Après 16 heures de négociations, l’Egypte, l’Ethiopie et le Soudan ne sont pas parvenus à régler leurs divergences autour du barrage éthiopien de la Renaissance le 5 avril à Khartoum. Les ministres des Affaires étrangères, de l’Irrigation et les chefs des services de renseignements des trois pays ont dû boucler leur rencontre sans parvenir à un compromis. Ils se sont donné rendez-vous le 5 mai prochain pour trouver une issue aux différends. Les raisons de l’échec de ces négociations tripartites n’ont pas été révélées. Seules quelques déclarations ont été faites à l’issue de la réunion. « Nous avons échoué à trouver un accord », a précisé Ibrahim Ghandour, se contentant d’annoncer que « les désaccords sont de nature technique ». Du côté de l’Egypte, Sameh Choukri, ministre des Affaires étrangères, a déclaré que tous les points de désaccord ont été abordés lors des négociations. « Nous ne sommes pas parvenus à un accord sur les moyens de relancer les négociations techniques gelées depuis des mois », a déclaré Choukri.
Pour sa part, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Ahmad Abou-Zeid, a déclaré que les inquiétudes de l’Egypte après l’échec des négociations tripartites de Khartoum sont « justifiées et légitimes », soulignant que l’Egypte ne céderait à aucun de ses droits historiques dans les eaux du Nil. « Il existe des conventions internationales sur le partage des eaux du Nil ainsi qu’un accord de principe signé en 2015 entre l’Egypte, l’Ethiopie et le Soudan concernant le barrage de la Renaissance. Des encadrements juridiques qu’aucune partie n’a le droit de contourner », a insisté Abou-Zeid.
A rappeler que le projet du barrage de la Renaissance remonte à 2010 lorsque Addis-Abeba a annoncé sa volonté de construire un barrage sur le Nil bleu pour générer l’électricité et soutenir ses efforts de développement. L’Egypte craint que la construction du barrage éthiopien n’entraîne une réduction du débit du fleuve dont elle dépend à 90%. 85% des eaux du Nil en Egypte proviennent d’Ethiopie. L’Egypte insiste sur ses droits historiques dans le fleuve, garantis par des traités datant de 1929 et 1959 qui accordent près de 87% du débit du fleuve à l’Egypte et au Soudan. L’Egypte appelle, en outre, au respect de l’accord de principe en vertu duquel le remplissage du lac ne doit se faire qu’à la lumière des résultats des études techniques, toujours en cours.
Quelle issue ?
« Nous avons toujours le temps jusqu’au 5 mai, et nous espérons que le Soudan et l’Ethiopie coopéreront comme l’ont affirmé leurs dirigeants, notamment le président soudanais Omar Al-Béchir, qui a promis, lors de sa récente visite en Egypte, de résoudre tous les problèmes techniques en suspens », affirme Salama Al-Gohari, membre de la commission de la défense et de la sécurité nationale au parlement. Pour sa part, le député Sayed Fleifel, président de la commission des affaires africaines, a souligné que « ce délai d’un mois a pour but principal de donner une chance au nouveau premier ministre éthiopien pour étudier le dossier du barrage ».
Abbas Chéraki, expert hydrique au Centre des recherches africaines de l’Université du Caire, estime, lui, que l’Egypte a, depuis le lancement de ces pourparlers, montré la plus grande flexibilité possible, mais c’est surtout l’entêtement éthiopien qui entrave l’avancée des discussions. Il rappelle que depuis le début, l’Ethiopie a refusé les demandes égyptiennes d’arrêter la construction du barrage en attendant que les études sur sa faisabilité soient terminées. Addis-Abeba avait déjà refusé également en août 2014 le recours à une médiation internationale et a insisté sur le fait de former un comité tripartite au niveau des ministres de l’Irrigation des trois pays concernés par le problème du barrage. L’Egypte avait exigé un comité technique, pour appliquer les recommandations du comité international qui avait présenté un rapport en 2013 sur la faisabilité du barrage et son impact sur les pays en aval, mais cette demande a également été refusée.
L’Ethiopie a même rejeté en novembre dernier le rapport du cabinet-conseil français, qu’Addis-Abeba avait choisi pour faire les études. « L’Egypte a appelé, lors de la dernière rencontre à Khartoum, à une coordination commune en ce qui concerne le fonctionnement du barrage. L’Egypte sait que les dommages pour elle sont inévitables, mais en participant aux négociations, elle a voulu réduire au maximum les dommages. L’Egypte veut que le remplissage du barrage soit fait en concertation avec elle et en fonction des circonstances. Par exemple, s’il y a de fortes pluies en Egypte, l’Ethiopie peut retenir la quantité d’eau qu’elle veut dans le lac du barrage, mais si les pluies sont faibles en Egypte, l’Ethiopie est censée retenir une quantité moins grande d’eau, pour diminuer les dommages sur les pays en aval. Tout ce processus ne peut se faire qu’à travers une coopération commune, et c’est ce que nous demandons à l’Ethiopie », affirme Abbas Chéraki.
La délégation égyptienne, qui a assisté aux négociations du 5 avril, a présenté au président de la République un rapport détaillé. L’Egypte exige que les études de faisabilité sur le barrage précisent les effets négatifs du barrage sur la sécurité de l’eau en Egypte, pour s’assurer que l’Egypte reçoit la même quantité d’eau. L’Egypte exige également que les études déterminent l’impact du barrage sur la salinité des terres agricoles égyptiennes dans le Delta, ainsi que son impact sur la baisse de la production d’électricité dans le Haut-Barrage. Le rapport souligne les mesures qui peuvent être prises pour obliger la partie éthiopienne à respecter les études techniques et à les achever dans un délai rapide.
Pour le spécialiste des affaires africaines, Ayman Abdel-Wahab, du Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram : « L’Egypte a aujourd’hui une priorité à laquelle elle ne va pas renoncer, qui consiste à achever les études techniques sur l’impact du barrage. Cette priorité contrarie les Ethiopiens qui veulent commencer à remplir le lac du barrage en juin prochain. Reste à savoir si l’Ethiopie va accepter de retarder le remplissage ou si les trois pays réussiront à trouver une issue ? ». « Si le problème est de caractère technique, il faut reconnaître que dans le fond il est politico-sécuritaire, lié aux ambitions éthiopiennes qui tentent d’étendre son influence dans la région de la Corne de l’Afrique. Donc, si une issue est possible, ce sera à travers des réunions élargies. C’est ce qui sera dévoilé au cours du mois prochain », conclut Abdel-Wahab.
Lien court: