Les Frères musulmans représentent un danger pour la sécurité américaine. C’est le constat dressé cette semaine par le Congrès américain lors d’une séance consacrée à la confrérie au sein de la commission de la sécurité nationale. Les Républicains ont surtout plaidé pour l’interdiction des Frères sur le sol américain et leur classification comme organisation terroriste. Dans son allocution, le président de la commission et représentant du Parti républicain, Ron De Santis, a estimé que « le fait que l’Administration Trump a abandonné la politique tolérante adoptée par l’Administration Obama vis-à-vis des Frères musulmans est une évolution positive ». Et d’ajouter : « Il faut classer les Frères organisation terroriste, mais nous devons savoir dans quelle mesure et si cette démarche doit être faite par le ministère des Affaires étrangères ou celui des Finances ». Quant au président et fondateur du Forum islamique américain pour la démocratie (AIFD), Zuhdi Jasser, auditionné par la commission, il a rappelé que maintes revendications de classer les Frères musulmans comme organisation terroriste ont été rejetées auparavant. « Ce n’est que depuis l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche que l’affaire a été relancée », a-t-il estimé. Pour prouver le danger que représente la confrérie sur la sécurité nationale américaine, la commission de la sécurité nationale s’est référée à la violence perpétrée par les Frères musulmans en Egypte, notamment depuis 2013. Elle a de même souligné le soutien financier et politique octroyé par des pays comme le Qatar et la Turquie à la confrérie.
Le constat égyptien crédibilisé
Selon les observateurs, la reconnaissance américaine de l’implication des Frères musulmans dans des actes de violence est un pas positif qui fraye la voie à la classification de la confrérie comme organisation terroriste. Une revendication tant réclamée par Le Caire, qui avait déjà déclaré la confrérie organisation terroriste en 2014. Les Frères figurent aussi sur la liste des organisations terroristes interdites en Russie, en Syrie, en Arabie saoudite, à Bahreïn et aux Emirats arabes unis. L’expert sécuritaire Khaled Okacha se félicite d’une démarche qui, selon lui, « contribuera à resserrer l’étau autour des Frères musulmans » et à « assécher leurs ressources financières ». « La décision de placer les Frères sur les listes des organisations terroristes aux Etats-Unis incitera d’autres pays à agir de même, notamment l’Angleterre, qui jusque-là hésitait à franchir le cap », affirme Okacha. Optimisme partagé par Tareq Fahmi, professeur de sciences politiques à l’Université américaine du Caire, qui souligne que la récente séance du Congrès, à laquelle a assisté un grand nombre de députés et d’experts de sécurité nationale, sera suivie par d’autres dans les autres commissions du Congrès. « Cette séance révèle une volonté américaine d’agir face à la confrérie sur les plans sécuritaire et financier. Je pense que d’autres commissions du Congrès tiendront des séances d’écoute pour décider prochainement du sort de cette organisation sur le sol américain. Surtout que les dernières investigations américaines ont prouvé que certains cadres et membres de la confrérie nuisent aux intérêts des entreprises américaines à cause de leurs transactions douteuses. Tous les indices montrent qu’il y aura des mesures américaines sérieuses contre les Frères musulmans », pense Okacha. Pour sa part, Amr Abdel-Ati, spécialiste des affaires américaines à la revue Al-Siyassa Al-Dawliya (politique étrangère) d’Al-Ahram, trouve que cette reconnaissance américaine de l’implication des Frères dans la violence est importante, même si elle est tardive. Il assure que les Républicains tenteront de faire passer un projet de loi déclarant la confrérie organisation terroriste, en profitant de leur représentation actuelle majoritaire au sein du Congrès. Selon lui, à l’approche des élections du Congrès, prévues en novembre prochain, les Républicains, craignant de perdre face aux Démocrates, essaieront à tout prix de faire passer le projet de loi sur les Frères musulmans le plus vite possible. « C’est très important pour eux. Car la lutte contre le terrorisme était l’une des promesses électorales du président Trump aux élections de 2016. Si les Républicains n’arrivent pas à réaliser cette promesse, le parti pourrait perdre la confiance d’un grand nombre de partisans. Ce qu’il veut éviter », explique le politologue.
Les intérêts dominent
En revanche, d’autres spécialistes restent sceptiques sur la possibilité de placer les Frères sur les listes terroristes aux Etats-Unis. Certains responsables au sein de l’Administration américaine considèrent les Frères musulmans comme des terroristes, tandis que d’autres s’opposent à ce fait. C’est ce qu’explique Ahmad Kamel Al-Béheiri, spécialiste des mouvements islamistes au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, qui souligne que les divisions au sein de l’Administration américaine vis-à-vis des Frères musulmans est l’une des raisons expliquant l’hésitation à prendre une décision tranchante contre eux. Selon Al-Béheiri, ce sont les intérêts politiques des Etats-Unis avec certains pays qui sympathisent avec les Frères qui décideront de la position américaine vis-à-vis de la confrérie. « Certains opposants au sein de l’Administration américaine estiment que des mesures sévères contre les Frères musulmans pourraient nuire aux relations des Etats-Unis avec la Turquie, qui est un partenaire-clé dans la région. C’est pour cela que, malgré la présence de preuves concrètes envoyées notamment par les autorités ou par des ONG égyptiennes, l’Administration américaine a fermé les yeux, privilégiant ses intérêts régionaux », pense l’expert, estimant que cette séance au Congrès a apaisé l’opinion publique américaine, dont une grande majorité est hostile aux Frères.
Lien court: