Le premier tour des élections ouvrières, qui se dérouleront jusqu’à la mi-juin, a eu lieu les 23 et le 24 mai. 20087 candidats sont en lice dans tous les gouvernorats. La première phase concerne l’élection des comités syndicaux, soit 1191 comités dans 12 syndicats généraux. La deuxième phase aura lieu le 31 mai dans les comités de 13 syndicats généraux. Ensuite, les ouvriers devront élire les conseils d’administration des syndicats généraux le 7 juin. Finalement, ils éliront, le 13 juin, le conseil d’administration de l’Union Générale des Syndicats Ouvriers (UGSO), englobant tous les syndicats ouvriers élus. Ainsi, chaque ouvrier candidat ayant réussi aux élections des comités peut présenter sa candidature aux élections des syndicats généraux. Ceux qui ont été élus lors des élections des syndicats généraux peuvent ensuite se présenter aux élections du conseil d’administration de l’UGSO.
Il s’agit des premières élections ouvrières tenues sous la nouvelle loi sur les syndicats ouvriers promulguée en 2017. Une loi qui autorise pour la première fois la création de syndicats indépendants. Il s’agit aussi des premières élections ouvrières depuis 12 ans. Sur fond de litiges judiciaires, plusieurs recours avaient été déposés devant les tribunaux contre le scrutin de 2006, et la loi en vertu de laquelle il avait été tenu, ce qui avait entraîné son invalidation par la justice. Or, les verdicts de la justice n’ont jamais été appliqués. Alors que de nouvelles élections devaient avoir lieu en 2011, la révolution du 25 janvier a éclaté. Depuis cette date, l’affaire traîne et le conseil élu à la tête de l’UGSO a été maintenu.
Cette semaine, le ministre de la Main-d’oeuvre, Mohamad Saafan, s’est rendu dans plusieurs bureaux de vote pour souligner l’importance de ces élections, dans la mesure où elles permettront l’élection de nouveaux représentants qui défendront les droits des ouvriers. « Le gel des élections ouvrières pendant 12 ans a créé un vide syndical. Aujourd’hui, les ouvriers sont appelés à choisir parmi les candidats ceux qui possèdent l’expérience dans le travail syndical, qui connaissent les dossiers ouvriers et qui ont un programme clair. Bref, ceux qui sont capables de relever le défi », a déclaré le ministre, tout en indiquant que grâce à la nouvelle loi, des syndicats indépendants tiennent des élections pour la première fois. « J’espère que ces élections parviendront à injecter du sang neuf dans le travail syndical, de nouvelles figures et des idées capables de revitaliser le travail syndical », a souhaité Saafan.
Selon les résultats qui ont été annoncés pour la première phase, le taux de participation aux élections a été de 70% au gouvernorat d’Alexandrie et de 88% au gouvernorat de Gharbiya. Des membres sortants du conseil d’administration de l’UGSO ont été réélus dans les comités au cours de cette première phase comme le président de l’union Guébali Al-Maraghi, et le vice-président Mohamad Wahballah. Saïd Al-Naqib, président du Syndicat général des travailleurs civils dans les usines de la production militaire, a déclaré, en revanche, qu’au sein de son comité syndical, 80% des candidats élus sont de nouveaux cadres et de jeunes ouvriers, tandis que le taux de représentation des femmes a augmenté de 300% par rapport aux élections de 2006.
Ces élections revêtent donc une importance particulière pour les ouvriers comme pour les syndicats indépendants en concurrence avec l’UGSO, qui avait été, jusque-là, le seul représentant du mouvement syndical ouvrier depuis sa création en 1957 par l’ancien président Gamal Abdel-Nasser.
Entraves procédurales
Toutefois, les premiers indices ne laissent pas prévoir de véritable percée des syndicats indépendants à ces élections. Alors que les candidats de l’UGSO, bien rodés, mènent avec force les nouvelles élections, les syndicats indépendants affrontent certains problèmes d’ordre juridique et organisationnel. Des candidats des comités indépendants ont affirmé avoir connu des problèmes au cours de la première phase des élections. A titre d’exemple, Ibrahim Abdel-Nabi, un candidat qui a été élu lors des élections de la Compagnie de l’eau de Ménoufiya, s’est plaint du manque d’urnes et de bulletins de vote. Quant à Tareq Moustapha, du comité syndical des travailleurs des impôts fonciers, il assure que ces élections sont difficiles. « On a constaté des erreurs dans les listes d’électeurs et de candidats. Certains électeurs n’ont pas trouvé leurs noms sur les listes. Alors que notre syndicat avait présenté 120 candidats, 40 ont été supprimés des listes le jour même du vote, sous prétexte que leurs documents ne remplissent pas les conditions de candidature. Un agissement fort étonnant, puisqu’on aurait dû être informés à l’avance de ces papiers manquants », critique Moustapha.
Ce dernier explique que même avant le début du dépôt des candidatures, son syndicat indépendant a connu certaines difficultés, notamment en ce qui concerne la régularisation de son statut. A noter que les syndicats indépendants créés sous l’ancienne loi doivent régulariser leur statut conformément aux règlements de la nouvelle loi. Selon certaines déclarations de cadres des syndicats indépendants, jusque-là, le statut de 108 comités syndicaux indépendants sur 800 a pu être régularisé, dans des entreprises de 150 ouvriers et plus, et ce, en vertu de la nouvelle loi. Un seul syndicat général indépendant a réussi à régulariser son statut. Le syndicat général doit regrouper au moins 15 comités. « Alors qu’on a réclamé la régularisation du statut de 27 comités ouvriers du syndicat indépendant des travailleurs des impôts fonciers, le ministère de la Main-d’oeuvre n’en a régularisé que 14, ce qui nous a empêchés de créer un syndicat général, puisque la nouvelle loi exige 15 comités pour sa création », se plaint un membre du syndicat indépendant des travailleurs des impôts fonciers.
Commentant ces difficultés, Khaled Al-Féqi, vice-président du conseil d’administration de l’UGSO, explique que ce qui s’est passé est « normal » vu que ce sont les premières élections ouvrières tenues selon la nouvelle loi, entrée en vigueur il y a quelques mois seulement. « Les superviseurs des élections et certains syndicats indépendants ne connaissent pas bien la nouvelle loi, ils n’ont pas présenté tous les documents nécessaires pour la régularisation de leur statut. Ce qui a causé leur élimination des listes des candidats. Une faute qu’assument aussi les fonctionnaires du ministère de la Main-d’oeuvre, dont certains n’étaient pas au courant des documents requis et ne les ont pas réclamés aux candidats », explique Al-Féqi. Des défaillances que le ministre de la Main-d’oeuvre n’a pas niées, promettant d’oeuvrer en vue d’éviter leur répétition lors de la deuxième phase.
Un pas positif
Nadine Abdallah, spécialiste des mouvements ouvriers et professeure à l’Université américaine, appelle, quant à elle, à amender la nouvelle loi, afin de réduire le nombre minimum requis pour former un comité syndical, fixé à 150 ouvriers. « 90 % des usines sont petites, le nombre de leurs ouvriers variant entre 10 et 50. Cela ne donne pas la chance aux syndicats indépendants de jouer un rôle durant les prochaines élections. En outre, la loi donne au patron le droit de refuser les noms de certains ouvriers désirant être membres du comité syndical », explique-t-elle.
Fatma Ramadan est cadre et militante ouvrière engagée. Si elle craint que les problèmes survenus n’affectent les résultats des élections et ne diminuent le taux de représentation des syndicats indépendants, elle trouve que, malgré tout, la participation des syndicats indépendants aux élections est une réussite en soi pour le mouvement de l’indépendance syndicale. « Que ces élections ont eu lieu, même si les syndicats indépendants ne seront pas représentés au sein de l’UGSO, constitue déjà une réussite et un bon début. Les syndicats indépendants devront ensuite se réorganiser pour être présents avec force lors des prochaines élections, en 2022 », conclut-elle.
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