Les egyptiens sont sous le choc. L’attaque terroriste contre la mosquée d’Al-Roda à Al-Arich a fait 305 morts, dont 27 enfants et 128 blessés. Ils étaient en pleine prière lorsque les terroristes ont attaqué. Un acte terroriste atroce, sans précédent en Egypte. L’attaque s’est produite vendredi 24 novembre au village d’Al-Roda à 40 kilomètres de Bir Al-Abd et à 50 km de la ville d’Al-Arich, capitale du Nord-Sinaï. Il s’agit de l’attentat le plus meurtrier de l’histoire moderne de l’Egypte. Jamais une attaque n’avait fait autant de victimes. Cette attaque est aussi l’une des plus meurtrières dans le monde depuis les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis.
Le bilan est lourd et l’amertume est de mise. Les Egyptiens sont sous le choc après cet acte lâche. L’heure est à la prière et au recueillement. L’Egypte a décrété, samedi, 3 jours de deuil national en hommage aux victimes. « Le terrorisme dans la maison de Dieu », affirmaient certains médias. Toutes les mosquées ont dédié, samedi, la prière aux martyrs de l’attentat. L’Eglise orthodoxe, dont les fidèles avaient été auparavant aussi visés par des attaques meurtrières, a sonné les cloches en solidarité avec les musulmans. En Egypte, les institutions politiques et religieuses de l’Etat ont fustigé des « actes infâmes qui ne parviendront pas à briser les Egyptiens ». La communauté internationale a aussi dénoncé par les termes les plus fermes cet attentat atroce affichant sa solidarité avec l’Egypte dans sa guerre contre le terrorisme (voir page 4). Vendredi à midi, à quelques minutes du début de la grande prière hebdomadaire, des éléments armés arrivent en 5 pick-up et se positionnent à proximité de la mosquée. Ils placent une bombe près de la mosquée et la font exploser, avant de pénétrer à l’intérieur du bâtiment et d’ouvrir le feu sur les fidèles avec des armes automatiques. Selon un communiqué publié samedi par le Parquet général, les assaillants brandissaient un drapeau du groupe terroriste Daech et étaient au nombre de 25 ou 30. La scène est macabre. Les images diffusées sur les télévisions montrent des dizaines de corps criblés de balles, jonchant sur le sol à l’intérieur de la mosquée. Les témoignages des rescapés dévoilent l’atrocité du crime.
Riposte brutale
Les Egyptiens sont sous le choc après cet acte lâche.
« Les forces armées et la police vengeront nos martyrs et ramèneront la sécurité et la stabilité avec force très prochainement », a déclaré, vendredi soir, le président Abdel-Fattah Al-Sissi, lors d’un discours télévisé. Sur un ton très ferme, le président a promis de répondre avec une « force brutale » aux éléments terroristes et takfiris visant la stabilité du pays. « Justice sera rendue contre ceux qui ont participé, contribué, soutenu, financé ou orchestré cette attaque lâche », a-t-il déclaré, assurant que l’attentat ne resterait pas impuni.
Quelques heures après la promesse du président Sissi, l’armée a lancé des raids de représailles dans la province du Nord-Sinaï bombardant plusieurs zones montagneuses autour de la commune de Bir Al-Abd, où se cachent les éléments islamistes. L’aviation a « détruit plusieurs véhicules utilisés dans l’attaque et tous ceux qui étaient à leur bord ont été tués », a annoncé le porte-parole de l’armée Tamer Al-Réfai, dans un communiqué dans la nuit de vendredi à samedi. L’armée de l’air a également ciblé plusieurs foyers terroristes contenant des armes et des munitions, a-t-il ajouté. Depuis, le ratissage du lieu de l’attentat se poursuit à la recherche de ce qui reste des éléments terroristes.
Changement de cible
C’est la première fois en Egypte qu’une mosquée soit prise pour cible. Cette attaque marque un changement radical et alarmant dans la stratégie des groupes terroristes opérant dans le Sinaï. Si l’attaque n’a toujours pas été revendiquée, Ahmed Ban, spécialiste des mouvements islamistes, pointe du doigt le groupe Province du Sinaï. « L’opération porte l’empreinte de ce groupe au niveau de la tactique et de l’exécution. Il s’agit d’une opération bien planifiée, à grande échelle, qui a causé un grand nombre de victimes. Et c’est justement ce que voulait le groupe qui était à la recherche d’une opération retentissante après sa défaite en Syrie et en Iraq », estime Ban qui exclut qu’Al-Qaëda soit derrière cet attentat. Il explique que des divergences existent entre les deux groupes terroristes depuis quelques mois sur le fait de savoir, si oui ou non, il faut cibler les civils. Divergences qui émanent d’interprétations différentes de l’apostasie des peuples régis par des souverains mécréants. Si Al-Qaëda ne considère pas les peuples comme apostats et se suffit de combattre les régimes, Daech cible les régimes et les peuples.
