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Barrage éthiopien : L’Ouganda entre en jeu

Chaïmaa Abdel-Hamid, Mardi, 15 mai 2018

L’Egypte a accueilli cette semaine le président ougandais, Yoweri Museveni, au moment où les négociations égypto-soudano-éthiopiennes peinent à aplanir les différends autour du barrage de la Renaissance.

Barrage éthiopien : L’Ouganda entre en jeu
Le président Museveni a promis de discuter de la question du barrage avec le premier ministre éthiopien.

Une nouvelle réunion tripartite autour du barrage a eu lieu mardi 15 mai. Tenue au niveau des ministres des Affaires étrangères, de l’Irrigation et des chefs des services de renseignements des trois pays, cette réunion est une nouvelle tentative de parvenir à un consensus autour des points de discorde concernant le dossier du barrage éthiopien. L’Egypte a profité d’une récente visite du président ougandais, Yoweri Museveni, qui était au Caire le 8 mai, pour évoquer le barrage. « Nous avons discuté du dossier du barrage de la Renaissance. Nous sommes déterminés à résoudre les questions en suspens relatives aux négociations du barrage éthiopien de la Renaissance, et ce, en vertu de la déclaration de principe signée par Le Caire, Khartoum et Addis-Abeba en 2015 », a déclaré le président Abdel-Fattah Al-Sissi, lors d’une conférence de presse avec son homologue ougandais. Le président, Museveni, a promis de discuter de cette affaire avec le premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, attendu prochainement en Ouganda. « Nous voulons parvenir à une solution satisfaisante à toutes les parties. Le Nil doit être une rivière de coopération entre les pays qui le partagent », a-t-il souhaité.

Le principal point de discorde entre l’Egypte et l’Ethiopie concerne surtout la durée du remplissage du lac du barrage, d’une contenance de 74 milliards de m3. L’Egypte souhaite un allongement du nombre d’années du remplissage afin de ne pas diminuer de façon excessive le niveau des eaux provenant de l’affluent du Nil. En revanche, l’Ethiopie, elle, qui souhaite tirer rapidement profit de ce grand barrage hydroélectrique (6450 MW), souhaite le remplir en 5 ans. Or, pour l’Egypte, un remplissage rapide la priverait de 12 à 25 % des eaux nécessaires à consommation habituelle. L’Egypte a donc de quoi s’inquiéter.

C’est ainsi qu’en parallèle aux négociations avec l’Ethiopie, l’Egypte opte à des initiatives diplomatiques visant à engager les autres pays africains à travers une médiation cohérente de l’un des pays du bassin du Nil. Selon les analystes, cela reflète la bonne volonté du Caire qui tient à parvenir à un compromis à travers les négociations. C’est ce qu’affirme Abbas Chéraki, expert hydrique au Centre des recherches africaines de l’Université du Caire. Ce dernier souligne que les dernières rencontres tripartites ont éveillé les craintes de la diplomatie égyptienne, qui a commencé à sentir le danger des résultats de ses discussions avec les partenaires éthiopiens, et a d’ailleurs et pour la première fois, après 6 ans de négociation, annoncé l’échec des pourparlers. L’Egypte a déjà proposé la médiation de la Banque Mondiale (BM) dans ce dossier. Mais, le premier ministre éthiopien avait catégoriquement rejeté cette proposition car la BM avait refusé d’apporter son soutien financier à la réalisation du barrage exigeant au préalable la réalisation d’études d’impact.

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Pour Mohamed Ashmawy, membre du Conseil égyptien des affaires étrangères, l’Ouganda est l’un des pays les plus qualifiés pour jouer un rôle de médiateur entre l’Egypte et l’Ethiopie dans le cadre du rapprochement des points de vue entre les deux pays, vu les bonnes relations qu’il mène à la fois avec Le Caire et Addis-Abeba. « Le président ougandais est l’un des hommes sages des pays du bassin du Nil, et qui a un poids considérable au sein de l’Union africaine, et donc, son intervention peut servir l’itinéraire des négociations », a ajouté Ashmawy.

L’Ouganda avait déjà tenté de rapprocher les vues en tenant, en juin dernier, un premier sommet des dirigeants des pays du bassin du Nil, auquel a assisté le président Sissi. Une réunion qui n’a pourtant pas porté ses fruits, en raison de l’absence d’un grand nombre des dirigeants de ces pays. Ayman Abdel-Wahab, spécialiste des affaires africaines au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, estime que l’importance de la médiation ougandaise relève du fait que ce pays donne l’exemple le plus réussi de la coopération au niveau des pays du bassin du Nil. Le barrage ougandais d’Owen, construit en 1954 entre le lac Victoria et le lac Kyoga en Ouganda sur le Nil blanc, a été construit suite à une étude et avec l’accord de l’Egypte qui a même participé à sa construction, à son financement et à sa direction. « La coopération entre l’Egypte et l’Ouganda concernant le barrage d’Owen est un exemple à suivre. Si l’Ouganda réussit à convaincre l’Ethiopie de conclure un accord pareil, ce sera un grand gain pour l’Egypte ».

En revanche, Chéraki estime que, concrètement parlant, l’Ouganda ne possède pas de carte de pression qui peut pousser l’Ethiopie à plus de flexibilité dans les négociations. Pour lui, même si le recours à une médiation est un pas positif de la part de l’Egypte, qui a, depuis le lancement de ces pourparlers, montré la plus grande flexibilité possible, les chances restent réduites. L’expert explique que l’Ouganda et l’Ethiopie maintiennent sûrement de bonnes relations qui sont même accentuées par une coopération bilatérale dans des domaines économiques et de développement, notamment dans les secteurs de la santé, de l’énergie et des transports pour lesquels on évoque une ligne ferroviaire entre les deux capitales. Ils sont aussi considérés comme deux acteurs majeurs pour la stabilité de la région, singulièrement troublée, notamment au Soudan du Sud, mais ce rapprochement reste, selon Chéraki, loin de pouvoir influencer l’entêtement éthiopien qui a jusque-là entravé l’avancée des discussions. « Il n’est pas question pour cette dernière de retarder ses ambitions, non pas seulement d’atteindre une autosuffisance énergétique à travers la construction de ce barrage, mais surtout de devenir un exportateur d’électricité vers des pays comme Djibouti, le Soudan et même le Kenya », explique l’expert. Et de conclure que pour parler d’une réelle médiation, l’Egypte a besoin de l’intervention de grandes forces financières, notamment la Chine ou l’Allemagne, qui peuvent vraiment influencer l’avis des Ethiopiens qui, malgré les contestations virulentes de l’Egypte, gagnent du temps et poursuivent la réalisation du barrage pour mettre les autres parties devant le fait accompli.

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