653 condamnés, dont la plupart sont des étudiants, ont été graciés depuis la mise en place de ce comité.
(Photo : AFP)
Le parlement a ouvert les débats sur une initiative portant sur les moyens de réintégrer dans la société les jeunes graciés, sujets de condamnation à des peines de prison en vertu de la loi sur les manifestations, en vigueur depuis 2014. Cette semaine, des représentants des ministères de l’Intérieur, des Affaires étrangères, du Développement local, des membres du Comité de grâce présidentielle, ainsi que le président du Conseil national des droits de l’homme ont assisté aux débats. « Le parlement n’hésitera pas à légiférer les lois nécessaires pour aider les jeunes à retrouver leur vie normale et jouir de leurs pleins droits », a déclaré Ali Abdel-Al, président du parlement, promettant d’étudier les moyens de concrétiser toutes les recommandations formulées par les participants aux discussions sur ce sujet. Les initiateurs de cette idée sont les membres du Comité de grâce présidentielle formé en 2016, qui se penche sur les cas des condamnés à des procès relatifs à la liberté d’expression et de manifestation. 653 condamnés, dont la plupart sont des étudiants, ont été graciés depuis la mise en place de ce comité. La libération de ces jeunes a été certes saluée par les forces politiques, dans la mesure où elle a été considérée comme signe positif du régime envers les jeunes. Or, il a été constaté ensuite que certains de ces jeunes se sont trouvés face à des problèmes au sein de leur milieu de travail et ou dans leurs universités.
Quels dispositifs ?
D’où l’ouverture d’un débat au sein du parlement sur les moyens de régler les problèmes de ces jeunes en les réintégrant dans la société. C’est ce qu'indique le député Tareq Al-Kholi, membre du Comité de grâce. Il détaille que le comité avait reçu de nombreuses plaintes des jeunes graciés, certains ayant été licenciés, d’autres renvoyés de leurs universités. « On cherche des dispositifs législatifs et administratifs aptes à régler les difficultés entravant l’exercice de ces jeunes de leurs droits », souligne Al-Kholi. Ainsi, le député a proposé au parlement un plan de travail visant trois catégories des graciés : Les étudiants graciés, renvoyés de leurs écoles ou leurs universités, les employés licenciés de leur travail et les chômeurs. « Pour ce qui est des étudiants, la légalité de leur renvoi sera examinée de même que les procédures nécessaires pour les réenregistrer dans leurs établissements. Pour ce, le comité coordonnera son action avec les ministères de l’Education et de l’Enseignement supérieur. Si l’affaire nécessite de modifier une loi ou changer un règlement, le parlement n’hésitera pas à le faire », s’engage Al-Kholi. En ce qui concerne les employés limogés, le comité aura affaire avec les cas de ceux du secteur public et ceux du secteur privé. « Pour ceux qui travaillaient dans le secteur public et qui ont été limogés de leur travail pour raison de leur condamnation à des procès relatifs à la liberté d’expression, le comité travaillera sur leurs dossiers avec le ministère de la Main-d’oeuvre pour les réembaucher. Ainsi, on pourra parvenir à un accord avec le gouvernement ou même légiférer une loi », enrichit Al-Kholi. Or, il avoue que la situation des destitués du secteur privé se révèle plus compliquée puisqu’il est impossible de contraindre les entreprises privées de les réemployer. Une situation que le comité oeuvrera à régler via les négociations directes avec les hommes d’affaires et la médiation des ONG si c’est nécessaire. Quant aux graciés qui ont été des chômeurs avant leur condamnation, Al-Kholi fait savoir que le comité coordonnera avec le ministère du Commerce, qui consacre un budget de 200 milliards de L.E. pour le financement des petits et moyens projets pour aider les jeunes graciés.
Le député Waël Al- Qassabi, président de la commission de la solidarité sociale au parlement, souligne qu’il ne faut pas laisser la chance à des groupes extrémistes ou qui oeuvrent contre les intérêts du pays de polariser ces jeunes graciés qui n’ont pas assez d’expérience et de maturité politique. Lors de la séance tenue cette semaine au parlement, les représentants des ministères concernés par cette affaire ont débattu les dispositifs aptes à faciliter la réintégration des jeunes graciés. Ainsi, le colonel Ahmad Abdel- Hafiz, représentant du ministère de l’Intérieur, a jugé impératif de revoir les procédures régissant le licenciement des condamnés à des peines de prison dans le but de redéfinir les cas de licenciement en vue des règles plus flexibles. Sur ce point, Hafez Abou- Seada, président de l’Organisation égyptienne des droits de l’homme, trouve surtout évident que le casier judiciaire des condamnés à des procès relatifs à la liberté d’expression, dont ceux des manifestations non autorisées, reste vierge. « Il est important de noter que la condamnation à des peines de prison dans des procès relatifs à la liberté d’expression ne devra pas entraîner des conséquences négatives sur l’avenir de la personne concernée qui n’était pas impliquée à des violences ou des crimes. Même les condamnés criminels doivent jouir de leurs droits après la libération tant qu’ils respectent la loi », réclame Abou-Seada.
Eviter la radicalisation des jeunes
Ayman Abdel-Wahab, président de la section des études égyptiennes au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, estime que cette initiative est un pas très important non seulement pour la réinsertion de ces jeunes, mais aussi pour éviter que, frustrés et désespérés, ils ne deviennent une cible facile pour les groupes extrémistes. De même, comme l’explique le politologue, le fait que l’Etat se charge de leur réinsertion sociale et même politique pourrait changer les fausses idées que certains ont pu acquérir durant leur incarcération. Le politologue ajoute que cette initiative va de pair avec les politiques du président Sissi qui, depuis son élection, a appelé à rétablir un dialogue au niveau institutionnel avec les jeunes, à travers les conférences de la jeunesse pour tenter de réintégrer les jeunes à la vie politique. Pour garantir la réussite de cette initiative, il faut que toutes les institutions de l’Etat ne considèrent pas ces jeunes comme des criminels ou des terroristes, et que cela se traduit par la façon de les traiter au cours des arrestations, de la période d’incarcération et surtout après leur relâchement, explique Abdel-Wahab. Et d’ajouter : « Si cette proposition est appliquée, elle ouvrera la porte aux ONG qui veulent vraiment travailler pour l’intérêt de l’Etat, et ce, en jouant un rôle de médiateur entre ces jeunes graciés et la société ». Et de conclure : « Le problème qui risque de persister est qu’il y a un grand fossé entre les législations et leur application. Il ne faut pas seulement intégrer les jeunes dans la société, mais le plus important est d’apprendre à cette société avec ses différentes institutions de les accepter ».
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