait de ses actes et de la satisfaction de la population », et a confirmé sans équivoque son « soutien au mouvement Tamarrod et à sa demande d’élection présidentielle anticipée ».
Pour l’analyste politique et membre du FNS, Abdallah El-Senawi, le moment est inopportun pour se livrer à des querelles intestines entre les partis de l’opposition. « Moussa a commis une erreur et il a reconnu avoir été victime d’une supercherie. Je pense que les excuses en demi-teinte et les justifications qu’il a présentées permettront de clore cette question ».
Consensus et intérêt national
Pour sa part, l’initiateur de la rencontre controversée, Ayman Nour, a avancé, dans une intervention par téléphone sur la chaîne privée ONTV, qu’il continuerait à « chercher un consensus national et l’échange de points de vue ».
Côté Frères musulmans, leur porte-parole Yasser Mehrez a estimé que cette rencontre est un bon début « pour faire fondre la glace » avec l’opposition, insistant sur le fait que « les intérêts suprêmes du pays » doivent être au-dessus des différends politiques.
Même point de vue de Tareq Al-Morsi, porte-parole du Parti Liberté et Justice (PLJ), bras politique des Frères musulmans : « La phase actuelle exige que toutes les forces nationales agissent — à titre individuel ou collectif — pour trouver des solutions aux dangers qui guettent l’Egypte. Notre référence religieuse en tant que membres du PLJ ou des Frères musulmans nous incite à privilégier le dialogue et la concertation ».
Les révolutionnaires inébranlables
Réagissant à la rencontre, Mahmoud Badr, porte-parole du mouvement Tamarrod, a affirmé que le mouvement s’oppose à tout dialogue avec le pouvoir en place ou avec des responsables de la confrérie. « Si ce n’est pas pour fixer une date pour une présidentielle anticipée, tout dialogue serait absurde, inutile et sans valeur. Cette crise sera surmontée et n’aura pas raison de l’unité de l’opposition. J’appelle tout le monde à se focaliser sur le 30 juin et à ne pas se préoccuper de ces futilités ».
Même s’ils ne misent pas trop sur les caciques de l’opposition, les activistes des jeunes mouvements de contestation disent avoir besoin de leur soutien. « Il est extrêmement important que le FNS reste unifié jusqu’au 30 juin. Il réunit 90 % de l’opposition. Toute divergence en son sein affecte le citoyen et peut l’amener à perdre confiance et à manquer à l’appel. Même si la jeunesse représente le fer de lance du 30 juin, les activistes ont besoin de voir à leurs côtés des symboles de la classe politique. Cela les rassure », affirme Amr Ali, du mouvement du 6 Avril .
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