Renforcer la coopération bilatérale, surmonter les différends entre les deux pays sur certains dossiers et coordonner les efforts en vue de faire face aux défis planant sur la région, telles étaient les portées du sommet tenu lundi 19 mars, au Caire, entre le président Abdel-Fattah Al-Sissi et le président soudanais, Omar Al-Béchir, qui effectuait sa première visite en Egypte depuis octobre 2016. Lors de leur rencontre, les deux présidents ont souligné la nécessité de mettre fin aux différends entre les deux pays et d’élargir leur coopération mutuelle. C’est donc à partir du Caire qu’ils ont affirmé leur volonté de rapprochement après plusieurs mois de tensions. Une visite éclair d’un seul jour dans un contexte d’apaisement, suite aux tensions de ces derniers mois dans les relations égypto-soudanaises, sur fond de divergences sur un nombre de dossiers.
Béchir, qui était accompagné d’une délégation de haut niveau, a été reçu à l’aéroport du Caire par le président Sissi qui l’a ensuite accompagné au palais d’Ittihadiya où s’est tenue une séance de négociations à huis clos. Les deux hommes ont ensuite tenu une conférence de presse conjointe avant de se diriger au Stade du Caire pour assister à la célébration de la fête « La Famille égyptienne ». « Une visite qui s’inscrit dans le cadre de continuité de coopération entre les deux pays sur tous les volets. Elle intervient à un moment extrêmement important, dans un contexte régional et international critique qui exige l’unité des pays arabes », a déclaré Bassem Radi, porte-parole de la présidence, soulignant la volonté de l’Egypte d’établir une « coopération constructive » avec le Soudan. Le porte-parole a ajouté que lors du sommet, les deux présidents avaient convenu de relancer la coopération bilatérale dans le domaine commercial, les projets de transport maritime et terrestre ainsi que l’électricité. Il s’agit notamment du projet d’une voie de transport maritime qui permettra la liaison avec neuf autres pays d’Afrique de l’Est: la République démocratique du Congo, le Burundi, l’Ethiopie, le Kenya, le Rwanda, le Soudan du Sud, le Soudan, la Tanzanie et l’Ouganda, ainsi que la ligne électrique entre les deux pays. A noter que le Soudan occupe la première place du taux des exportations égyptiennes aux pays du bassin du Nil, avec un montant de 5,6 milliards de L.E. en 2016 par rapport à 4,2 milliards en 2015, selon les chiffres de l’Organisme central pour la mobilisation et le recensement.
Des intérêts communs
Cette visite cordiale du président Omar Al-Béchir vient refléter l’esprit positif entre les deux pays et leur volonté de renforcer leurs relations historiques et stratégiques. « Nous avons convenu de nous tourner vers de nouveaux horizons de coopération dans divers domaines, afin de mieux servir les intérêts de nos deux pays », s’est félicité le président Sissi, lors de la conférence de presse conjointe tenue à l’issue des pourparlers bilatéraux à huis clos. Le président Sissi a surtout salué l’évolution du niveau de coordination entre les deux pays sur les dossiers d’intérêt commun. Il a précisé que les pourparlers avec son homologue soudanais avaient porté sur la nécessité de « renforcer la coopération et la coordination bilatérales dans les divers domaines, pour servir les intérêts des deux pays ». « Des rencontres préalables ces derniers mois entre responsables égyptiens et soudanais ont permis d’accroître la coopération dans divers domaines », a confirmé Al-Béchir. Le président soudanais a estimé qu’il existait une forte volonté politique de résoudre les problèmes existant entre les deux pays. « L’Egypte et le Soudan se trouvent à un tournant de leur histoire, notamment en raison des crises que connaît la région. Il s’avère donc nécessaire d’oeuvrer pour mener la coordination entre les deux pays dans le sens des intérêts conjoints », a renchéri Al-Béchir. Le président soudanais a reconnu que déjà « tous les pourparlers bilatéraux, soit à Khartoum ou au Caire, étaient positifs ». Et d’ajouter que les relations entre les deux peuples sont incontournables. « Un même destin, un même avenir, une culture et une religion communes relient les deux peuples égyptien et soudanais », a dit Al-Béchir, soulignant que les consultations et la coopération seraient renforcées entre les deux pays, notamment à travers la création de mécanismes conjoints dans différents domaines.
La visite d’Al-Béchir intervient à quelques jours de la présidentielle prévue du 26 au 28 mars, à laquelle Sissi est candidat. Une façon de « confirmer que nous sommes pour la stabilité de l’Egypte et que nous soutenons le régime du président Sissi », a souligné Béchir. D’ailleurs, sur l’un des dossiers de discorde entre Le Caire et Khartoum, à savoir le barrage éthiopien de la Renaissance, le président Sissi a dit que le Soudan et l’Egypte étaient « déterminés à travailler ensemble, ainsi qu’avec les frères en Ethiopie, pour parvenir à un partenariat autour du fleuve du Nil, bénéfique à tous et ne nuisant à aucune partie ».
