Al-Ahram Hebdo : Quel constat faites-vous quant au premier jour de vote à l’élection présidentielle?
Tarek Fahmi : Le premier constat est que ni la menace terroriste ni les appels au boycott n’ont eu d’échos auprès des Egyptiens. En se rendant aux bureaux de vote, les Egyptiens ont fait preuve de maturité politique et de conscience patriotique. Ce qui est original, c’est que les Egyptiens ont ajouté à ces jours un nouvel aspect : une forme de célébration et de communion nationale, patriotique, démocratique et civique.
— Cela veut-il dire que le taux de participation en ce premier jour est à la hauteur des estimations ?
— Il est prématuré de le juger, puisque le vote se déroule sur trois jours. Quoi qu’il en soit, je suis tout à fait contre la théorie selon laquelle le taux de participation est l’enjeu-clé du scrutin. En aucun cas, il ne faut pas faire le parallèle entre le taux de participation et la légitimité des élections. Le recul du taux de participation politique a été un fait marquant au cours des dernières années aux scrutins dans plusieurs pays du monde, comme à la dernière présidentielle française. C’est une tendance générale.
— Et pourquoi cette tendance ?
— Plusieurs facteurs déterminent le taux de participation, dont la nature des élections parlementaires ou de la présidentielle, la culture et l’héritage politique du peuple, le contexte politique, etc. A titre d’exemple, la compétition aux législatives est d’habitude plus acharnée que la présidentielle en raison de la présence de plusieurs courants et partis politiques. Il faut avouer qu’en Egypte, même à l’apogée des périodes de transition, la culture politique des Egyptiens fait quelque peu défaut. La plus haute participation enregistrée a été aux législatives de 2012 avec un taux de 62,4 %, contre 47,5 % à la présidentielle de 2014 et 51,85 % à celle de 2012 où 6 candidats étaient en lice.
— Et pour l’actuel scrutin ?
— Comme il s’agit d’élections avec deux candidats, un président qui n’est pas soutenu d’un courant politique déterminé mais qui jouit d’un soutien populaire, et une figure politique de l’opposition qui mène l’expérience pour la première fois et qui reste peu connue pour une majorité du peuple, il est possible que même parmi les partisans du président Sissi, un certain nombre ne participe pas, non pas par abstention politique, mais parce que simplement ils sont rassurés de la victoire écrasante de leur candidat.
— Quels étaient donc les enjeux de vote pour les Egyptiens à ce scrutin présidentiel ?
— En 2014, les électeurs voyaient en le président Sissi l’homme de la situation, celui qui allait sauver le pays des Frères musulmans. Cela s’est aujourd’hui confirmé. Généralement, deux motifs incitent les électeurs à la participation : l’intérêt et le devoir patriotique.
En cette élection, les deux facteurs existent. Pour les Egyptiens, le rétablissement de la sécurité et de la stabilité est déjà un acquis important du premier mandat du président Sissi et qui justifie son maintien à la présidence, surtout à un moment où le pays est engagé dans un combat sans merci contre le terrorisme. Egalement, les importantes réalisations du premier mandat (réforme économique, programmes sociaux, projets d’infrastructures et méga-projets) incitent les Egyptiens à réélire Sissi, en vue de poursuivre le projet de développement prometteur qu’il a entamé. Bref, les Egyptiens votent pour la stabilité et pour la poursuite du plan de développement et de réforme.
— Et quels messages envoie cette élection ?
— Le message essentiel et le plus important est que le processus politique est toujours sur les rails et va dans le bon sens en dépit des défis sécuritaires et économiques. Il s’agit d’une échéance constitutionnelle réaffirmant la continuité du processus de transition démocrate. Un processus qu’a esquissé la révolution de 2011 et qu’a remis sur les rails et développé la révolution du 30 juin 2013 qui a sauvé l’Egypte du régime des Frères musulmans qui ont voulu anéantir l’identité civile du pays. C’est dans ce contexte qu’aujourd’hui, dans de telles conditions difficiles que traverse le pays, la tenue de l’élection présidentielle est en elle-même un indice positif. Un indice qui prouve que le régime, après 4 ans au pouvoir, reste toujours engagé aux principes de la démocratie figurant dans la Constitution de 2014. L’autre message, non moins important, est que le peuple a acquis plus de maturité politique dans la mesure où il croit que tout changement envisagé doit s’effectuer via les canaux politiques légitimes.
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