Après 12 heures de négociations, l’Egypte, le Soudan et l’Ethiopie ont finalement réussi à se mettre d’accord à Addis-Abeba, pour créer un comité scientifique consacré au méga-barrage que construit l’Ethiopie sur le Nil bleu, mettant ainsi un terme à des mois d’impasse dans leurs négociations. Cet accord a été conclu lors de la réunion tripartite tenue au niveau des ministres des Affaires étrangères, de l’Irrigation et des chefs des services de renseignements des trois pays. Les trois pays ont convenu de déposer leurs observations ou leurs questions sur le rapport du cabinet-conseil français, qui devra à son tour leur répondre dans un délai de trois semaines. Le nouvel accord prévoit aussi la tenue d’un sommet tripartite tous les six mois. Une autre avancée concerne la formation d’un comité technique qui se chargera d’examiner les scénarios alternatifs au remplissage du barrage. Les trois pays mettront également en place un fonds d’investissement mutuel. Enfin, l’accord souligne le respect par les trois pays de la déclaration de principe signée en 2015 à Khartoum (voir sous-encadré). La prochaine session de pourparlers est prévue le 3 juillet au Caire.
Le président Abdel-Fattah Al-Sissi a salué ce qu’il a appelé une « avancée » dans les discussions, affirmant avoir reçu l’assurance que « la part de l’Egypte ne sera pas affectée ». « Nous voulons simplement transformer ces discours en procédures (…) de manière à ce que nous parlions d’engagements précis que nous devons tous mettre en oeuvre et faire fonctionner », a-t-il ajouté. Pour sa part, le ministre éthiopien de l’Energie, de l’Irrigation et de l’Electricité, Sileshi Bekele, a déclaré : « Nous avons réussi à trouver un certain nombre d’approches gagnant-gagnant ».
Pour le député Tareq Radwan, membre de la commission des relations étrangères au parlement, cet accord montre que l’Egypte a réussi à gérer les négociations jusqu’à présent, et à préserver ses droits hydriques. « L’un des principaux avantages de cet accord, c’est qu’il a fixé un délai précis, en juin prochain, pour obtenir une réponse aux observations des trois pays sur le rapport préliminaire élaboré par le cabinet-conseil », explique le député, qui ajoute que ce délai fixe reflète les bonnes intentions des trois parties qui veulent parvenir à un consensus.
Le comité scientifique, qui sera formé dans les jours à venir, sera composé de 15 experts indépendants des trois pays. Son travail portera sur le fonctionnement du barrage et le délai de remplissage du réservoir. Il doit achever ses travaux d’ici trois mois. Ses observations seront présentées au bureau français chargé d’étudier l’éventuel impact du barrage sur l’environnement, qui devra à son tour répondre aux questions des trois pays lors d’une réunion qui se tiendra les 18 et 19 juin.
Quels acquis pour l’Egypte ?
L’application de cet accord devrait régler les différends entre l’Egypte et l’Ethiopie, notamment autour du délai de remplissage du lac du barrage, d’une contenance de 74 milliards de m3. C’est ce qu’explique l’expert hydrique du Centre des recherches africaines de l’Université du Caire, Abbas Chéraki. Selon lui, l’engagement des trois pays à respecter la déclaration de principe signée à Khartoum en 2015 est un gain important pour l’Egypte. Il rappelle que le principal point de désaccord entre Le Caire et Addis-Abeba était l’insistance de l’Egypte à appliquer la déclaration de principe qui, dans son cinquième article, stipule que le délai de remplissage du lac doit se faire sur la base d’une entente entre les trois pays. L’Egypte souhaite un prolongement du nombre d’années de remplissage, afin de ne pas diminuer de façon excessive le niveau des eaux provenant de l’affluent du Nil. En revanche, l’Ethiopie souhaite tirer rapidement profit de ce grand barrage hydroélectrique (6 450 MW), et donc de remplir le lac en 5 ans. Or, un remplissage rapide priverait l’Egypte de 12 à 25 % des eaux nécessaires à sa consommation habituelle. Pour Chéraki, « il faut tenter, à travers ce nouveau comité scientifique, de parvenir à un compromis sur ce point spécifique. Mais cela ne sera possible que si les parties en négociation font preuve de flexibilité ».
Outre la question du barrage de la Renaissance, Chéraki souligne que cet accord est d’une importance stratégique pour les relations économiques entre les trois pays. Les représentants des trois pays doivent se rencontrer tous les six mois pour évoquer des sujets comme le commerce et les infrastructures, en plus de la question du barrage. « Même si les leaders des trois Etats se rencontrent dans le cadre de réunions africaines, il est très important pour l’Egypte, aussi bien que pour l’Ethiopie et le Soudan, de se réunir dans le but de développer l’infrastructure et de booster les échanges économiques. Mais il faudra attendre pour voir le niveau de flexibilité avec lequel les Ethiopiens agiront », dit Chéraki.
Un avis partagé par le spécialiste des affaires africaines au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, Ayman Abdel-Wahab, qui souligne que pour une réelle avancée des négociations, il est absolument nécessaire de respecter non seulement les termes de cet accord, mais aussi de tous ceux qui l’ont précédé. « Pour parler d’un réel succès, il faut attendre pour voir comment les parties concernées respecteront les recommandations qui seront données par le cabinet conseil et le comité des experts scientifiques. C’est alors que l’on pourra juger de la valeur de ce nouvel accord », conclut le spécialiste.
Les clauses de l’accord
1. Suivant les directives des chefs d’Etat et de gouvernement, un sommet tripartite au niveau des présidents se tiendra tous les six mois, en alternance entre les capitales.
2. Un fonds d’infrastructure entre les trois pays sera créé. Il proposera des projets de coopération communs en matière d’infrastructures et de développement. Ces propositions seront présentées aux présidents par l’intermédiaire des ministères concernés. Les trois pays ont accepté la proposition de l’Egypte d’accueillir la réunion des hauts responsables au Caire les 3 et 4 juillet 2018.
3. L’actuel président du Comité technique tripartite se chargera de recueillir et de soumettre au cabinet-conseil toutes les questions et les observations concernant le rapport préliminaire.
4. Le cabinet-conseil doit répondre par écrit dans un délai de trois semaines aux questions et aux observations des trois pays. Une semaine après avoir reçu la réponse, celle-ci sera discutée au Caire dans le cadre d’une réunion ministérielle du Comité technique tripartite et en présence du cabinet conseil. Une réunion, regroupant les ministres des Affaires étrangères, de l’Irrigation et des services de renseignements des trois pays, se tiendra au Caire les 18 et 19 juin 2018 en présence du cabinet-conseil pour examiner le rapport du Comité technique tripartite.
5. Un comité scientifique sera chargé de discuter des moyens de renforcer la compréhension et la coopération entre les trois pays concernant le barrage de la Renaissance. Il se chargera en outre de discuter et d’élaborer plusieurs scénarios relatifs aux règles de remplissage et d’exploitation du barrage, conformément au principe de l’utilisation équitable des ressources hydriques communes.
Ce comité sera formé de 15 membres, soit 5 pour chaque pays. Il tiendra neuf réunions, chacune sur trois jours, en alternance dans les trois pays. Il présentera les résultats de ces discussions dans un délai maximum de trois mois aux ministres de l’Irrigation des trois pays. Ces derniers rédigeront un rapport et l’enverront à la réunion des ministres des Affaires étrangères, de l’Irrigation et des services de renseignements des trois pays.
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