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Les manoeuvres de Khartoum

Ola Hamdi et May Al-Maghrabi, Jeudi, 11 janvier 2018

Le Caire examine sa réponse au rappel de l'ambassadeur soudanais par Khartoum. Les relations égypto-soudanaises traversent une période de turbulences, en raison notamment
des alliances régionales du Soudan.

Les manoeuvres de Khartoum
Le gouvernement égyptien a alloué plus de 3 milliards de L.E. au développement de Halayeb et Chalatine.

Calculs politiques ou tentative de détourner l’attention? Le Soudan a rappelé, jeudi 4 janvier, son ambas­sadeur en Egypte pour consulta­tions. Aucune raison officielle n’a été avancée pour expliquer cette mesure. L’Egypte a immé­diatement réagi par le biais du ministère des Affaires étrangères, affirmant qu’elle « évalue la situation en vue d’apporter la réponse appropriée », sans donner plus de détails. La décision soudanaise intervient sur fond de ten­sion entre Le Caire et Khartoum, au sujet du triangle frontalier de Halayeb (voir sous-enca­dré). Mais aussi sur d’autres questions: des tensions ont surgi entre Le Caire et Khartoum au sujet des eaux du Nil, en raison de l’aligne­ment du Soudan sur l’Ethiopie dans le dossier du barrage de la Renaissance. De même, en raison des attaques répétitives du Soudan contre l’Egypte l’accusant « d’ingérences dans ses affaires intérieures ». Mais c’est surtout le récent accord entre le Soudan et la Turquie concernant l’île de Suakin en mer Rouge qui a fait monter la tension. Khartoum a placé sous la tutelle turque cette île de la mer Rouge, ce que Le Caire considère comme une menace sur sa sécurité. (Voir encadré).

Des choix erronés

L’ancien ambassadeur d’Egypte au Soudan, Mohamad Al-Chazli, affirme ainsi que les récentes positions soudanaises reflètent une volonté d’escalade avec l’Egypte. « Khartoum veut justifier ses choix politiques erronés. Il est déplorable qu’il ravive les tensions sur Halayeb et se rallie au camp turc au détri­ment de ses relations historiques avec l’Egypte, à un moment où la région est confrontée à des défis cruciaux qui exigent que l’on resserre les rangs », critique Al-Chazli. Il trouve inexplicable que le Soudan entre en alliance avec l’Ethiopie contre les intérêts de l’Egypte. « Il devient de plus en plus clair que le Soudan a perdu la boussole de sa politique étrangère, notam­ment avec l’Egypte. S’il mobilise aujourd’hui son opinion publique contre l’Egypte, c’est pour se décharger de son rôle de médiateur entre l’Egypte et l’Ethiopie dans le dossier du barrage de la Renaissance », déplore Al-Chazli.

De même, selon certains observateurs, le rappel de l’ambassadeur soudanais apparaît comme une « tentative de détourner l’atten­tion du peuple soudanais des problèmes poli­tiques et économiques internes ». C’est ce que pense la députée May Mahmoud, sous-secrétaire de la commission des affaires afri­caines au parlement, qui affirme que « le Soudan cherche à détourner l’attention des Soudanais loin des conflits internes au Soudan ». Selon elle, les revendications sou­danaises de souveraineté sur Halayeb et Chalatine « ne reposent sur aucun fondement ni politique, ni historique, ni juridique ».

Cependant, Mahmoud Aboul-Einein, ancien doyen de l’Institut des recherches et des études africaines, pense qu’en dépit des divergences entre l’Egypte et le Soudan, les intérêts entre les deux pays restent forts et stratégiques. « L’histoire et la géographie lient l’Egypte au Soudan et les deux pays sont soumis à l’insta­bilité régionale. Ils doivent surmonter leurs différends via les canaux diplomatiques. Le Soudan se trompe s’il croit pouvoir tirer profit des alliances qu’il tente de former contre l’Egypte. Parce que tout simplement des pays comme la Turquie ou même l’Ethiopie ne cher­chent qu’à instrumentaliser le Soudan aux services de leurs intérêts. Or, dès qu’ils y aboutiront, ils lâcheront le Soudan », conclut Aboul-Einein.

Halayeb et Chalatine historiquement égyptiennes

Le conflit sur la région frontalière de Halayeb et Chalatine, le plus problématique entre l’Egypte et le Soudan, vient de prendre une nouvelle ampleur. Le Soudan a présenté une plainte à l’Onu, le 20 décembre dernier, revendiquant la souveraineté sur cette région. Située à l’extrémité sud-est de l’Egypte, le long de la frontière avec le Soudan, cette région de 20 000 km2 environ a toujours été un objet de discorde entre Le Caire et Khartoum. Or, selon Hani Raslan, spécialiste des affaires africaines et des pays du bassin du Nil au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, le Soudan ne dispose d’aucun argument valable pour réclamer sa souveraineté sur le triangle de Halayeb et Chalatine. Raslan assure qu’un arbitrage international ne sera pas en faveur du Soudan qui n’a aucun droit de souveraineté sur Halayeb et Chalatine. « En 1899, l’Egypte et la Grande-Bretagne ont signé la Convention du Soudan. La frontière terrestre entre les deux pays suit pour l’essentiel le 22e parallèle. Halayeb et Chalatine font clairement partie du territoire égyptien. En 1902, le ministre égyptien de l’Intérieur avait adressé une demande au Soudan de régir la région de Halayeb et Chalatine, car elle est proche du Soudan, mais cela ne veut pas dire que l’Egypte l’a abandonnée au Soudan. Lorsque le Soudan a obtenu son indépendance de la Grande-Bretagne en 1956, il a accepté le tracé des frontières de 1899 », affirme Raslan. « Cette question est une carte de pression utilisée par Khartoum dans les moments de crise avec l’Egypte », conclut Raslan.
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