Depuis 2013, l’Egypte est le théâtre d’attaques menées par des groupes islamistes contre les forces de sécurité égyptiennes dans le Nord-Sinaï, où la Provine du Sinaï, la branche égyptienne de Daech, est particulièrement active. Des centaines de policiers et de soldats ont été victimes de ces attaques terroristes. L’Egypte est aussi menacée par des terroristes proches d’Al-Qaëda qui opèrent à partir de la Libye, à la frontière ouest du pays. Un groupe se faisant appeler Ansar Al-Islam (les partisans de l’islam) a revendiqué une embuscade, en octobre dans le Désert occidental, qui a tué 16 policiers. Or, la fréquence et l’ampleur de ces attaques contre les militaires ont diminué au cours de l’année écoulée.
Le général Hatem Saber, expert de la lutte contre le terrorisme, trouve qu’en dépit de l’ampleur de l’attentat de la mosquée d’Al-Roda et les grandes pertes causées parmi les civils, les terroristes sont plus que jamais fragilisés par les frappes militaires dans le Sinaï. « Le choix d’une cible vulnérable comme une mosquée fréquentée par des civils non armés prouve que les terroristes ne sont plus en mesure d’attaquer les forces de sécurité ou des points de contrôle comme auparavant. Le transfert de leurs opérations terroristes hors du triangle Rafah-Al-Arich-Cheikh Zoweid au Nord-Sinaï, témoigne surtout de la réussite des campagnes militaires. Les armes utilisées dans cet attentat sont des armes peu sophistiquées, ce qui prouve que le groupe peine à se réarmer après la destruction de dizaines de dépôts d’armes dans les frappes aériennes menées par l’armée au cours des derniers mois », décrypte Saber, selon qui cet attentat a dévoilé l’aveuglement et la cruauté des auteurs de ce massacre qui n’ont aucun lien avec l’islam.
Le terrorisme à facettes multiples
Mais pourquoi une mosquée? Les circonstances de cet attentat restent encore floues, mais certains éléments permettent de décrypter ses motifs. Tout d’abord, selon les bédouins de la région d’Al-Arich, la mosquée, théâtre de ce carnage, est fréquentée par des adeptes du soufisme. La ville est connue comme étant le lieu de naissance de cheikh Eid Al-Jariri, considéré comme le fondateur du soufisme dans le Sinaï. Un courant mystique de l’islam que Daech considère comme hérétique et appelle à combattre (voir encadré page 5). La prise pour cible des lieux de culte sur des bases confessionnelles est hautement choquante. Mais ces actes font partie intégrante de l’idéologie de Daech, que ce soit en Iraq, en Syrie ou en Libye. Une idéologie dont s’inspire aussi le groupe Province du Sinaï. « Le choix d’une mosquée pour une attaque brutale est compatible avec l’approche de Daech. Si Al-Qaëda appelle à éviter les attaques contre les mosquées et les civils, Daech met davantage l’accent sur un djihad offensif contre les infidèles et les apostats », affirme Ahmad Kamel Al-Béheiri, chercheur spécialiste des groupes islamistes au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. Cela prouve, selon lui, que les auteurs de l’attentat sont des éléments étrangers de Daech qui ont fui la Syrie et l’Iraq. « Il est fort probable que cet attentat soit aussi un acte de vengeance dirigé contre les Sinawis qui refusent d’abriter des éléments terroristes ou de leur présenter un soutien logistique, et qui surtout coopèrent avec les forces de sécurité », indique Al-Béheiri. Une hypothèse qui semble confirmée par le fait que la majorité des victimes sont originaires de la tribu d’Al-Sawarka, qui soutient largement l’armée dans sa guerre contre le terrorisme. Fin 2016, Salem Lafi, un leader de la résistance anti-Daech, de la tribu Al-Sawarka, avait été décapité au Nord-Sinaï. Et depuis, Al-Sawarka réclame à l’armée l’autorisation de porter des armes pour combattre les terroristes de Daech.