Le sommet intervient également quelques jours après le retour de l’ambassadeur soudanais en Egypte— qui avait été rappelé par Khartoum en janvier dernier—, mais aussi quelques semaines après la rencontre entre les deux dirigeants en marge du Sommet africain tenu janvier dernier à la capitale éthiopienne Addis-Abeba, au cours duquel un mécanisme de consultations quadripartite a été établi dans le but de renforcer les liens stratégiques et de traiter les questions d’intérêt commun. Le 8 février dernier s’est tenue une première réunion au Caire au niveau des ministres des Affaires étrangères et des chefs de renseignements des deux pays dans le cadre de ce mécanisme.
Au-delà des différends
L’accueil chaleureux réservé à Béchir au Caire ainsi que les déclarations positives des deux présidents ont marqué une amélioration notable des relations égypto-soudanaises crispées et surtout une valorisation des intérêts mutuels, à un moment où les défis et les menaces pèsent sur les deux pays, c’est ce qu’estime le député Hatem Bachat, membre de la commission des affaires africaines au parlement. A rappeler que les relations entre Le Caire et Khartoum se sont particulièrement détériorées début 2017, lorsque le président soudanais a accusé l’Egypte de soutenir ses opposants dans les zones de conflit, comme au Darfour. De même, Khartoum prétend que le triangle égyptien de Halayeb, à la frontière des deux pays près de la mer Rouge, lui appartient. Ce que Le Caire rejette totalement.
La construction du barrage de la Renaissance par l’Ethiopie sur le Nil, qui inquiète les Egyptiens pour leur approvisionnement en eau, a aussi causé des tensions entre Le Caire et ses deux voisins du sud. L’Ethiopie et le Soudan prévoient d’engranger d’énormes bénéfices grâce à la construction de barrage, mais l’Egypte considère que le barrage risque d’entraîner une baisse des 55,5 millions de m3 d’eau que le Nil lui apporte chaque année. C’est dans ce contexte que Bachat met en relief l’importance d’une rencontre qui vient apaiser les tensions entre Le Caire et Khartoum et remettre sur les rails leurs relations stratégiques. « Cette rencontre reflète la volonté des deux pays de dépasser leurs divergences. Les intérêts liant les deux pays permettent de maintenir des relations assez fortes et d’aller au-delà des divergences », estime Bachat, soulignant la nécessité de poursuivre le dialogue et la coordination bilatérale. Il ajoute que « la gestion rationnelle de la part du président Sissi » des tensions qui ressurgissent de temps en temps entre les deux pays a permis de les contenir. « Le président Sissi adopte une diplomatie basée sur le consensus et le renforcement de coopération entre l’Egypte et les pays du continent noir dont à la tête le Soudan, un pays voisin et frère. Le retour au beau fixe des relations égypto-soudanaises est extrêmement important dans la mesure où cela se reflète positivement sur le dossier du barrage éthiopien et y favorise un consensus. C’est dans ce contexte que la coopération entre les pays du bassin du Nil en matière de développement et de commerce est la voie la plus sûre pour des relations politiques fortes et stables aptes à surmonter les différends et régler les crises dans une ambiance d’entente », assure le député. Pour sa part, l’ambassadeur Ali Al-Hefni, ancien vice-ministre des Affaires étrangères pour les relations africaines, met en évidence l’importance du timing de la visite du président Béchir. « Il était important d’améliorer le climat entre le Soudan et l’Egypte surtout avant la réunion tripartite qui devra se tenir début avril à Khartoum, censée propulser les négociations techniques sur le barrage éthiopien, suspendues depuis quelques mois. Il est aussi important de contenir les divergences entre Le Caire et Khartoum avant la tenue du Sommet arabe de Riyad prévu fin mars », explique Al-Hefni. Il renchérit que les deux pays sont conscients des conjonctures régionales pesantes et de la nécessité de coopérer bilatéralement sur les questions politiques, militaires et économiques. « Les deux pays subissent les conséquences de l’instabilité régionale. La dégradation de la situation sécuritaire dans des pays comme la Libye, la Syrie et le Yémen menace la sécurité nationale de l’Egypte comme celle du Soudan et nécessite de garder l’unité des pays arabes. Le renforcement des relations bilatérales est important pour rétablir la sécurité régionale loin des tensions injustifiées entre les deux pays », estime Al-Hefni. Il souligne que lorsque le président Sissi a déclaré que la sécurité du Soudan relevait de celle de l’Egypte, il a décrit à la lettre la vérité de la situation. « Tout trouble au Soudan, pays voisin et frontalier, menace directement la sécurité égyptienne et vice-versa. D’où l’importance de la coordination sécuritaire pour contrôler les frontières et empêcher l’infiltration des éléments terroristes », détaille le diplomate.
Pour Hani Raslan, spécialiste des affaires africaines au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, la visite de Béchir a été fructueuse et a prouvé que l’échange de visites peut contribuer à limiter les conflits et à atteindre un milieu de terrain entre les deux parties. « Les dossiers controversés ne seront pas réglés du jour au lendemain. Or, il est important de les négocier dans une ambiance d’entente positive loin des tensions. Et c’est ce qui a été réalisé aujourd’hui lors du sommet égypto-soudanais, qui a été une sorte de feuille de route déterminant les plans et les mécanismes nécessaires pour renforcer la coopération entre les deux pays dans tous les domaines », conclut Raslan.
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