Al-Ahram Hebdo : Quelle a été votre impression en regardant la vidéo où apparaissent les soldats kidnappés dans le Sinaï ? Est-elle authentique ?
Sameh Seif Al-Yazal : Je pense que la vidéo est authentique, les soldats sont identifiables. Je n’ai jamais rien vu de pire de toute ma vie, c’est une scène aussi horrifiante qu’humiliante qui m’a attristé comme elle a attristé tous les Egyptiens qui l’ont vue.
En tant qu’ancien militaire, je n’aurais jamais souhaité assister à une situation pareille, où des Egyptiens kidnappent leurs compatriotes pour demander la libération de criminels et de trafiquants. L’institution de la présidence est responsable de cette crise, à cause des concessions qu’elle a offertes dans le passé lors d’affaires similaires. Quand des touristes américains et des soldats internationaux avaient été kidnappés, le président Morsi a décidé, en contrepartie de leur libération, de gracier des proches des kidnappeurs qui étaient inculpés dans des affaires criminelles. Cette attitude a encouragé les proches des détenus à reproduire ce genre de chantage.
Cette fois aussi, dans un premier temps, la présidence a déclaré dans un communiqué qu’elle voulait préserver la vie « des soldats kidnappés et des kidnappeurs », ce qui a amené ces derniers à élever le plafond de leurs demandes en réclamant la libération de terroristes. Ils ont aussi demandé la libération de plusieurs personnes inculpées dans des affaires criminelles, dont le trafic de drogues.
— Les informations sur les négociations avec les kidnappeurs sont contradictoires. Elles seraient initiées selon certaines sources par des membres du parti des Frères musulmans, Liberté et justice, et, selon d’autres, par des responsables des services de sécurité …
— Depuis le début, je réalise la futilité de négocier avec les kidnappeurs, parce que cela bafoue le respect de l’Etat et de l’institution militaire. Je peux aussi vous dire que les informations officielles émises par la présidence sur l’absence de négociations sont fausses. Les négociations se déroulent depuis le 9 mai et, selon un premier accord, les soldats devaient être libérés le 11, un engagement que les kidnappeurs n’ont pas respecté.
Ils ont décidé de diffuser cette vidéo et de pousser leurs demandes encore plus loin. La présidence de la République devra choisir entre deux solutions : gracier les détenus dont la libération est revendiquée par les kidnappeurs et assumer les conséquences d’une telle décision, ou alors donner l’ordre à l’armée d’intervenir pour libérer les otages. L’armée a les mains liées, elle attend une décision politique.
Le président Morsi doit oublier ses calculs politiques étroits. Ses récentes réunions avec des partis islamistes trahissent sa peur d’assumer la responsabilité tout seul. C’est curieux que la seule fois où il insiste sur le fait d'écouter les autres partis c’est au moment où tout le monde l’appelle à prendre une décision.
— Ce dernier incident, qui vient s’ajouter à l’instabilité politique et à la dégradation économique, peut-il amener l’armée à prendre la décision de descendre dans la rue ?
— J’étais récemment aux Etats-Unis et cette question m’a été posée plus d’une fois. J’ai pressenti une inquiétude chez les Américains vis-à-vis de la situation actuelle en Egypte. Ils réalisent que l’intervention de l’armée dans le processus politique est une pilule amère, mais que les Egyptiens devront avaler en dernier recours pour empêcher leur pays de s’effondrer.
A ma connaissance, l’armée égyptienne ne veut pas s’enliser à nouveau dans le bourbier politique, mais elle n’hésitera pas à le faire si c’est la seule solution pour sauver le pays. A la limite, si les Egyptiens se révoltent contre le régime en place, l’armée pourra éventuellement descendre dans la rue pour protéger l’Etat, non pour gouverner .
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