Selon Al-Béheiri, l’attentat de la mosquée d’Al-Roda transmet plusieurs messages à plusieurs parties. « Le but principal est de semer la terreur parmi les citoyens dans le Sinaï comme dans tout le pays en faisant tomber le plus grand nombre de victimes. C’est une stratégie qu’avait suivie Daech en Iraq et en Syrie pour soumettre le peuple. Le groupe terroriste essaie cette stratégie aujourd’hui encore en Egypte. Et c’est le premier message envoyé par le groupe aux Egyptiens et aux Sinawis en particulier », explique Al-Béheiri. Il ajoute qu’en ciblant des civils, non seulement des chrétiens, mais aussi des musulmanssoufis et des bédouins du Sinaï, les terroristes veulent élargir le champ de bataille et mener une guerre à multiples facettes. Daech veut montrer qu’il existe et qu’il est toujours capable de mener des opérations à grande échelle, malgré les revers en Iraq et en Syrie. Il cherche visiblement à recueillir de nouveaux partisans. Al-Béheiri affirme qu’après la défaite de Daech en Iraq et en Syrie, des dissensions ont commencé à apparaître au sein de la branche égyptienne. « Il existe une tendance au sein du groupe à se rallier à la branche d’Al-Qaëda, dirigée par l’Egyptien Hicham Al-Achmawi, qui a commis l’attentat d’Al-Wahat. D’où le souci des fidèles de Daech au sein d’Ansar Beit Al-Maqdès de commettre une grande opération leur permettant de regagner la confiance de leurs partisans », indique Al-Béheiri. Il appelle l’armée et la police à garder le plus haut niveau de vigilance parce que les combattants, qui ont fui récemment l’Iraq et la Syrie, cherchent à faire du Sinaï une nouvelle base pour réorganiser leurs rangs. « Cet attentat marque donc un tournant et montre le caractère absolument intolérant et radical de la branche égyptienne de Daech qui a subi l’influence des combattants syriens et iraqiens. Ces derniers considèrent comme mécréant tout musulman qui s’oppose à leur pensée », ajoute l’analyste.
Face à ces menaces, l’Egypte n’a d’autre choix que de poursuivre son combat contre le terrorisme. Un combat qui nécessite une solidarité internationale. Samedi, dans une interview à la chaîne DMC, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Ahmad Abou-Zeid, a salué le soutien international à l’Egypte, en référence aux nombreuses réactions de sympathie à travers le monde. « Mais ce dont nous avons besoin aujourd’hui dépasse le simple soutien moral », a-t-il déclaré. « Nous voulons que les pays qui ont un poids politique et financier fournissent un réel soutien aux pays qui font face au terrorisme », a conclu Abou-Zeid.
Moments atroces
Islam, 15 ans, a échappé à la mort, mais il a perdu son père. Sur la chaîne DMC, il apparaît les yeux égarés en racontant ce qu’il a vécu. « On a entendu une explosion et des assaillants ont envahi la mosquée par les portes et les fenêtres, tirant hystériquement sur la foule. J’étais proche de la porte, mais je n’ai pas pu sortir parce que je les ai vus tuer toute personne qui tente de s’enfuir. Ils ont tiré sur moi, mais les balles ont tué un autre à côté de moi. Ensuite, je me suis caché aux toilettes de la mosquée avec mon petit frère de 3 ans », raconte Islam. Il ajoute que les assaillants ne parlaient pas avec un accent égyptien, mais plutôt syrien ou libanais; ils étaient tous en uniforme et ils étaient de grande taille. « Ils rigolaient ensemble en tuant les gens comme s’ils étaient en compétition pour savoir qui allait tuer le plus grand nombre. Deux d’entre eux sont venus vers les toilettes pour les fouiller, mais soudainement leur chef leur a demandé de se positionner à gauche de la salle de la prière ». Islam affirme qu’après que les terroristes se sont retirés de la mosquée, il a trouvé son père mort par une balle dans la tête. Mohamad Abdel-Fattah, imam de la mosquée d’Al-Roda, affirme qu’il retournera à Al-Arich pour reprendre sa mission à la même mosquée. « Si mon état de santé le permet la semaine prochaine et que le ministère des Waqfs l’autorise, je terminerai le prêche que je n’ai pas pu terminer », assure l’imam. Il s’agissait d’un prêche sur Mohamad, prophète de l’humanité, tient-il à préciser.
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